Eliminer à jamais les mutilations génitales féminines
En 2003, à l’issue d’une conférence internationale tenue à Addis-Abeba, les Nations Unies décrétaient le 6 février Journée Mondiale contre les mutilations génitales féminines. On estime à 130 millions le nombre de jeunes filles et femmes concernées par ces pratiques dans le monde, et plus de deux millions de fillettes les subiraient encore chaque année dans près de 33 pays, dont en particulier 28 pays africains. En Europe, certaines communautés africaines immigrées attachées à ces traditions, perpétuent toujours la pratique de l’excision, soit sur place dans leurs pays d’accueil, soit lors de "vacances" dans leurs pays d’origine.
Il s’agit principalement de traditions africaines profondément ancrées dans la culture. D’où la grande difficulté d’aborder le sujet, de le dénoncer et de le combattre. Il existe de fait plusieurs types de mutilations génitales féminines (MGF) comme l’excision, appelée souvent à tort "circoncision féminine". Car en réalité la seule pratique qui pourrait être comparée à la circoncision des garçons, est la moins grave de ces mutilations : il s’agit de la "sunna", qui consiste à enlever le capuchon du clitoris. L’excision féminine proprement dite, consiste en l’ablation partielle ou totale du clitoris et, souvent aussi, des petites lèvres.
Enfin, la forme la plus extrême et la plus mutilante, l’infibulation, dite encore "excision pharaonique", consiste à coudre et joindre par cicatrisation, les grandes lèvres de l’organe génital préalablement excisé, fermant ainsi le vagin en ne lui laissant qu’un petit orifice. Cette pratique doit assurer la chasteté et implique qu’avant le mariage ou l’accouchement, la femme ainsi infibulée doive être incisée ("ouverte"), et parfois refermée à nouveau par la suite. Les conditions sanitaires dans lesquelles sont pratiquées ces "interventions" sont souvent déplorables (parfois avec un simple morceau de verre, ou une lame de rasoir) et, outre les conséquences immédiates (hémorragies, etc.), les conséquences médicales (infections chroniques, douleurs, stérilité, etc.) et psychologiques qu’elles entraînent sont très importantes.
Les motifs prétendus de telles mutilations sont aussi divers que peu fondés : motifs "religieux" de pureté, virginité ou chasteté - alors qu’aucun texte religieux, à commencer par le Coran, ne recommande ces mutilations -, ou encore des motifs socio-économiques comme l’augmentation de la valeur vénale de la femme sur le marché du mariage. A l’origine, il s’agirait de pratiques initiatiques rituelles - mythiques et symboliques (1) - qui auraient ensuite évolué en "moyens" d’une domination patriarcale (2).
Actuellement, la tradition perdure toujours, le plus souvent encore par manque de volonté d’appliquer la législation. Au Soudan par exemple, où l’infibulation est interdite depuis 1946, plus de 80 % des femmes y sont néanmoins toujours soumises. En Somalie, l’excision concernerait, elle, près de 98 % des filles, et en Egypte à ce jour, de 60 à 80 % selon les régions ! La lutte contre les mutilations génitales de la femme est cependant parfaitement légitimée par les droits humains et les droits spécifiques des femmes et des enfants. En conséquence, elle s’inscrit également à l’évidence dans les Objectifs du Millénaire pour le développement. C’est précisément pour rappeler cela que plusieurs institutions des Nations Unies réalisent des campagnes de sensibilisation sur les MGF comme la Journée Mondiale contre les mutilations génitales (3).
Grâce encore au travail poursuivi par de nombreuses associations civiles dans les pays concernés, la prise de conscience commence à porter ses fruits. Ainsi, à l’issue d’une conférence internationale organisée par l’association allemande de défense des droits humains Target, et tenue au Caire fin novembre 2006, de hauts représentants religieux parmi lesquels le grand imam Mohammed Sayyed Al-Tantawi (4), avaient tenu à réaffirmer, sans la moindre ambiguïté, que l’Islam ne prescrivait aucunement ces mutilations.
Outre le problème de violation du droit de la femme, les mutilations génitales mènent souvent à des états de chocs, à des infections, voire même, à long terme, à la mort. Après avoir entendu plusieurs médecins et spécialistes internationaux, ils prirent la décision remarquable de considérer les pratiques de mutilations génitales féminines comme agressions répréhensibles, de les juger en tant que crimes contre l’espèce humaine, et ont appelé à leur interdiction et à la punition de leurs auteurs. Il s’agit, encore et toujours, de faire propager cette décision dans les 33 pays concernés.
Les MGF restent aujourd’hui, en effet, l’un des problèmes majeurs liés aux droits de la personne humaine, et les preuves incontestables de leurs effets nocifs sur les mères comme sur leurs bébés doivent donc légitimement conduire partout à leur pénalisation.
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1 Dans la conception ancestrale africaine, tout enfant vient au monde avec les deux sexes. En "enlevant" le clitoris chez la fille, et le prépuce chez le garçon, on enlève le stigmate charnel censé appartenir au sexe opposé, et seulement alors l’individu acquiert son identité sexuelle.
2 La plus grande majorité des hommes refusant d’épouser une jeune femme non excisée.
3 UNICEF, UNIFEM, OMS, OIM, HCDH, ONUSIDA, PNUD, UNCEA, UNESCO, UNFPA, UNHCR,…
4 L’imam de la Mosquée Al-Azhar, la plus haute instance de l’islam sunnite dans le monde.
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Le témoignage d'une femme malienne, recueilli par l’association GAMS
"En Bambara, se faire exciser se dit "s’asseoir sur le couteau". Il y a dans cette expression l’idée d’une maîtrise de la douleur et celle de la participation active de la fille à son excision (1). En Sarakolé, exciser une fille se dit "lui donner le droit à la prière". Certains pensent que les femmes non excisées ne pourront pas faire correctement leurs ablutions et que le sang des règles s’accumulera dans le clitoris. Purifiées par l’excision, les filles pourront prier Dieu.
J’ai été excisée à l’âge de douze ans, avec 24 petites filles de mon village. A la fin d’une longue veillée de fête, au petit matin, on nous a conduites chez l’exciseuse, femme de forgeron. Ma mère m’avait expliqué ce qui se passerait et surtout ce que je devais faire : je m’assiérais, on m’écarterait les jambes et on couperait une partie de mon sexe ; cela me ferait mal mais il ne faudrait pas le montrer, je ne devais ni pleurer, ni bouger ; je devais maîtriser le mal pour l’honneur de la famille ; enfin je danserai pour exprimer ma joie. La douleur fut terriblement violente mais je m’efforçais de n’en rien montrer pour respecter les miens.
Plus tard sont nées mes filles et je refusais pour elles le martyre que j’avais vécu moi-même. J’étais encore très jeune et, dans mon pays, on disait et on dit encore beaucoup de mal des femmes non excisées : elles seraient laides et stériles, elles ne sauraient pas résister à leurs pulsions sexuelles. Jeunes épousées, elles risquaient de tuer leur mari lors du premier rapport sexuel. J’ai fait exciser mes filles peu de temps après leur naissance pour que, au moins, elles ne se souviennent pas. Je pense que si elles étaient nées plus tard, j’aurai eu la force de ne pas les faire exciser car je sais aujourd’hui que tout ce que l’on dit au sujet de l’excision est faux. La religion ne la réclame pas et elle est dangereuse ; l’excision est encore une atteinte aux Droits des femmes."
1 Ce qui n’est pas toujours le cas : dans certaines contrées, les fillettes ne sont pas informées de leur sort. Elles sont forcées et maintenues par plusieurs adultes lors de l’opération.
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La palabre contre les mutilations
Khadidiatou Diallo est Sénégalaise. Excisée et infibulée dès l’âge de 7 ans, elle sera mariée sans son consentement cinq années plus tard à un homme de 33 ans son aîné. Elle a aujourd’hui refait sa vie en Belgique avec un mari qu’elle a librement choisi et est devenue l’une des chevilles ouvrières du GAMS-Belgique, sur le modèle des groupes du même nom existant en France (Fédération des Groupements pour l’Abolition des Mutilations sexuelles féminines).
Sensibiliser les femmes africaines sur la gravité des mutilations génitales féminines est l’une des tâches que s’est données l’association. Convaincre les victimes de la gravité des mutilations subies n’est pas toujours aisé, mais le fait d’avoir été elle-même victime de ces mutilations renforce la crédibilité de Khadidiatou face aux préjugés de certains. "Nous organisons des journées de palabre avec les femmes africaines établies en Belgique. En général, elles ne savent pas que l’excision est un problème et qu’elle peut causer des maladies. Puisque toutes les femmes de leur famille l’ont subie, elles n’imaginent pas que cela peut causer du tort. C’est en leur remémorant les difficultés lors des accouchements, les douleurs et les pertes de sang lors des rapports sexuels que petit à petit, l’une ou l’autre laisse de côté les tabous pour avouer qu’elle a subi ça elle aussi. Le dialogue s’instaure et nous leur expliquons que ces souffrances proviennent de l’excision."
D’autre part, dans certains pays d’Afrique où un dialogue est possible, le GAMS-Belgique explique aux populations à quel point les MGF sont nuisibles à la santé. Des résistances se font souvent entendre cependant du côté des exciseuses, ces femmes qui font de la mutilation génitale leur gagne-pain. "Dans mon pays, le Sénégal, nous sommes parvenues à mettre en place des formations professionnelles pour ces femmes exciseuses si elles acceptent de renoncer à leur couteau. Treize d’entre elles l’ont déjà fait dans le département de Valingara, et l’une d’elles est ensuite devenue animatrice du projet de sensibilisation des populations", explique Khadidiatou.
"Les progrès sur le terrain sont lents mais encourageants. Quatorze pays africains ont promulgué des lois contre les MGF, et en Belgique, les filles qui risqueraient d’être mutilées si elles retournent dans leur pays obtiennent une régularisation de leur séjour. Nous devons poursuivre la lutte pour qu’un jour les MGF soient épargnées à toutes les filles."
(Source : Amnesty International)
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