De la réforme psychiatrique
Quand le psychiatre devient juge...
Article 66 de la constitution française : Nul ne peut être arbitrairement détenu.
L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.
Article 9 de la déclaration universelle des droits de l’homme : Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé.
Définition de arbitraire d’après le dictionnaire de l’Académie Française : Qui n’a pas de justification légale ni rationnelle ; qui dépend du caprice d’un homme, d’une autorité.
Préambule fait, que penser du système d’internement psychiatrique sous contrainte français eu égard à notre constitution, et à la déclaration Universelle des droits de l’Homme ratifiée en 1948 par la France ?
La loi du 27 juin 1990 sur l’internement psychiatrique a déjà ceci d’anticonstitutionnel qu’elle permet la détention d’une personne qui n’a commis absolument aucune infraction (en effet une personne, d’après cette loi, peut être internée sous contrainte sans passer devant aucune autorité judiciaire, sur demande d’un tiers ou du préfet lui-même, avec seulement l’aval de deux psychiatres comme condition préalable).
La décision qui d’après l’article 66 de notre constitution devrait appartenir au seul juge, devient de fait celle d’un préfet et de deux psychiatres, ou celle d’un tiers et de deux psychiatres dans le cas de l’hospitalisation à la demande d’un tiers.
Après la loi actuellement en discussion pour réformer celle de juin 1990, l’arbitraire sera renforcé puisqu’il suffira à une « autorité » seule (un psychiatre) de décider de l’internement, le tiers n’étant plus nécessaire si le psychiatre « pense » que la personne concernée nécessite des « soins » psychiatriques forcés. Même s’il n’est pas établi que cette personne représente un quelconque danger pour elle-même ou pour les autres.
Quand on sait que les psychiatres eux-mêmes sont les premiers à déclarer que la psychiatrie n’est pas une science exacte, et qu’aucun diagnostic établi par la psychiatrie ne peut être autre chose qu’une hypothèse, on ne peut que s’inquiéter lourdement de ce pouvoir donné à une profession dont l’absence de résultats est flagrante.
Historiquement, le pouvoir arbitraire de la psychiatrie a toujours été un instrument politique totalitaire. Il suffit de se rappeler le programme T4 d’euthanasie sous l’Allemagne nazie, ou les hôpitaux de la psychiatrie soviétique ou étaient envoyés tous les opposants au régime, sous couvert de lutte contre la « pensée déviante », pour avoir un aperçu de ce que la psychiatrie représente en matière de destruction de la liberté individuelle dans notre société.
Lorsque l’on veut pouvoir enfermer quelqu’un sans avoir à prouver un quelconque méfait devant l’autorité judiciaire, il n’y a qu’une solution : s’attirer la sympathie et l’accord d’un psychiatre pour déterminer qu’une personne doit être internée. Le juge est dépassé, il est laissé au rebut, son avis ne compte plus (si ce n’est a posteriori, une fois que vous êtes déjà interné, s’il vous reste la force de demander un recours).
Notre système n’est pas nouveau. Ses antécédents récents datent du code Napoléon. L’actuel article 122-1 du code pénal sur la déresponsabilisation des personnes atteintes d’abolition du discernement (aliénés) correspond à l’article 64 du Code Napoléon. La loi du 27 juin 1990 sur l’hospitalisation sous contrainte correspond à la loi de 1838 sur l’internement des aliénés.
Déjà à l’époque le célèbre journaliste Albert Londres, qui fit fermer les bagnes de Cayenne, écrivait : « À quoi peut aboutir, administrativement, la grande misère des fous criminels ? » demandait-il, puis de répondre : « À des vaudevilles. Ces vaudevilles ont deux auteurs. (...) L’un s’appelle : l’article 64 [du Code pénal de 1810, sur l’irresponsabilité pénale] ; l’autre : la loi de 38. Ils se valent. S’ils ne partagent pas équitablement les droits d’auteur, c’est que l’un vole l’autre. L’article 64 fait bénéficier d’un non-lieu ou fait acquitter le personnage principal de la pièce, lequel porte toujours le nom d’« aliéné criminel ». Aussitôt, la loi de 38 s’empare du monsieur. » Terminant son reportage, il affirme : « La loi de 38 n’a pas pour base l’idée de soigner et de guérir des hommes atteints d’une maladie mentale, mais la crainte que ces hommes inspirent à la société. C’est une loi de débarras. » De plus : « La loi de 1838, en déclarant le psychiatre infaillible et tout-puissant, permet les internements arbitraires et en facilite les tentatives. (...) Sous la loi de 1838, les deux tiers des internés ne sont pas de véritables aliénés. D’êtres inoffensifs, on fait des prisonniers à la peine illimitée. »
Depuis, la loi n’a finalement fait que devenir de plus en plus arbitraire. La loi de 1838 prévoyait que l’internement des « aliénés » ne pouvait se produire qu’après passage devant l’autorité judiciaire. La loi de 1990 détruit le garde-fou de l’autorité judicaire. Le seul « juge » devient le psychiatre. La réforme de 2010 détruit les derniers gardes fous : le deuxième avis d’un autre psychiatre, le contrôle du tiers n’existent plus.
A la source tant historique que pénale du problème, se trouve la fameuse irresponsabilité pénale du « fou ». Parce qu’en refusant de juger le « fou » (ou celui arbitrairement déclaré comme tel), c’est finalement l’égalité pour tous devant la justice qui est bafouée. Le « fou » a le droit à la justice, comme tout autre citoyen. En lui déniant ce droit, on le jette dans les bras de l’arbitraire, là où la psychiatrie peut en faire ce qu’elle veut, sans même que la justice soit mise au courant.
Et lorsqu’on comprend que le « fou », c’était l’autre hier, que ce peut être votre enfant aujourd’hui, et que demain ce sera vous, selon le bon vouloir d’un psychiatre, on sait que si nous laissons notre constitution n’avoir plus force de loi, le totalitarisme gagnera notre pays, inexorable comme la peste de 1347.
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