Consultant : l’intérim sans la prime
Derrière une image d’expertise technique, les sociétés de consultants jouent bien souvent le rôle d’agence d’intérim qui ne dit pas son nom, et leur activité pourrait être qualifiée de délit de marchandage. Evolution sociale, la plupart des grands groupes industriels sont devenus accros de cette nouvelle main d’œuvre, qui répond à ce besoin essentiel de toute entreprise moderne : avoir des salariés à la fois hautement qualifiés et jetables comme un mouchoir en papier.
Les entreprises emploient de plus en plus de consultants pour leurs projets, pour un surcroît d’activité, ou même en temps ordinaire. Le consultant est en vogue, il est plébiscité par les employeurs, du moins ceux qui résistent à la crise. Il faut dire qu’au-delà de ses compétences, son statut est avantageux pour l’entreprise cliente. Contrairement à l’intérim ou au CDD, aucune justification n’est demandée par la loi, la flexibilité est absolue, que ce soit pour les horaires, la durée, le renouvellement, la rupture... En effet, le consultant est géré par un contrat commercial, et non un contrat de travail, ce qui permet de faire à peu près n’importe quoi ! Seul inconvénient, il faut payer la boîte de consultance. Entre le salaire net du consultant et ce qui est facturé au client, j’ai constaté personnellement un rapport de 1 à 5. Mais la flexibilité n’a pas de prix.
Et la vie du consultant, à quoi elle ressemble, elle ? Un incessant voyage, qui peut être enrichissant au niveau professionnel, mais surtout extrêmement exigeant au niveau personnel. Des missions qui peuvent s’étendre sur plusieurs années ou sur … quelques jours, avec une réactivité attendue très forte. Un nouveau projet à l’autre bout de la France, voire à l’étranger, et hop il faut faire ses bagages sur le champ et partir. Enfin, c’est un choix. Vous pouvez aussi démissionner.
Exemple vécu : nouvelle mission dans une autre région confirmée au consultant le vendredi pour le lundi. Aucun frais de déplacement pris en charge par la boîte (logement chez un proche). Durée initiale de la mission : 1 semaine. Renouvellement d’une semaine de plus, deux fois de suite. Dernier renouvellement de deux jours. Fin de la mission. Mission suivante !
Comme les licenciements sont très faciles dans ces boîtes, le consultant a la pression pour trouver une nouvelle mission avant même d’avoir terminé sa mission en cours. Difficile de décliner un entretien chez un nouveau client, quelles que soient les conditions. Je me souviens avoir fait des journées de plus de 12 h, à travailler le matin chez le client, partir à midi sur des routes enneigées, mal déblayées, faire plus de 150 km de route (j’ai bien cru y passer parfois), à se caler un sandwich en roulant , histoire de tenir quand même la journée, pour passer un entretien chez un futur client, et revenir le soir tard dans la nuit. Ou passer le week-end en déplacement pour passer un entretien en clientèle, sans autre indemnité que le remboursement du billet de train. (Mais c’est toujours mieux qu’un chômeur, vous me direz, lui on lui rembourse rien.)
Et avec tout ça, les centaines d’heures sup bénévoles, la flexibilité absolue sur les horaires et les jours de travail, les menaces des clients quand ils ont peur que le projet ne marche pas (mais je réussis toujours, sinon j’aurais été viré), la solitude de devoir régulièrement refaire sa vie ailleurs, la précarité du logement (de mauvaises surprises parfois, comme la coupure du courant et de l’eau courante au moment d’emménager, ou un appart infesté de parasites), et l’impression justifiée d’être un simple numéro de contrat pour son « manager ». C’est pas pour rien que dans le métier, on parle de « boîte à viande » pour désigner les sociétés de consultants.
Et cela, pour quel salaire ?
Moins de 2000 euros nets par mois. C’est pas si mal, mais pour un ingénieur, c’est pas énorme non plus. Je donne cette valeur, car c’est la valeur moyenne que j’ai pu rencontrer, chez des consultants qui avaient déjà quelques années d’expérience. Certains commencent avec beaucoup moins.
Avantages supplémentaires ?
- Prime = 0
- 13ème mois = que dalle
- Participation =0 (bien que la société fasse des bénéfices et verse des dividendes importants à ses actionnaires.)
- Intéressement = 0
- Pas d’augmentation générale.
- Augmentations individuelles très faibles, souvent nulles pendant des années, pour des consultants qui donnent pourtant pleine satisfaction dans leur travail.
- Statut cadre = heures supplémentaires non payées, flexibilité horaire pour le client.
En 2009, une société de consultants jette à la porte (comme plein d’autres) une proportion importante de sa masse salariale à cause de la crise. Aucun licenciement économique, au mépris de la loi. La pratique que j’ai rencontrée : d’abord des pressions pour pousser l’employé à partir de lui-même. Puis, s’il ne veut toujours pas comprendre, lui « proposer » un licenciement pour faute grave (fictive bien sûr), que le salarié contestera, suite à quoi il sera amené à signer un accord, avec son employeur, de renoncement à toute poursuite (concernant son licenciement ou toute conduite de l’entreprise, ce qui lui interdit notamment de témoigner dans un éventuel procès pour licenciement d’un autre employé) ; en l’échange de quoi il aura droit à son indemnité légale (préavis + congés dus). Cette pratique a été réalisée, avec succès, de nombreuses fois dans mon entreprise. (le nombre est impossible à évaluer, les salariés ayant peu de liens entre eux et les syndicats bien sûr n’ont que les témoignages des employés qui ont fait appel à eux, bref pas de comptabilisation possible.) En parallèle, cette société a reçu le soutien de l’Etat pour mettre en chômage technique un bon nombre de ses consultants.
Suite à cela, la société a vu bondir son cours en Bourse, et l’année 2009 a été encore une fois excédentaire.
Les syndicats ? Faibles, impuissants. Ce n’est pas dans la culture des ingénieurs de se syndiquer. Leur formation leur a appris une certaine abnégation, la foi aveugle en l’entreprise et ses dirigeants ; seul le travail docile et acharné paye. (Et puis, quels moyens de pression ? Difficile de demander à un salarié, tout seul de son entreprise sur le site où il travaille, et qui ne même connaît pas ses collègues, de faire grève !)
Ces mêmes sociétés se plaignent dans les journaux de la difficulté à recruter. Ils alimentent la croyance qu’on manque d’ingénieurs en France. En réalité, quand on voit à quoi sont employés bon nombre d’ingénieurs, et ce qu’on accepte comme conditions de travail, on est plutôt en surnombre !
Ces entreprises ont eu une croissance exponentielle ces dernières années, et malgré la crise elles prévoient encore de s’accroître fortement. Elles prétendent faire de la R&D (c’est-à-dire qu’elles vendent des salariés qui vont faire de la R&D chez un client), ce qui leur permet de bénéficier de crédits d’impôt. Il y aurait encore beaucoup à dire, mais je m’arrête là.
La vérité, c’est que ces sociétés sont des parasites sociaux, qu’elles détruisent le droit du travail, atomisent les salariés. Ces sociétés, avec les boîtes d’intérim, sont l’avenir du salariat. Un salariat docile, flexible, corvéable à merci, prêt à être tondu sans broncher.
En ces temps de crise, où beaucoup n’ont pas de boulot, ou encore plus précaires et plus mal payés, mes jérémiades apparaitront peut-être déplacées à beaucoup (et je ne parle même pas des travailleurs chinois !). Si cela ne concernait que moi et ma profession, je fermerais ma gueule. Mais je crois que c’est symptomatique de la crise de l’ensemble du salariat occidental (*). Et comme les journalistes officiels ne parlent jamais des consultants, sauf à relayer la propagande du service de com’ des grosses boîtes du secteur, il fallait bien que je m’essaye à rétablir un peu l’équilibre de la parole.
Le Capitalisme a gagné. Nous avons perdu. A moins d’un changement radical de direction, nous nous enfonçons vers une ère bien sombre. Mais aucun politicien ne semble prendre la mesure des choses. Prenez un Besancenot, supposé radical. Il propose quoi ? Interdire les licenciements. Mais c’est de la connerie, ça ! Ca sert à rien de bloquer le système, il faut le changer !! Trouver une stratégie pour que chaque salarié, chaque homme et femme de ce pays, de cette Terre, puisse gagner en liberté, gagner sa vie sans se plier aux chantages des rentiers, et puisse enfin lancer de grands « FUCK » aux nantis qui veulent tout posséder en exploitant le travail des autres ! Pourquoi ne parle-t-on jamais de liberté dans les médias, autrement que par des expressions telles que « restriction des libertés » ? Pourquoi la liberté n’est-elle jamais au programme des politiques ? Pourquoi tous ces cons votent pour que nous travaillions plus pour que les nantis gagnent plus ?
SUR LES MURS DE MA PRISON
LIBERTE J’ECRIS TON NOM
Allez, je vais me coucher pour être en forme au boulot demain. Performance !!!
Bon courage à tous.
(*) j’ai failli parler d’une traversée du désert, mais le jeu de mot était vraiment trop mauvais.
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