Faut-il abolir les 35 heures ?
En plaidant pour un « déverrouillage » des 35h, Manuel Valls a sans nul doute réussi un excellent coup médiatique. Mais il a aussi relancé le débat sur l’intérêt de cette mesure socialiste emblématique, largement détricotée depuis son lancement, dans un contexte économique et social très différent de celui qui l’a vu naitre en 1998.
Historique et impact
Lancée par le gouvernement Jospin en 1998, et défendue notamment par Martine Aubry, alors ministre des affaires sociales, la réforme des 35h avait d’abord pour objectif la création d’emplois (700.000 pour le gouvernement socialiste d’alors). Cette diminution de la durée hebdomadaire légale du travail avait pour contrepartie une plus grande flexibilité des horaires.
Entrée en vigueur en 2000, ses effets réels ont fait l’objet d’un débat assez vaste. Il existe néanmoins un certain consensus pour considérer que cette réforme a eu pour résultat :
· la création d’un certain nombre d’emplois à court termes (peut-être 350.000 entre 1998 et 2002 d’après l’INSEE) ;
· Une modération salariale et des gains de productivités pour les entreprises (grâce notamment à l’annualisation du temps de travail) ;
· Un poids important sur les finances publiques (lié aux baisses de charges).
Une analyse de 2003 de l’OCDE concluait que « Au total, les effets à court terme de cette mesure ont très probablement été positifs sur l’emploi. Dans une perspective de plus long terme, on peut craindre que cette politique de réduction collective du temps de travail pèse lourdement sur les finances publiques et qu’elle ait entamé le potentiel de croissance économique. »
Bien qu’il soit difficile d’évaluer avec précision l’impact de ces mesures sur l’ensemble de l’économie française, il faut néanmoins noter que ceux-ci ont été variables en fonction des entreprises et salariés ;
· Les PME et leurs salariés ont été peu affectés, en raison des différentes mesures d’exemption prévues dans les lois successives. L’application retardée de cette loi pour les PME, et un régime dérogatoire au niveau des heures supplémentaires, a entrainé pour ces salariés soit un très léger accroissement de salaire, soit une légère augmentation des congés, à coût quasi-nul pour les PME.
· Les grandes entreprises ont appliqué les 35h en y couplant une réorganisation de leur fonctionnement (flexibilité), qui a souvent conduit à des gains de productivité importants. Les salariés qui ont le plus bénéficié de cette mesure sont sans doute les cadres (par l’intermédiaire des RTT). L’impact financier éventuel pour les ouvriers par exemple a souvent été contrebalancé par des accords de modération salariale sur le long terme. Les gains en matière d’emplois ont été variables, en raison d’un processus de délocalisation d’un certain nombre d’activités de ces entreprises.
· Les services publics ont en revanche été plus impactés. Les collectivités locales ont généralement procédé à des embauches afin de maintenir leurs services, mais l’État, en raison de sa situation financière, n’a que rarement pu compenser la réduction du temps de travail. L’exemple le plus flagrant des difficultés d’adaptation a bien sûr été celui de l’hôpital.
En termes macro-économiques, il faut néanmoins aussi indiquer les impacts indirects de cette réduction générale du temps de travail, sur le tourisme par exemple, qui sont assez difficiles à chiffrer.
Au fil des années, les gouvernements de droite qui ont suivi le gouvernement Jospin ont petit à petit limités l’impact de cette réduction du temps de travail pour les entreprises par divers assouplissements. L’ensemble des divers dispositifs dérogatoires des lois Aubry ont été définitivement remplacés en 2007 par la loi TEPA, instituant une modification du système de taxation des heures supplémentaires. En revanche, il n’y a pas eu de remise en cause du système dans le secteur publique.
Faut-il réformer, maintenant ?
Contrairement au mécanisme institué par Gilles de Robien en 1996, les 35h ne couplait pas obligatoirement l’exonération de charges à l’embauche, et s’appliquait à l’ensemble des travailleurs. On était donc plus dans une vision « sociale » que strictement économique, avec un coût financier nécessairement important pour la collectivité.
Dans la mesure où le contexte économique et financier est infiniment plus délicat qu’en 1998, et que l’impact éventuel sur l’emploi des 35h est depuis longtemps terminé, il n’est donc pas illégitime de se poser la question de leur pérennité, d’autant que les mesures récentes d’assouplissement contenues dans la loi TEPA ont été, de l’avis de la grande majorité des économistes, contre-productives.
La proposition d’Emmanuel Valls est celle d’un accroissement de la durée légale de travail hebdomadaire, de 35 à 37 ou 38h (disons 37,5 pour faire simple, soit 30 min/jour), augmentation intégralement payée (37,5 payées 37,5), avec la disparition de l’exonération fiscale inscrite dans la loi TEPA pour les heures supplémentaires entre 35 et 39h hebdomadaires. Quelles en seraient les conséquences éventuelles ?
· Les salariés du privé les plus modestes seraient peu affectés : une partie n’est pas imposable (et ne bénéficie donc pas de la défiscalisation des heures sup), une partie serait effectivement légèrement affectée par une légère baisse de revenus (en moyenne une dizaine d’euros par mois), tandis que d’autres auraient l’avantage de bénéficier d’un accroissement de revenus liés à l’accroissement de travail. Il faut de plus indiquer que la loi TEPA a sans doute eu pour effet pervers de déplacer vers les heures sup des embauches potentielles. Il est donc possible qu’une légère reprise des embauches résulte de cette réforme, plus probablement au niveau de l’intérim.
· Les PME seraient peu affectées, dans la mesure où elles ont été jusqu’ici épargnées par les lois de réduction du temps de travail. Néanmoins, un accroissement de la durée légale pourrait avoir un impact positif pour certains artisans et commerçants, en permettant un allongement de leur durée d’ouverture.
· Les cadres pourraient voir le nombre de leur RTT diminuer ; en effet, leur durée effective de travail est en général supérieure à 35h, compensée par les RTT. Leurs revenus ne devraient pas être globalement modifiés, mais cette réduction des RTT pourrait s’accompagner de revendications salariales nouvelles.
· Les grandes entreprises pourraient en revanche voir globalement leur masse salariale s’accroitre, les 37,5h remplaçant un système plus flexible de recours aux heures sup. C’est sans doute la raison pour laquelle le Medef est actuellement opposé à cette proposition.
· L’impact le plus sensible serait de nouveau situé dans les services publics : si l’accroissement de la durée hebdomadaire de travail permettrait sur le long terme une meilleure gestion du nombre de fonctionnaires, le surcout à court termes pour l’État et les collectivités serait très important s’il était intégralement compensé par des hausses de salaires correspondantes.
On le voit, en l’état, une telle proposition n’est pas sans poser quelques problèmes. Il est loin d’être certain que les gains financiers liés à l’abandon des mesures d’exonérations fiscales puissent être compensées par les surcoûts directs dans le secteur public. En revanche, une telle mesure pourrait avoir un effet positif sur les comptes sociaux, dans la mesure où ces heures nouvelles ne sont plus exonérées de charges sociales.
Afin d’être réellement intéressant, une telle mesure d’abandon des 35h mériterait d’être complétée par plusieurs éléments :
- Le retour vers un décompte des horaires pour un certain nombre de cadres intermédiaires (notamment commerciaux) forcés à travailler au forfait, avec de nombreux abus ;
- Un renforcement du corps des inspecteurs du travail parallèlement à cet assouplissement ;
- Un chiffrage du cout/bénéfice pour la fonction publique (cet accroissement ne pourra pas se traduire intégralement par une augmentation de salaire, mais pourrait être traduit de façon mixte au niveau retraite par exemple) ;
Éventuellement, on pourrait imaginer que ce retour au 37,5h soit proposé de façon provisoire (jusqu’en 2015) afin de permettre à la fois un redressement des comptes sociaux et un accroissement du pouvoir d’achat, et être alors réexaminé par le parlement en fonction de la situation économique.
Sur le plan de l’emploi, il est probable que la mesure serait neutre. Pour être pleinement efficace, les mesures d’allègement de charges doivent être plus strictement reliées aux embauches. Si la réduction du temps de travail doit légitimement demeurer un objectif social, il doit aussi être conçu de façon plus flexible pour tenir compte des situations très différentes auxquelles doivent faire face petites ou grandes entreprises et fonction publique. De façon plus générale, il ne serait pas inutile de revisiter le système proposé par la loi de Robien de 1996, qui avait lui conduit à des embauches pérennes dans un réel mécanisme de négociations collectives. Il faut aussi souligner que le système des 35h avait en son temps été critiqué au sein du PS par les partisans de la semaine de 4 jours, qui avaient inspiré le mécanisme Robien. Dans cet esprit, si une remise en cause des 35h devait voir le jour, il semblerait nécessaire de coupler les réflexions indispensables de leur impact financier à celles sur de nouvelles options pour permettre des réductions de temps de travail plus efficace en matière d’emploi et plus souple en fonction des entreprises concernées.
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