Coke en Stock
Cet album de BD célèbre des « aventures de Tintin », raconte la découverte par le reporter sorti de l'imagination d'Hergé, d’un trafic d’esclave, dissimulé sous le nom de « coke », relatif à la couleur charbon des pauvres hères qui en subissaient la loi, et au moment où l’on célèbre à tour de bras l’abolition de l’esclavage, celui-ci pourrait faire débat.
Officiellement, c’est le 27 avril 1848 que l’esclavage a été aboli en France…c’était la 2ème fois…à croire que la première n’avait pas réellement été un succès.
La 1ère fois, le 4 février 1794, plus de 50 ans auparavant, la convention abolissait l’esclavage sous la formule « le sol de France affranchit l’esclave qui le touche »…sauf à l’île Bourbon et aux Mascareignes, où il fallut attendre 1802. lien
C’est l’occasion de rappeler que l’histoire a souvent des trous de mémoire, oubliant que l’esclavage n’était pas seulement le fait de blancs mettant en coupe réglée des noirs…mais aussi dans l’autre sens, puisque au 16ème siècle et au delà, le nombre de blancs mis en esclavage par des musulmans étaient évalué au nombre de 35 000, (lien) sans commune mesure toutefois avec les 12 à 15 millions de noirs qui furent arrachés à leur terre natale à destination des Amériques pour le destin que l’on sait. lien
Si l’on s’en tient à la définition du mot « esclave », il semble bien qu’il y ait encore un long chemin à faire pour confirmer l’abolition en question.
Du latin sclavus, originaire de slavus (slave), l’esclavage avait même une patrie : la Slavonie, la plupart des esclaves en étant originaires à l’époque.
La Slavonie est aujourd’hui une région située au nord est de la Croatie, pays dans lequel il faut rappeler que le salaire minimum est de 2844 kunas, soit 376 €. lien
Il n’est pas inutile de se souvenir de la définition du mot « esclavage » : « L’esclavage est l’état d’une personne qui se trouve sous la dépendance absolue d’un maître qui a la possibilité de l’utiliser comme un bien matériel. Il est la privation de la liberté de certains humains par d’autres, dans le but de les soumettre à un travail forcé, généralement non rémunéré ». lien
Dans cette définition officielle, il faut retenir un mot : « généralement » non rémunéré.
Or que dire d’un salaire de 376 euros ?
Certes, ce travail n’est pas « forcé », mais n’assiste-t-on pas à la création d’une dépendance…, d'un esclavage volontaire ?
Le 10 mai 2011, un certain Nicolas Sarközi, commémorant la fin de l’esclavage, finissait son beau discours en déclarant : « comment pardonner ce qui est impardonnable (…) il ne faut pas pardonner. Il ne faut pas oublier. Il faut rester éveillé, vigilant, attentif, la conscience en alerte… » lien
Un an après, François Hollande y est allé à son tour d’un beau discours affirmant : « vouloir parler à toute la France et à tous les jeunes qui ignorent qu’il y a eu, dans un passé qui n’est pas très lointain, une traite, un esclavage ». lien
Le 10 mai dernier, il était en bonne compagnie, pour commémorer à nouveau l’abolition de l’esclavage, rappelant que le préjudice ne pourra jamais être réparé, (lien) alors que, télescopage de l’histoire, quelques jours auparavant, plus de 1000 esclaves volontaires trouvaient la mort suite à l’effondrement de l’immeuble dans lequel ils travaillaient sans relâche, payés misérablement à coup de lance pierre, afin que nous puissions acheter, pour quelques euros, des vêtements « à la dernière mode ».
C’était au Bangladesh le 24 avril 2013. lien
3000 ouvrières (en majorité) travaillaient dans cet immeuble prévu pour abriter seulement des bureaux, et pas de lourdes machines destinées à l’industrie textile, afin que nous puissions acheter en Europe, et ailleurs, des jeans moins cher.
L’entreprise qui exploitait tous ces ouvriers contre un salaire mensuel moyen de 30 € travaille pour plusieurs grandes marques de prêt à porter internationales : Benetton, Mango, Primark. lien
Ironie de l’histoire, la marque Mango commercialisait il y a peu une gamme de bijoux baptisée « style esclave », gamme qu’elle a finalement dû retirer devant la polémique créée. lien
Où s’arrête notre responsabilité ? Combien de citoyens écoutant le discours présidentiel étaient habillés grâce à ces esclaves Bangladais ?
Mais l'esclavage moderne ne se limite pas au Bangladesh.
Plus près de nous, une jeune Kenyane de 25 ans, payée 125 euros mensuels, en esclavage domestique chez des princes saoudiens, en villégiature parisienne, vient de réussir à quitter son enfer. lien
Au Nigéria, la police vient de libérer 17 adolescentes, esclaves d’une « usine à bébés »…elles étaient enceintes d’un même homme, et les nouveaux nés étaient destinés à être vendus. lien
Et quid de ces enfants esclaves d’Afrique occidentale, où malgré le protocole Harkin-Engel, signé en 2001, destiné à « éliminer les pires formes de travail des enfants et de travail forcé dans la culture et la transformation des fèves de cacao » ?
12 ans plus tard, on compte toujours près de 2 millions d’enfants toujours « esclaves du cacao » en Côte d’Ivoire, et au Ghana. lien
Et lorsque nous consommons du cacao, ne sommes nous pas complice de cette situation ?
En Mauritanie, l’esclavage a encore droit de cité, et comme l’écrit Steve Davis, si ce pays a aboli l’esclavage en 1981, il est toujours monnaie courante aujourd’hui. lien
« Aujourd’hui, les militants des droits de l’homme qui dévoilent les affaires d’esclavage en Mauritanie sont en proie au harcèlement perpétuel et emprisonnés » affirme Ahmed Jedou sur son blog. lien
En Chine, ce n’est guère mieux, et après avoir découvert en 2007 que des centaines d’ouvriers et d’enfants avaient été exploités comme esclaves dans le Shanxi et le Henan dans des briqueteries, le premier ministre de l’époque, Wen Jiabao, avait décidé de lancer une « grande inspection » concernant « le travail des enfants, le travail forcé et les maltraitances ». lien
Apparemment, les efforts du 1er ministre chinois n’ont pas été couronnés de succès puisqu’en 2010 de nouveaux cas d’esclavage étaient révélés. lien
Et ne parlons pas de ces 3 femmes, séquestrées pendant 10 ans, enchaînées juste pour satisfaire les besoins sexuel d’un « américain normal » à Cleveland, aux USA. lien
Plus près de nous, un géant du BTP, Vinci, pour ne pas le nommer, ne s’offusque pas que l’une de ses filiale paye un ouvrier travaillant en France pour 610 euros par mois, et 40 h par semaine. lien
Allons en Allemagne : s’il faut en croire Thierry Lepaon qui s’exprimait le 12 mai sur l’Antenne d’Europe 1, 7 millions d’allemands ne gagnent que 460 € mensuels, et dans ce pays présenté par certains comme un modèle, on en vient à se demander comment font ces salariés pour boucler leurs fin de mois ? lien
En juillet 2012, le CCEM (comité contre l’esclavage moderne) sauvait une jeune éthiopienne asservie en France par une famille des émirats arabes unis, ajoutant qu’aujourd’hui encore entre 6000 et 10 000 personnes seraient victimes d’exploitation sexuelle en France. lien
Mais pour ces cas dévoilés aujourd’hui, combien d’esclaves reste-t-il dans ce monde qui se veut pourtant souvent démocratique et apparemment transparent ?
Dans son dernier livre, « in Silico », Christine Deviers-Joncour donne une nouvelle dimension à l’esclavage, mettant en scène un aréopage de décideurs qui affirment : « nous sommes les nouveaux esclaves de la finance internationale »….et ils ont un plan qui pour être de la fiction n’est peut-être pas si éloigné de la réalité.
Extraits :
« Le peuple par nature ignorant, stupide et potentiellement violent devait donc être gouverné par une élite éclairée, faite d’implacables dominateurs. Alors la déclaration de guerre sociale allait être amplifiée. (…) il faut continuer à porter nos efforts sur l’automatisation du processus de production et remplacer définitivement l’homme par les ordinateurs et les robots et éliminer ainsi au maximum la population inutile. (…) par la misère, la malnutrition, la maladie ou le suicide, les exclus, pauvres et précaires seront ainsi condamnés à une mort lente et discrète ! (…) mais n’oubliez jamais que pour conserver l’efficacité d’une prison sans murs et obtenir l’esclavage volontaire, notre système doit garder les apparences de la démocratie et pour les esclaves l’amour de leur servitude ». lien
La frontière entre l’esclavage volontaire, et l’esclavage par contrainte est décidemment bien mince.
Comme on le voit, l’esclavage n’est pas mort, il bouge encore, et toutes les commémorations du monde, et toutes les gerbes de fleurs déposées, tous les discours lénifiants n’y changeront rien, sinon que de légitimer un scandale qui perdure, en toute bonne conscience.
Comme dit mon vieil ami africain : « la reconnaissance est le paiement du pauvre ».
L’image illustrant l’article provient de « revenire-d-art.over-blog.com
Merci aux internautes de leur aide efficace.
Olivier Cabanel
Article ancien
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