Paradoxes du marché des assurances complémentaires santé
Réflexions "philosophico-économiques" sur les assurances complémentaires santé
Je pense que les "complémentaires santé", telles qu’elles se présentent aujourd’hui en France, reposent sur une escroquerie conceptuelle et qu’elles sont faussement rassurantes. Elles vendent du confort moral à des coûts très variables, donnant l’illusion d’un marché très ouvert à la concurrence et d’une relation économique très équilibrée entre assureur et client. Cette concurrence est en fait très illusoire, dans certains domaines très peu différenciée, et cela est lié à la commercialisation croissante de l’assurance maladie. Et ceci est inévitable parce que l’Etat providence ne peut plus régler les énormes coûts engendrés par le poste santé pour des raisons liées aux techniques médicales de plus en plus coûteuses, à la démographie et aux conditions socio-économiques. Il a donc fallu continuer à privatiser.
Le dilemme de l’assurance santé réside dans son système triangulaire inévitable qui est le suivant. 1°) Deux organismes couvrent les risques économiques (Sécurité sociale et assurances complémentaires). Il existe un autre cas de figure où un nombre croissant de personnes ne peuvent que difficilement (il y a, il est vrai, une aide de l’état, manne pour le privé) se payer une complémentaire. Je pense aux sept millions de personnes qui travaillent et ne gagnent pas plus de 700 euros par mois, bénéficiaires de la CMU, et aux sans emploi, inscrits au chômage ou pas. 2°) Le corps médico-hospitalier, l’industrie pharmaceutique, les chercheurs/développeurs/vendeurs de "machines" médicales, etc. 3°) Les patients, clients, consommateurs, citoyens, force à la fois économique et politique. Le patient consomme des soins, le médecin les prescrit, et l’assurance paie. Il est inévitable dans ces conditions que les coûts explosent, puisque deux des protagonistes sur les trois ne contrôlent que très peu les coûts. Et ceci malgré les réglementations de l’Etat.
Commençons par la position des patients hors CMU qui sont les usagers payants, raison d’exister de ce système à double détente (Sécurité sociale + complémentaire). Le besoin vient du patient qui consulte, souffre, s’inquiète et doit prévoir, car il sait de temps immémoriaux qu’il est un "être souffrant et pâtissant"... de temps en temps. Mais quand ? S’il peut se le permettre, il achète une complémentaire santé, car la Sécurité sociale ne peut tout payer. Mais comment peut-il décider de souscrire telle assurance plutôt que telle autre ? Le critère subjectif qui entre en jeu dans un très grand nombre de nos décisions est un facteur variable suivant les individus. Assurances ayant pignon sur rue, promesses d’assistance, impressions diverses, chiffres prometteurs, 100% par-ci, 200% par-là, couvertures "en cas de...", etc., les tableaux sont étonnants de promesses. Fort bien, c’est le marché. On est libre d’acheter ou de ne pas acheter, après tout. Les personnes achètent une complémentaire pour des raisons économiques, et ça doit marcher puisque des millions de gens le font. On a du mal à s’imaginer que leur décision d’achat soit fondée sur la couleur du papier d’un prospectus ou sur tout autre facteur hautement subjectif. Car il s’agit d’argent, de coûts, de soins, d’anticipation, de prévoyance, etc. Bref de décisions rationnelles, qui devraient être mûrement pesées.
Notre client connaît rarement le coût réel, ni même partiel des prestations dont il bénéficie, ou va bénéficier. Factures et notes diverses lui donnent une petite idée de ce qui se passe pour lui et autour de lui. Mais il n’a pas la possibilité de pouvoir prévoir et gérer ses coûts de santé. Peut-on prévoir quand on va être malade, disent les assureurs ? Assurément non, et de générer mille hypothèses. Prévoir est une science conjecturale. Ma mutuelle compte 140 000 adhérents. Ce chiffre est amplement suffisant pour obtenir des statistiques, faire des projections et établir des probabilités concernant même, par inférence, toute la population française. De telles données seraient rassurantes et aideraient à la prise de décision, si elles étaient communiquées au client.
Une réalité saute aux yeux cependant : le client peut-il gérer ses dépenses et anticiper ses coûts de santé ? Non. N’y a-t-il rien à faire ? Encore une fois non, à moins de cerner les éléments aléatoires de la couverture santé... C’est ce que font les assureurs, mais ils ne partagent pas leurs recherches avec leurs clients et ne le peuvent pas ! Et la faute en est à ce sacré marché. Nous sommes devant le très connu modèle de l’information asymétrique :
"Je sais quelque chose que tu ne sais pas, mais je ne te le dirai pas, car cela me serait désavantageux." Si les risques d’occurrence d’un événement, connus de l’assureur (à partir des données obtenues après plusieurs années d’observation de ses 140 000 adhérents), étaient révélés au client, celui-ci ne s’assurerait que contre ceux-ci et découvrirait en même temps que son assureur a tendance à lui vendre des couvertures liées à des événements qui ne se produiront pas, ou très peu, ou qui sont très bon marché (rien de tel pour remplir une grille d’offres de prestations). Peut-on en toute honnêteté comparer le remboursement à 100% d’une consultation de médecin généraliste à un remboursement à 100% de frais hospitaliers sans se livrer à des calculs qui n’aboutissent pas ?
Le résultat est que l’assureur se livre à une opération d’arbitrage entre le fréquent et le rare, le cher et le bon marché, et vend un paquet de couvertures mélangées à un public/consommateur pas complètement informé de ce qu’il achète. Et qui ne doit pas l’être !
Nous sommes en présence d’un marché très déséquilibré entre l’offre et la demande parce qu’il y a dissimulation/ rétention de l’information et cela est nécessaire dans l’état actuel imposé par la logique du marché de la prévoyance santé. Pour le client/patient, la prévoyance devient un exercice très difficile, en l’absence d’informations vraiment pertinentes qui aideraient à la prise de décision la plus rationnelle possible. Le client/patient est en droit de revendiquer l’accès à l’information collectée par le vendeur afin de gérer son budget santé lui-même. Prendre des décisions en connaissance de cause est une liberté fondamentale. Le marché de la santé constitue une sévère entrave à cette liberté. L’individu ne devrait pas être confronté à un mur de silence et de non-dits, face à des machines bien huilées dissimulées sous des langages racoleurs : solidarité, prévoyance, accompagnement, assistance, tout ce vocabulaire sentimental et lénifiant cachant des données que ne connaissent que les happy few et qui masquent des réalités économiques assez tristes.
Les enjeux économiques esquissés ici sont de taille : toute l’économie de l’assurance santé repose sur l’asymétrie d’information, un autre nom pour le non-dit et la dissimulation.
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