Affaire Dieudonné : La décision du Conseil d’État fait (déjà) jurisprudence
D’aucuns le craignaient, beaucoup le redoutaient, c’est désormais chose faite.
Moins d’une semaine après la décision du Conseil d’État à l’encontre de l’humoriste Dieudonné, la liberté d’expression vient une nouvelle fois d’être bafouée, piétinée, écrasée, battue en brèche par une association d’activistes pro-israéliens.
Dans un pays tel que la France qui fut le premier avec l’Angleterre à s’opposer aux ambitions expansionnistes du IIIe Reich, nous venons de rouvrir la boîte à Pandore en moins de temps qu’il ne faut pour le dire et surtout… le juger.
Nous vivons bel et bien des évènements historiques.
Vous en doutez encore ?
Personnellement, je n’en suis nullement étonné : c’est dans la nature humaine. Mais surtout… c’était écrit : « Nous boirons le calice jusqu’à la lie » (Général de GAULLE). Le pouvoir harceleur use d’artifices qui sont désormais identifiés et bien connus (cf. Dieudonné est-il la cible d’une dictature ?). Cependant, il ne gagne en puissance qu’avec la complicité de tiers comme l’a très bien démontré Pierre-Victurnien VERGNIAUD, l’un des plus grands orateurs de la révolution française : « Les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux : levons-nous ! »
Le déni de réalité qui y est illustré, ou en d’autres termes l’aveuglement d’un peuple qui troque sa tranquillité, ou sa sécurité, contre un peu de liberté, est, et a toujours été, le meilleur allié des oppresseurs, dictateurs, doctrinaires, etc. en tout genre.
En cela, rien de nouveau sous le soleil.
Étienne de La BOÉTIE déclarait déjà dans son Discours de la servitude volontaire, écrit en 1548 alors qu’il n’avait que 18 ans : « Il est certain qu’avec la liberté on perd aussitôt la vaillance. Les gens soumis n’ont ni ardeur ni pugnacité au combat. Ils y vont comme ligotés et tout engourdis, s’acquittant avec peine d’une obligation. Ils ne sentent pas bouillir dans leur cœur l’ardeur de la liberté qui fait mépriser le péril et donne envie de gagner, par une belle mort auprès de ses compagnons, l’honneur et la gloire. Chez les hommes libres au contraire, c’est à l’envi, à qui mieux mieux, chacun pour tous et chacun pour soi : ils savent qu’ils recueilleront une part égale au mal de la défaite ou au bien de la victoire. Mais les gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité, ont le cœur bas et mou et sont incapables de toute grande action. Les tyrans le savent bien. Aussi font-ils tout leur possible pour mieux les avachir »[1].
Plus près de nous, la Ligue des Droit de l’Homme, dans son communiqué du 2 juillet 2008 sur le fichage policier des enfants de moins 13 ans, s’était inspirée d’une citation de Thomas JEFFERSON résumant bien ce qu’il en coûte à ceux qui tombent dans la servitude volontaire : « Quiconque est prêt à sacrifier sa liberté pour un peu de sécurité provisoire ne mérite ni l’une ni l’autre et perdra les deux ».
Pour rappel, le texte de la LDH concernait la polémique suscitée autour du fichier EDWIGE introduit par décret n° 2008-632 du 27 juin 2008 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel.
Big brother is watching you… NOW !
Mais ceci n’est qu’un maigre aperçu de ce qui nous attend, car la liste d’exemples démontrant les dérives gouvernementales vers un « totalitarisme rampant »[2] est désormais si longue, qu’il devient difficile, pour un français, de donner des leçons de démocratie sans être pris pour un hypocrite par tous nos voisins européens et plus.
En effet, au cas où vous l’ignoreriez encore, la France est l’un des pays les plus condamnés par la CEDH[3] pour ses nombreuses atteintes à la liberté d’expression selon l’interview que Me EOLAS a accordé à la journaliste du Nouvel Observateur Anne-Sophie HOJLO : « les avocats de Dieudonné ont six mois pour saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Et la décision du Conseil d'État ne tiendra pas. La France est déjà classée 3e pour les atteintes à la liberté d'expression, avec 25 condamnations, devant la Russie. Elle n'est pas près de nous rattraper ».
Inutile de commenter plus avant cette décision, la jurisprudence de la CEDH est très précise sur ce point et elle ne se dédiera pas : dans le cas d’un recours de Dieudonné devant cette juridiction européenne, la France sera une nouvelle condamnée.
Mais tout ceci n’est rien comparé à « l’enflure narcissique » qu’a provoquée cette bataille apparemment gagnée par le ministre de l’Intérieur (buteur d'occasion pour ceux qui tirent véritablement les ficelles, mais n'aurait-il pas commis une main ?). Cette « enflure narcissique », véritable symptôme d’une société en manque de repère et en pleine déliquescence, qui nous porte tous vers une catastrophe imminente, vient de faire une seconde victime en moins d’une semaine.
Vous ne connaissez probablement pas l’affaire ou en avez vaguement entendu parler… ou bien encore vos souvenirs l’auront probablement effacée de votre mémoire. Rares sont les médias qui l’évoquent. Il y aurait pourtant matière à s’interroger.
Histoire complexe au possible sur laquelle il est difficile de se prononcer sans en connaître les tenants et les aboutissants, le plus vieux prisonnier politique d’Europe, Georges Ibrahim ABDALLAH, purge actuellement sa peine dans l’une des geôles françaises, et ce, bien qu’il soit libérable depuis 1999.
Cette situation a généré quelques soutiens dans le pays y compris celui d’Yves BONNET, le patron de la DST au moment de l’arrestation de Georges ABDALLAH, qui prenant fait et cause pour ce dernier demande à être entendu par la justice. L’article complet de TV5MONDE du 10 janvier 2013 relate très bien cet épisode[4].
Quel point commun avec l’affaire Dieudonné me direz-vous ?
Et bien comme le titre de cet article le précise, il semblerait que l’arrêt du Conseil d’État concernant l’affaire Dieudonné ait servi de jurisprudence pour censurer la conférence-débat prévue en sa faveur : « Le jeudi 16 janvier devait se tenir un meeting organisé par le G.A.B en solidarité avec Georges Ibrahim Abdallah, prisonnier politique en France depuis 30 ans. Georges Ibrahim Abdallah a été fait citoyen d'honneur de la ville de Bagnolet il y a quelques semaines, et ce meeting devait être l'occasion de parler de son combat, et d'exiger sa libération. Pour cela, nous avions demandé la salle du Cin'Hoche de Bagnolet auprès de la Communauté d’agglomération “Est Ensemble”, dirigée par le Parti Socialiste. La salle nous a été accordée. Tout se déroulait parfaitement. Ce n'est qu'à la dernière minute que le Cin'Hoche nous a été retiré, sous prétexte que l'événement était sujet à ‘polémique’. Nous venons d'apprendre que c'est le CRIF qui a fait pression sur le Parti Socialiste, qui s'est immédiatement exécuté. Nous n'avons pas vraiment été surpris par cette scandaleuse censure, elle émane du Parti au pouvoir qui maintient illégalement Georges Ibrahim Abdallah en prison… »[5] Précise le communiqué de presse de ses sympathisants.
Nous assistons là à une escalade visible et particulièrement inquiétante d’atteintes à la liberté d’expression.
Quand un gouvernement, quel qu’il soit, s’assoit sur les lois de son pays en toute impunité sans que l’opinion publique ne s’en indigne, alors le lit est fait pour qu’une dictature s’immisce dans les rouages de ses institutions.
Ce n’est pourtant pas faute de l’avoir dénoncé. Stefan ZWEIG nous l’avait annoncé : « Puisque la violence réapparaît à chaque époque sous de nouvelles formes, il faut constamment reprendre la lutte contre elle »[6].
Je rajouterais même pour compléter cette remarque judicieuse que la violence réapparaît à chaque époque sous de nouvelles formes, mais jamais là où on l’attend (la ligne Maginot en est un bien triste exemple).
A l’aube de l’une des plus sombres périodes de l’histoire de l’humanité, Stefan ZWEIG nous avait même prévenus sur la façon dont on s’y prendrait pour museler nos libertés : « la première pensée qui vient à l’esprit d’un caractère despotique est toujours de museler, d’étouffer, de détruire toute opinion opposée à la sienne »[7].
De même qu’il nous prévenait également sur l’origine du mal pour nous apprendre à le reconnaître et à le situer : « Depuis le commencement, tout le mal est venu des doctrinaires qui veulent que leur système soit le seul, l’unique. Ce sont ces sectaires de la pensée et de l’action qui perturbent la paix universelle et qui, par leur tyrannie, transforment la juxtaposition naturelle des idées en opposition et en discorde meurtrière »[8].
Il est très facile d’identifier les sectaires de la pensée dès lors que l’on connaît les procédés de manipulation qu’ils emploient. De tels procédés, maintes fois dénoncés dans mes articles, feront l’objet d’une prochaine synthèse.
En attendant, force est de constater les dégâts :
CRIF 2 – Liberté d’expression 0
…
CRIF 3 – Liberté d’expression 0
L’information vient tout juste de tomber : le leader du mouvement « Hollande démission » interpellé pour un dirigeable en forme de quenelle ; de source policière selon le Huffington Post.
A suivre (du moins s’il nous est permis d’en parler) !
Philippe VERGNES
[1] Étienne de La BOÉTIE, Discours de la servitude volontaire, éditions Mille et une nuits n° 76, p. 29.
[2] Notion brillamment développée par Ariane BILHERAN, docteur en psychologie clinique et psychopathologie, dans son livre intitulé Tous des harcelés ? qui se conclut par ce propos plein de bon sens : « Le philosophe Condorcet avait rêvé d’une société où les citoyens seraient responsables et éclairés, pour prévenir toute dérive politique et faire prévaloir la démocratie et l’humanisme. Dans sa filiation spirituelle au cœur de la Troisième République, chaque citoyen avait pour mission de penser par lui-même, et d’être responsable de la paix sociale, du bien-vivre ensemble, ce qui impliquait de savoir défendre des valeurs de culture, de progrès, de tolérance, de bienveillance. Le totalitarisme rampant de notre société, qui n’a guère de moderne que la technologie, oblige à la vigilance et au réveil des consciences. Il devient urgent d’instaurer un monde fondé sur une éthique du pouvoir, c’est-à-dire une autorité, qui s’enracine dans la responsabilisation individuelle, la vertu et la créativité ».
[3] La CEDH qui compte 47 pays dont la Russie ne doit pas être confondue avec l’Union Européenne et ses institutions composées uniquement de 28 états membres.
[6] Stefan ZWEIG, Conscience contre violence, p. 187.
[7] Ibidem, p. 190.
[8] Ibidem, pp. 201-202.
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