Affaire Bonnemaison : L’euthanasie contre l’intérêt des malades et de la société
Revoilà l’euthanasie au cœur de l’actualité. Le docteur Nicolas Bonnemaison, 50 ans, médecin attachée au service des urgences de l'hôpital de Bayonne, soupçonné d’euthanasie, a été interpellé par les enquêteurs de la police judiciaire dans le cadre de l'enquête préliminaire conduite par la PJ et mis en examen pour "empoisonnement sur personnes particulièrement vulnérables". Il a été remis en liberté ensuite sous contrôle judiciaire.
Il n’en a pas fallu plus pour que l’emballement des bons sentiments prenne le pas sur la raison, ces bons sentiments qui en maintes occasions minent la responsabilité collective de notre société et conduisent tout droit à un aveuglement passionnel. Une pétition de soutien au Docteur Nicolas Bonnemaison mise en ligne sur le web aurait déjà recueilli, nous dit-on, plus de dix mille signatures. Plusieurs centaines de membres du personnel de son hôpital lui auraient manifesté leur soutien. Dans ce contexte sous haute tension toute réflexion faisant preuve de prise de distance parait prohibée, à moins de prendre le risque, en se mettant à contre-courant, de se voir frappé immédiatement d’infamie.
Euthanasie : des témoignages qui en disent long sur l’aveuglement des bons sentiments
On peut voir cette perte de discernement dans les commentaires des amis et internautes qui soutiennent ce médecin, dont ceux qui suivent sont des plus représentatifs : « Comment condamner un homme qui a sauvé des centaines de vies ! Ce n'est pas un criminel pour mériter la cour d'assises. Il a abrégé les souffrances de personnes âgées. Pourquoi imposer à ces malades de souffrir davantage ? M. Bonnemaison est médecin et sait ce qu'il fait. Je ne connais absolument pas ce Monsieur, mais j'espère que le tribunal ne le condamnera pas et qu'il comprendra son geste. Il a tout mon soutien. » (Site Infos Aquitaine France 3) ou encore, « (Nous) Apportons notre soutien inconditionnel au Docteur Bonnemaison qui a toujours pratiqué la médecine avec humanité, intégrité et intelligence. Par toutes ses qualités, qui devraient être inhérentes à tout médecin et équipe soignante, il respecte avant tout le patient, à qui il épargne des souffrances inutiles, et qui lui permet un départ en tout dignité. Extrait du serment d'Hippocrate : Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je remplirai mes devoirs de médecin envers tous les patients avec conscience, loyauté et intégrité ; Ne pas prolonger inutilement des souffrances des personnes condamnées. Permettre un départ digne à la personne et à son entourage. Refuser l'euthanasie aussi hypocritement c'est ne pas respecter la vie ! Signez la pétition ! » (Le Post)
Parce qu’il aurait sauvé des vies il aurait le droit d’en ôter ? Ce ne serait pas un criminel mais un homme charitable ? Mais sur quels critères réels l’internaute se fonde-t-il pour affirmer ce genre de chose et puisqu’il ne connaît pas même ce médecin, comment peut-il implicitement supposer que les personnes qu’il est censé avoir aidé de façon active à mourir le demandaient ? Dans aucun domaine on n’oserait faire preuve d’autant d’inconséquence !
Quant au second témoignage, on parle de « soutien inconditionnel » en raison des » qualités » de ce médecin et comble de toute chose on prend à témoin le serment d’Hippocrate pour lui faire dire le contraire du sens qui lui a été donné par son auteur et l’Ordre des médecins, celui de soigner et de sauver des vies avant toute autre considération, sans compter encore avec le fait d’avoir tronquer pour se donner raison ce serment tel qu’il a été établi par l’Ordre des médecins en 1996 : « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Serment_d'Hippocrate )
S’il s’agit de soulager la souffrance, il ne s’agit certainement pas de l’abréger sous ce prétexte en donnant la mort, et quant à ne pas prolonger inutilement les agonies, c’est ce que la loi Leonetti en vigueur permet précisément, mais avec responsabilité. La loi permet de ne pas faire prévaloir l’acharnement thérapeutique sur une fin qui est clairement annoncée, mais pas sans certaines garanties essentielles que le vice-procureur chargé de l’affaire a rappelé : on ne peut mettre fin à la vie d’une personne que dans un cadre « extrêmement strict et notamment deux conditions : celle du consentement de la personne ou de sa famille et celle de la collégialité" qui doit réunir les avis de plusieurs médecins. Ce qui n’a nullement été respecté ici.
La loi Leonetti est le seul bon équilibre entre droit de vivre et de partir dignement, rejetant une démarche qui consiste à enlever la vie de façon active incompatible avec nos valeurs sociales. Mais que veulent donc ces gens alors, il leur en faut plus ! Effectivement, pratiquer l’euthanasie pour cet internaute, ce serait « respecter la vie », mais comment ces gens ne se rendent-ils pas compte du degré de leur incohérence et du danger de leur parti pris ?
L’euthanasie, une idéologie de la fuite en avant contre l’intérêt des malades et de la société
Défendre de façon inconditionnelle ce médecin, c’est proposer que le secret exigé entre le médecin et ses patients soit ainsi livré à l’arbitraire total de maintenir la vie ou de donner la mort, en dehors de toute garantie. On frise véritablement le délire ! C’est induire une crise de confiance entre le médecin et son patient qui détruit le sens même de l’acte médical et fait voler en éclat le serment d’Hippocrate !
En réalité, ces gens qui prennent position pour ce médecin sans rien savoir réellement des conditions dans lesquelles il pourrait avoir pratiqué l’euthanasie, bafouent les droits des personnes qui ne sont plus là pour dire si elles l’ont demandé ou pas. Ils défendent une idéologie extrêmement dangereuse derrière les bons sentiments qui s’affichent et sont le début de la destruction des limites qui justement fondent le contrat social, l’idée de faire société ensemble, la liberté de l’individu elle-même.
D’ailleurs, ces nouveaux bons samaritains devraient aussi entendre les propos d’un proche de la famille qui sont rapportés par le site « Info Aquitaine – France 3 » expliquant que ce fameux médecin en parallèle d’un parcours professionnel bien rempli, aurait eu "une vie personnelle plus sombre". « En 1987, son père, maniaco-dépressif, se suicide, un événement qui marque le fils, alors étudiant en médecine, au point qu'il est suivi psychologiquement pendant ses études. En 2010, le médecin urgentiste, qui n'a pas démenti avoir administré à plusieurs patients des substances ayant entraîné la mort, est hospitalisé plusieurs mois en maison de repos. » De façon encore plus précise, selon le Nouvel Observateur, le médecin urgentiste mis en examen revendique ouvertement l'administration de substances ayant entraîné la mort de patients âgés, alors qu'il se trouvait "seul à décider, en son âme et conscience, dans le droit fil du serment des médecins", selon les termes de son avocat, Maître Arnaud Dupin.
Si on suivait les défenseurs de ce médecin qui réclament pour lui l’impunité, il pourrait demain pratiquer l’euthanasie sur n’importe qui ! Personne n’est infaillible et la défense de la cause de l’euthanasie ne saurait soustraire quiconque à la loi et à ses responsabilités, encore moins autoriser tout et n’importe quoi, autrement dit au nom d’être médecin de pouvoir être « seul à décider, en son âme et conscience » de la vie ou de la mort de quiconque. S’il s’agit bien de cela, il doit être jugé en conséquence comme n’importe quel justiciable et répondre de ses actes, sans concession, devant la société. Tous les médecins ont sauvé des centaines de vies mais en général ne s’autorisent pas à l’euthanasie transformée en bonnes œuvres.
Un contexte idéologique en faveur de l’euthanasie en l’absence d’un véritable débat démocratique
94 % des personnes interrogées, selon un sondage commandé par le journal « Sud Ouest » et paru en octobre 2010, seraient favorables à une loi encadrant l'euthanasie. De fait, la plupart des citoyens de notre pays ignorent ce qu’est la loi Leonetti et par absence d’un véritable débat démocratique sur le sujet ce seraient les bons sentiments qui l’emporteraient ici. Il y a un vrai déficit d’information en regard du nombre de prises de position contre l’euthanasie qui passent pour négligeables derrière le brouhaha des ténors des bons sentiments qui ont le vent en poupe dès qu’ils réunissent quelques centaines voire quelques milliers de personnes à la faveur de l’écho qui leur est fait. En réalité, ici comme ailleurs c’est la majorité silencieuse qui est phagocytée.
On présente ce débat comme celui entre les modernes et les anciens, les modernes qui seraient du côté du « droit des personnes » à l’euthanasie, plutôt de gauche, et les anciens qui seraient des conservateurs emprunts de religions, et plutôt de droite. Voilà comment on tue un débat. En réalité, ce débat de société est avant tout politique et appartient à tous les citoyens, en regard d’un bien commun auquel s’articule la responsabilité collective : un sens de la santé publique au service de l’humain. C’est un débat qui dépasse les clivages politiques traditionnels comme beaucoup d’autres sujets pris en otage de fausses évidences et d’un sentimentalisme très idéologique.
La peine de mort a été abolie dans un contexte où une majorité de Français étaient pour son maintien, ce fut avant tout une décision politique majeure qui a fait progresser l’idée de civilisation, en interdisant pour une société, à quelque titre que ce soit, de prendre la vie. L’euthanasie serait un recul de civilisation de ce point de vue et rien d’autre, mais une avancée majeure du cynisme général qui plane sur les sociétés développées derrière la notion de suicide assisté, détruites de plus en plus par la multiplication des individualismes, des revendications identitaires et la logique des droits.
Les problèmes sociétaux ont capté le devant de la scène, souvent par l’entremise d’associations qui se prétendent représentatives et ne représentent le plus souvent que des minorités agissantes voire qu’elles-mêmes, par défaillance du politique qui aussi les instrumentalise. Des problèmes sociétaux individualistes, identitaires ou communautaires détachés de l’intérêt général tiennent le haut du pavé : euthanasie, légalisation du cannabis, mère porteuse, mariage gay, promotion de la « diversité » et droit à la différence, lutte contre les « violences » routières anti automobilistes, financement public des religions, écologie restrictive du « consommer moins et mieux », immigration sans frontière, intégrisme anti-OGM…, conçus comme les seuls vrais combats par abandon des grands combats collectifs qui font s’élever toute la société d’un cran dans son ensemble vers plus de progrès pour tous.
Le libéralisme se frotte les mains de toutes ces divisions et fausses routes. La logique des droits joue contre le droit, contre toute considération d’ordre collectif, les bons sentiments et la dramatisation passionnelle remplaçant tout projet politique commun, toute cohérence autour de l’idée de nation, faisant tomber au degré zéro le niveau des enjeux de société démobilisant les citoyens. Les grands-médias qui jouent leur audimat à l‘aune du niveau de l’émotion, au service du système, se rincent de cette nouvelle aubaine pour en rajouter une couche, avec un cynisme sans retenue.
Voilà ce qui fait symptôme, avec l’avènement de l’individualisme dans le domaine du traitement de la santé où il n’est plus question que de donner au patient un nouveau « droit » de décider de sa vie et de sa mort ou au médecin qui l’exerce pour lui, comme s’il ne revenait pas à la société d’en fixer les limites collectives en protégeant d’abord le droit de vivre. C’est tout le contraire du sens que la société donne à la protection sociale et à la santé publique que d’induire la possibilité pour un médecin d’user du droit d’ôter la vie au nom de la loi et sans avoir à en référer à personne.
Un risque de rapport litigieux entre le personnel médical et les soignés par faute d’euthanasie
Par-delà le cas du Docteur Bonnemaison, se rend-t-on compte de la gravité de la chose et du Rubicon que l’on dépasserait ici, des risques de glissades que cela impliquerait. « L’enfer est pavé de bonnes intentions » dit l’adage ! Mais les personnels de santé pas plus que les autres ne sont à l’abri de difficultés pouvant altérer leur discernement, qui interviennent à domicile, dans une relation où il n’existe aucune interface, aucun filtrage.
Aller dans ce sens ce serait nourrir un rapport litigieux entre patients et personnels médicaux, nuisible aux missions si essentielles de ces derniers. Sans compter avec ceux qui se sentent pousser des ailes à l’idée de jouer au sauveur suprême et verraient dans la carrière médicale la possibilité de réaliser leur désir non sans risques pour ceux qui attendent des soins.
Voilà l’avis d’un internaute plus éclairé que les précédents s’exprimant sur le site du Nouvel Observateur : « Passons sur ce médecin, qui serait lui-même dans une situation temporaire de vulnérabilité selon les premiers résultats de l'enquête. Je ne comprends pas la logique de ces pétitions, j'hésite entre l'écœurement et l'effroi. La maladie d'Alzheimer ne procure pas de souffrances, mais principalement une perte de mémoire qui ne diminue pas l'affectivité de la personne. De quel droit des proches décideraient-ils de la mort sans le consentement éclairé du patient ? Pour des raisons pratiques ? Pour leurs propres faiblesses morales et matérielles ? Qui souffre et fait preuve d'indignité ? J'ajoute plus grave : les professionnels de santé n'ont plus l'éthique et l'exception intellectuelle suffisantes pour participer à pareille décision. Voudrions-nous un jour devenir victimes, nous ou nos proches, éventuellement même suite un accident qui nous affecte seulement physiquement ou à une pathologie qui ne détruise pas notre conscience, de leur idéologie ? »
Si on ne veut pas que les personnels de santé soient déconsidérés par cette idéologie de l’euthanasie, il faudrait qu’ils réagissent vite au lieu de manifester pour certains leur soutien à ce médecin, car c’est une perte de confiance dans la profession elle-même qui risque de surgir derrière ce débat tronqué et ces bons sentiments en faveur d’un droit de tuer par secret médical interposé.
A vouloir garantir le droit de mourir par euthanasie on en arrive à nier les droits du malade. La science doit être au-dessus de cela et rester en matière de santé une grande référence de responsabilité et ne pas se laisser entraîner dans ce n’importe quoi qui est contraire à l’idée de progrès.
La solidarité intergénérationnelle pour lutter contre la perte du désir de vivre face à la maladie
Pourquoi tous ces gens s’enflamment-ils avec une telle passion pour cette cause et cent fois moins pour toutes ces personnes âgées isolées et vulnérables, sujettes à la maladie, qui se multiplient dans notre société et ont besoin de soutien. En matière d’assistance aux personnes très âgées souvent moralement très vulnérables se trouvant en difficulté et pouvant, par absence de lien social, par isolement déprimer et ne plus tenir à la vie, il faudrait surtout réaffirmer toute la solidarité de notre société.
L’isolement constitue une nouvelle forme majeure d’exclusion qui envahit notre société et la démoralise, touchant en particulier les personnes âgées et spécialement les plus pauvres d’entre elles maintenues à domicile tout en étant dépendantes, au point qu’elles y perdent parfois le goût à la vie, qu’elles ne se défendent plus face au vieillissement, à la maladie. C’est une grande question sociale !
Voilà une grande cause à défendre autrement plus tangible et essentielle pour ceux qui sont en recherche de générosité et de bons sentiments. Ce serait une façon de vaincre un sentiment d’abandon qui peut conduire à ne plus vouloir vivre, et lutter contre le cynisme grandissant de cette société où on pense d’abord à faire mourir avant de prendre toutes les garanties pour aider à vivre dans la solidarité avec les autres.
Guylain Chevrier
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