Eric de Montgolfier, procureur et citoyen, s’exprime sur le thème de la réforme de la justice
Organisé au siège niçois du Grand Orient, première obédience maçonnique de France, un colloque public réunissait le 13 juin un peu plus d’une centaine de participants autour du thème de la réforme de la justice (« Une réforme qui ne prend forme : la réforme de la justice »). Le succès de la manifestation était garanti par la présence exceptionnelle du grand maître de l’ordre, Jean-Michel Quillardet (avocat parisien), par celle de Robert Charvin (brillant doyen honoraire de la faculté de droit de Nice) mais aussi et surtout par la participation d’Eric de Montgolfier, célèbre procureur de la République à Nice. Au-delà des postures sécuritaires des uns ou démagogiques des autres : « la justice, ne la réclamez pas, prenez-la ! », concluait le magistrat au terme de presque deux heures qui auront marqué plus d’un esprit présent entre les colonnes du temple.
De Montgolfier et franc-maçonnerie niçoise : un mauvais départ vite rattrapé
Le premier point de vue d’Eric de Montgolfier, alors tout nouveau procureur de la République à Nice, sur la franc-maçonnerie locale n’augura rien de bon. Tout d’abord contrariés par le constat accablant de certaines pratiques, les contacts purent toutefois évoluer à la faveur de rencontres provoquées par quelques-uns des membres les plus remarquables de la maçonnerie niçoise du Grand Orient de France. En homme libre, Eric de Montgolfier prit peu à peu conscience de la nature exemplaire et profondément républicaine du projet maçonnique du Grand Orient, en France comme à Nice.
Colloque sur la réforme de la justice organisé par le GODF
C’est dans un tel état d’esprit qu’il acceptait de participer, mercredi 13 juin, à un colloque conjointement organisé par le Grand Orient de France et l’une de ses loges niçoises, à vocation ouvertement transalpine, « Fraternité franco-italienne ».
Ainsi, la séance débuta avec plus d’une demi-heure de retard, en partie dû à l’affluence record que connut le temple de la rue Bonaparte. Elle fut animée par le professeur Robert Charvin, lequel avait rejoint l’organisation de ce colloque. La participation, pour l’occasion, de Jean-Michel Quillardet, dont le nom ne raisonnait certes pas autant aux oreilles des « profanes » que celui du célèbre procureur de la République, n’en constituait pas moins pour les francs-maçons locaux, dont il est le grand maître, un évènement tout aussi exceptionnel.
La justice, un sujet proprement maçonnique
Jean-Marie Quillardet, dans son discours introductif, rappela ses fonctions profanes (avocat depuis plus de 20 ans au barreau de Paris) tout en précisant son intérêt pour le sujet en sa qualité de grand maître : « La justice ne peut être qu’un sujet sur lequel un franc-maçon doit se pencher ». Il rappela la subjectivité « par nature » de la justice humaine, justice qui doit cependant reposer - et c’est là le défit auquel elle se confronte - sur des bases objectives et équitables. Les projets actuels, portant sur une réforme de la justice (projet de loi sur la récidive et sur les peines plancher notamment), doivent donc être observés à la lumière de ce défit.
Soulignant la situation assez paradoxale d’une justice qui semble aujourd’hui porter la critique d’un système dont elle était jadis le bras armé, Robert Charvin souhaita quant à lui dresser d’emblée un portrait radicalement critique de l’enseignement du droit, lequel ne forme, selon le professeur à la faculté de Nice, « ni de grands théoriciens ni de solides techniciens, tout juste de bons utilisateurs du droit des affaires ». Toute réforme efficace de la justice ne pourrait-elle donc pas débuter par une réforme de son enseignement ?
La justice, un véritable bien commun
Ce fut l’un des axes de l’analyse repris plus tard par Eric de Montgolfier qui, après avoir rendu hommage au droit en tant que garant de l’intérêt collectif au travers de ses outils traditionnels (les codes), réaffirma un principe plus d’une fois illustré au cours de sa carrière : « la justice n’est pas là pour rendre des services à la société ». Le « bon juge est celui qui s’écarte de sa naissance, de ce qu’il a appris, pour être impartial, jusque dans l’apparence (il le faudrait souvent) mais au moins dans la réalité », même si cet objectif, avoua-t-il, reste très difficile à atteindre pleinement. La réforme de la justice ne peut être qu’un travail visant à faire admettre au peuple que la justice est son bien, celui que chacun doit protéger, même lorsque ses propres intérêts particuliers peuvent être menacés par une décision de justice impartiale. D’essence fondamentalement démocratique, la justice est le reflet d’un peuple.
L’inexpérience des juges et l’ENM en question
Se hasardant, avec toutefois beaucoup de prudence, sur un terrain plus glissant, Eric de Montgolfier esquissa un point de réforme de la justice lui paraissant plus urgent que d’autres : la suppression de l’Ecole nationale de la magistrature, laquelle aurait donc fait son temps, après qu’elle eût permis d’assurer au pays plusieurs générations de juges biens formés à la défense de l’intérêt commun. « Ecole de technocrates devenus juges trop jeunes par concours, l’ENM à vécu » et devrait, selon le procureur niçois, laisser la place à un système permettant la promotion d’hommes expérimentés qui, après avoir passé 10 ou 15 ans à des postes d’avocats ou de procureurs, pourraient postuler à la fonction de juge.
Reconnaissant le portrait d’une justice qu’il connait bien (celle qui va toujours plus vite, traite toujours plus de dossiers), J.-M. Quillardet illustra ce thème de la trop grande précocité des nominations au sortir de l’ENM, en évoquant ces jeunes juges qui, comme à Outreau, doivent « faire face à une réalité qui s’impose à eux ». Au sujet d’Outreau, il s’interrogea, tout de même, « en aurait-il été différemment avec un juge plus expérimenté ? », pour finalement reconnaître qu’il ne pouvait en être certain... S’inscrivant dans la réflexion du procureur de Montgolfier, il admit le principe de l’accession à la charge de juge d’individus d’expérience. En bon avocat, le Grand Maître du GODF relança tout de même la question de la présomption d’innocence, laquelle lui parait trop souvent bafouée, notamment par une presse avide de juger.
Violation du secret de l’instruction : l’opinion en question
« Pourquoi s’attend-on à ce que la presse respecte la présomption d’innocence ? », interjeta le procureur... Eric de Montgolfier reporta en effet la responsabilité de la violation du secret de l’instruction, non sur la presse mais sur l‘opinion, laquelle devra pourtant bien un jour admettre l’impérieuse nécessité de ce secret, avant même que de chercher à réformer une justice sur laquelle elle exerce déjà de fortes pressions.
Intervenant dans le débat, Robert Charvin remarqua, avec un brin de malice, combien cette question ne ressurgissait finalement que depuis que des personnalités avaient fait les frais de la violation du secret de l’instruction. Par le passé il n’en était que très rarement question, « l’honneur d’un sans-grade n’ayant certainement pas le même poids que celui d’un politique ».
« La politique pénale, c’est la loi ! »
Sur le thème du lien entre les magistrats du parquet et le pouvoir politique, les points de vue divergèrent quelque peu : Eric de Montgolfier ne semblait pas s’insurger contre l’existence d’un tel lien, lui opposant sa « profonde croyance en l’homme » comme seul garant de sa propre indépendance, y compris du pouvoir politique. Sur ce thème, J.-M. Quillardet évoqua le projet de création d’un poste de « procureur national », chargé de l’application d’une politique pénale qui ne serait que le reflet d’un programme pour lequel un politique aurait été porté au pouvoir par une majorité de Français. A cet argument, en faveur d’une réforme vers davantage d’implication des représentants du peuple dans la mise en application de la loi, le procureur de Nice répondit énergiquement : « la politique pénale c’est la loi ! », il n’y en a pas d’autre, quel sens y aurait-il à ce qu’un gouvernement demande à appliquer ou à ne pas appliquer telle ou telle loi ? Le risque d’une politique pénale est donc « qu’elle soit surtout de la politique et de surcroît de la politique très influencée par les circonstances... ».
Quelques interventions donnèrent l’occasion aux débateurs de préciser leurs thèses sur les thèmes déjà abordés. Revenant sur cette nécessaire réforme... de l’opinion sur le sujet de la justice, Eric de Montgolfier ne se priva ainsi nullement d’accuser de sensationnalisme une opinion et une presse ayant partie liée, poussant parfois même à parler « ceux qui ont pourtant fait serment de se taire ». Cette « chaîne du malheur », inaugurée par la violation du secret de l’instruction, insista le procureur, pourrait ainsi trouver toutes sortes d’illustrations dans une actualité récente, chargée d’exemples où la dignité d’hommes intègres fut bafouée sans ménagement - et certainement à jamais - à la faveur de jugements dictés par le poids d’une opinion pressée de juger.
Attention aux réformes dictées par l’inquiétude de l’opinion
En conclusion Eric de Montgolfier et ses codébateurs s’accordèrent à reconnaître dans une société qui a peur une société qui tend à demander à sa justice d’asséner des peines toujours plus lourdes. Comment donc interpréter ces réformes de la justice voulues par le politique en des temps où fleurissent tant de sujets d’inquiétude ?
« Nous jugeons déjà souvent trop vite à cause de l’opinion publique reconnut le procureur. Que n’oublions-nous suffisamment le comportement du prévenu placé en face de nous, alors qu’on ne devrait pénaliser que par la preuve ! ». Aux applaudissements nourris qui suivirent cette dernière déclaration, Eric de Montgolfier répondit en s’adressant à cette opinion dont il se méfie tant et dont il voyait, dans l’assemblée qui lui faisait face, les représentants bien inconscients : « La justice, ne la réclamez pas, prenez-la ! ».
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