Les banlieues. Vaste sujet qui fait couler beaucoup d’encre depuis quelques années. Médiatisation à l’extrême, stigmatisation des habitants, rejet par beaucoup, abandon par les gouvernements successifs, illettrisme, drogue, criminalité, etc…. Comment en est-on arrivé là ?
J’écris ce billet car je suis un peu fatigué de lire des commentaires et des articles qui parlent de la banlieue mais dont les auteurs n’ont jamais expérimenté cet environnement.
En 1960, après une année passée dans l’Ariège entre montage et ciel bleu, je me suis retrouvé avec ma mère dans une banlieue entre béton et bitume. Choc. Cinq H.L.Ms enchevêtrés, une école publique en plein centre, un bac à sable, tobogan, tourniquet. Pas de fleurs, pas d’arbres, façades blanches, béton, bitume, gazon ( ?) brûlé.
J’en ai pleuré. Du haut de mes 6 ans, j’étais assis sur le bord du bac à sable et en regardant le « magnifique » immeuble devant moi, j’ai éclaté en sanglots. Qu’est-ce que je foutais là ?
J’ai donc découvert les Habitations Latines Mélangées. (Clin d’œil à Astérix le Gaulois). On nous disait à l’époque que c’était bien car ça permettait de loger tout le monde. Pensez donc, le baby boom et les rapatriés d’Algérie, Maroc, Tunisie, fallait bien les loger quelque part. Quoi de mieux que les cages à lapins, issues de quelques cerveaux d’architectes torturés, dont les biens pensants des quartiers chics se gaussaient. « Le Corbusier, quelles lignes, quelles formes, et oui mon ami, c’est géniââââl….. »
Question génial, y’a pas photos. Cloisons en papier mâché, escalier de béton, caves lugubres, rampe d’accès en ferraille rouge vif, porte palière non sécurisée, super. L’environnement idéal pour une jeunesse épanouie.
Quand le voisin honorait sa femme ou sa maîtresse, j’étais aux premières loges. Quand il l’a giflait aussi. Le seul truc drôle, était le duel quelques années plus tard, entre mon voisin féru de Mireille Mathieu, et moi des Stones. C’était à qui ferait le plus de bruit, et je collais mes enceintes contre le mur juste pour lui rabattre son tourne disque. Ah mais, c’est qui le boss…. On n’avait pas, lui et moi, les mêmes valeurs…
Blague à part. J’habitais donc en face de l’école publique. Pratique. Pas besoin de courir. J’entrais dans une école aux murs froids, et quand je sortais je voyais d’autres murs tout aussi engageants. Bon. L’école s’est déroulé avec son cortège de rires, de pleurs, mais aussi avec les prémices de l’illettrisme. Un jour, avec les copains, on s’amusait à jouer à celui qui trouverait le plus de couleur différente, et un de la bande, a lancé, fier de lui « Tricolore ». Lui faisant remarquer que Tricolore n’est pas une couleur, il est resté hébété pendant quelques minutes avant de se rendre compte qu’il avait tort. Fils d’ouvrier, inculte, bon dernier à l’école, un laissé pour compte, mais devenu un caïd dangereux quelques années plus tard.
A l’âge de 11 ans, entré au lycée. Ce dernier, coincé au milieu d’une ZUP de 10 immeubles, était comme le reste. Insipide et sans saveur. Profs débordés et agressés, classe de transition (transition sur rien ou sur une voie de garage), loubards, bref ! Ambiance. Quotidiennement, les bandes de loulou, assis sur leurs bleus trafiquées nous attendaient à la sortie. Pas pour nous faire la bise bien entendu. Les plus vieux tabassaient de temps en temps quelques profs qui avaient osés lever la voix sur l’angélique petit frère. On est en 1965. Et oui, mais pas un mot dans la presse. A part trois lignes dans les faits divers.
Quand j’ai eu mes 15 ans, j’ai eu le malheur de ne pas appartenir à la bande de loulous avec qui j’avais grandis. Il faut dire que l’univers des mobs (aussi appelées chiottes ou meules), les bitures, les baluches du samedi soir et les bastons ne m’intéressait guère. Donc, j’ai commencé malgré moi un chassé croisé entre les loulous, et mes sorties nocturnes, car bien sûr, c’est l’époque où j’ai découvert Led Zep et les autres, donc sorties.
Mais voilà. Comment sortir et entrer dans cette zone de non droit sans se faire butter. Intéressante question. Je rivalisais d’ingéniosité, contant sur la fiabilité de ma mobylette, mais qui un jour est tombé en radeau. Là, les choses se sont corsées, et bien sûr, je suis tombé sur la bande et j’ai pris une doudoune. Après ce douloureux incident, le chassé croisé à repris de plus belle. Impossible de passer une journée tranquille sans avoir le souci de rester indemne et en bonne santé. J’y ai quand même réussi et avoir une paix relative.
Quoique, entre la voisine qui un jour a fait irruption chez nous, en pleurs, car elle venait de trouver sa chatte pendue dans la cave, et l’alcoolo du 3ème qui tabassait sa femme tous les deux jours, bof, environnement très insécurisé. Impossible d’avoir la paix. On est 1971.
Les bals populaires de l’époque. Autre volet intéressant. Les bandes de loubards excellaient à semer l’embrouille. Comme j’avais quelques potes musiciens, je suis allé deux ou trois fois les voir, dans les fameux « bals pops… » Hu…. Fallait être bien accroché. Le quidam moyen, qui pensait danser tranquille avec sa femme, était abordé par un loulou de façon simple. Pendant qu’il dansait, le loulou lui tapait sur l’épaule. L’autre se retournait et voici le dialogue :
« Tu danses avec ma femme toi ? »
« Heu… ben non , c’est la mienne »
« Ah ouais, et ben c’est plus la tienne Dugland »
Et paf, c’était parti, un pain et bagarre générale. J’ai même aidé un soir mes potes à remballer le « matos », car les cannettes et la baston allaient bon train. On a sauvé les guitares et les amplis in extremis.
Woui, woui, woui. Les banlieues. On est toujours en 1971. A cette époque, les drogues n’ont pas encore fait leur apparition dans les cités, mais ça commençait. Et puis, petit à petit, les ouvriers sont partis et ont été remplacés par les immigrés.
Les immigrés ont hérités des H.L.Ms. Béton et bitume. Quand on arrive d’Afrique du Nord, ça fait un choc. Et puis, la violence était toujours là. Mais ça n’intéressait personne. On parquait les immigrés dans les cités, ils venaient bosser en France, donc quelle importance…
Je suis cynique, mais c’est exactement ce qui s’est passé. Mais voilà, les gouvernements successifs ont fermés les yeux sur ces cités de l’horreur, jusqu’à aujourd’hui ou ça pète de plus en plus. Les médias s’emparent de l’affaire depuis quelques temps et « Oh mon dieu, que se passe-t-il dans nos banlieues, wouah, wouah quelle horreur ». Que font les gouvernements ? Rien. Que font les médias ? Rien et pire que cela, elles jettent de l’huile sur le feu inutilement.
La solution ?
1) Démolir progressivement les HLMS
2) Reclassement des familles dans des zones pavillonnaires et ou de petits immeubles décents
3) Cours d’alphabétisation gratuit et obligatoire pour tous les immigrés.
4) Justice intègre
Ce n’est pas demain la veille ? J’espère que non. Je suis sorti de cette banlieue à l’âge de 22 ans, donc en 1976.
J’y ai passé 17 ans de ma vie. Je n’en veux à personne, juste à un système débile qui à permis la création de pareil ghettos. J’ai écris cette histoire pour montrer que la vie dans les cités en 1965 était violente, et qu’aujourd’hui , si la violence est montée d’un cran à cause des drogues principalement et du laxisme ambiant, les banlieues resteront un problème qui ne se règlera pas tout seul, à moins de raser les immeubles sordides, de mettre un peu d’esthétique dans l’environnement, et de prendre soin des gens. Un peu d’humanité et tout à coup magie, les choses s’arrangent. Incroyable mais vrai.