Un de mes vieux potes, nostalgique de « l’école d’autrefois »vient de m’envoyer un diaporama qui comporte parmi d’authentiques photos de classes anciennes plusieurs images d’élèves actuels, en sarrau gris dans une vieille salle de classe, trahis par les baskets qu’ils ont aux pieds. J’y ai reconnu une image illustrant l’article de Kookaburra « le chemin de l’inculture », (un instituteur en blouse grise devant un tableau avec des croquis de champignons !)
L’Ecole, comme tant d’autres systèmes ne peut survivre que s’il n’est pas "socialement adiabatique" (tiroir n°2, casier 7, à côté de métonymie et d’intericonicité ; que le Maître me pardonne ce clin d’oeil irrévérencieux...) c’est à dire qu’il est condamné à la sclérose et à la mort s’il se coupe des réalités du monde qui l’entoure. Il se doit donc d’échanger et d’être en équilibre avec un contexte qui évolue et, donc, lui-même, évoluer. C’est inéluctable et même nécessaire, et parmi ceux qui souhaitent des changements dans l’Ecole d’aujourd’hui, les quelques nostalgiques d’un retour aux anciennes pratiques, avec le décor ad hoc digne d’une dictée de Pivot se trompent sur plusieurs points. Ce qui ne signifie pas, bien sûr que le système éducatif français actuel donne pleinement satisfaction - beaucoup s’en faut- et donc ne nécessite pas un ensemble d’améliorations, de réaménagements. Ce qui ne signifie pas non plus que certains éléments caractéristiques de l’Ecole d’autrefois ne puissent pas être utilisés à profit de nos jours...
Austérité, efficacité...et hypocrisie ?
Tous ceux qui, comme moi on connu la "communale" des années 50 ont souvenir des us et coutumes alors en vigueur : la méthode syllabique pour la lecture, garante d’un bon taux de réussite et préservant des dyslexies et autres anomalies de lecture et d’écriture, était pratiquée , comme tant d’autres méthodes, avec une implacable rigueur. Certes, il y avait bien quelques points de départ "ludiques", susceptibles d’accrocher l’intérêt des jeunes élèves, mais dans l’ensemble, il était admis qu’il fallait souffrir un peu à d’exigeants exercices destinés à assurer de solides bases...Le solfège d’abord, il serait temps plus tard de goûter aux morceaux choisis. Les "opérations", qui faisaient grincer les ardoises et écailler la peinture de mauvais tableaux noirs faisaient suer les tâcherons hauts comme trois pommes, elles étaient sans cesse recommencées, puis effacées et n’avaient souvent aucune justification apparente. Pourquoi soustrayait-on 231,75 de 1002,4 ? Pour le fun bien sûr..et pour certains, c’était vraiment le cas.Ces exercices portaient même assez bien leurs fruits, au prix toutefois chez quelques-uns de chagrins qui duraient une éternité d’enfant, c’est-à-dire une heure ou deux.
Dans le monde actuel, une telle pédagogie semble impensable, pour diverses raisons .
D’une part, et on peut le déplorer, travailler pour la seule raison que le travail est en soi une vertu n’est plus généralement admis et surtout pas par la grande majorité des parents, qui n’ont évidemment aucune raison de donner une telle image du travail à leurs enfants, surtout quand le leur est une galère, assortie de précarité, de stress permanent et de rétributions médiocres
D’autre part, la sévérité du système de l’époque, qui s’efforçait de vaincre les réticences naturelles à coups de taloches n’est plus possible aujourd’hui, quand on voit les réactions épidermiques de certains parents dont on a à peine effleuré la progéniture. Et on ne saurait ériger en principes de telles pratiques. La vieille plaisanterie du questionnaire livré aux familles autrefois "comment faut-il le (la) prendre ?" avec la réponse "par les oreilles !" est à mettre au musée, avec la férule, la plume sergent-major et l’encrier en porcelaine. Pour les amateurs de sanctions "à l’ancienne", je conseille la visite du musée de Champlitte, en Haute-Saône, où l’on peut admirer un superbe "siège à fessées", avec un seul accoudoir, dans lequel l’instituteur pouvait administrer le châtiment tout à son aise !
Faut-il regretter ces "temps bénis" ? Certainement pas.
Les enseignants sont descendus depuis un bon moment de leur piedestal qui leur assurait une certaine "autorité", très artificielle dans la mesure où bon nombre de parents n’avaient eux-mêmes pas fait d’études secondaires, et souhaitaient que leurs gosses "s’en sortent", c’est à dire prennent l’ascenseur social et n’en bavent pas comme eux . Ils étaient prêts pour cela à accepter la grande sévérité des maîtres et même à en rajouter de leur côté. C’est sans doute par cela que le "respect" du maître ou de la maîtresse tenait. Toutefois, ne nous y trompons pas : derrière le sourire forcé, il y avait souvent le ressentiment. Je pourrais vous citer des scènes de sanctions corporelles dont j’ai été le témoin auprès desquelles, le coup de règle sur les doigts semble bien anodin. Il ne peut y avoir de réelle liberté dans un système qui repose uniquement sur la crainte. L’autorité qu’il faut cependant installer ne peut l’être par un autoritarisme forcené, mais dans un respect mutuel.
Nos braves enseignants faisaient en sorte de hisser toutes leurs troupes aux mieux de leurs possibilités, mais il y avait quand même une telle obsession de la réussite qu’il s’en suivait de curieux comportements : il fallait du rendement, et le fameux "certificat d’études primaires", tant convoité à l’époque était surtout une épreuve pour le maître d’école, qui pouvait ne présenter à l’examen que les élèves susceptibles d’y réussir. Eh oui, il (ou elle) était aussi jugé en fonction du taux de succès à cette épreuve. J’ai souvenir d’une petite voisine, que l’institutrice n’avait pas voulu présenter, et qui, présentée par ses parents, fut néanmoins reçue...Vexation suprême pour l’enseignante, qui aurait dû au contraire s’en réjouir.
Pour parvenir à des résultats au top, ceux-là mêmes qui, un peu comme dans "Topaze" de Pagnol, faisaient calligraphier "la fin ne justifie pas les moyens" ou "plus fait douceur que violence", n’hésitaient pas à faire pleuvoir les baffes quand l’urgence de la situation l’imposait. . Quelquefois pour des entorses flagrantes à la discipline, mais souvent pour le non-respect de règles grammaticales, ou une déclinaison fantaisiste. Qu’auraient fait ces mêmes profs devant les "incivilités" auxquelles on assiste maintenant ? A titre d’anecdote : dans les années 50, dans un collège public de la Nièvre, avec internat, un élève qui avait commis le vol d’une gomme et d’un crayon fut soumis au châtiment suivant : le fouet, administré par un surveillant, devant tous ses camarades réunis au carré dans la cour d’honneur..Avec le mot de la fin du dirlo : "voilà comment, chez nous,on traite les voleurs", Il ne manquait dans ce beau navire que la cale et les fers...
A vrai dire, l’Ecole de grand-papa remplissait bien son rôle dans le contexte de l’époque, avec des méthodes dont certaines ne pourraient avoir cours aujourd’hui. Une minorité continuait des études, et ceux qui sortaient après l’école primaire, avec ou sans le CEP, trouvaient malgré tout généralement du travail, beaucoup de métiers étaient alors accessibles, nécessitant surtout des capacités physiques et une bonne formation de terrain. La donne était bien différente d’aujourd’hui. Et s’il est vrai que les "naufragés de la vieillesse" que nous sommes devenus ,selon la formule traditionnelle, se souviennent avec émotion de l’odeur des tables cirées et de la poussière de craie, de cette ambiance scolaire un peu spartiate, dans cette France qui sentait le scaferlati et la brillantine où on était heureux avec peu de choses, il leur reste encore assez de neurones pour comprendre que ceci n’est plus transposable dans sa totalité à l’Ecole d’aujourd’hui. Sur le radeau de la Méduse, certes, mais lucides.
L’Ecole d’ "après" : une usine à inculture ?
Elle a connu bien des bouleversements, avec l’introduction de quelques nouveautés mémorables.
On peut signaler par exemple la méthode "globale" d’apprentissage à la lecture, qui aurait dû susciter la méfiance des enseignants, sachant que si un adulte appréhende globalement les mots qu’il connait déjà, il revient à la décomposition en syllabes dès qu’un nouveau mot assez long se présente (essayez de lire globalement déhydroépiandrostérone, ou hydroxyphénylalanine). Or, par définition pour un enfant qui débute l’apprentissage, tous les mots écrits sont nouveaux. On en est assez largement revenus, ainsi que pour les maths dites "modernes" que certains présentaient comme une "révolution irréversible dont on ne pourrait plus se passer". L’entrée d’un nouveau jargon en grammaire, pour désigner les mêmes réalités qu’avant ne semble pas non plus avoir été d’une efficacité remarquable quant aux résultats obtenus. Bon, disons que dans ce dernier cas, si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas non plus faire de mal à condition que tout le monde parle le même langage...
L’auteur de l’article "les chemins de l’inculture" déplore la dégradation de la "culture", la seule reconnue de celles et ceux qui ont fait leurs "humanités" selon la formule classique. Mais la culture est protéiforme, elle intègre aujourd’hui des champs d’expérience nouveaux, auxquels n’avaient pas accès les anciennes générations. Par exemple l’informatique, que l’Ecole s’est appropriée, en tant qu’outil, li-même capable de véhiculer de la culture, et aussi en tant qu’objet d’étude dans les niveaux supérieurs.
Il regrette aussi que les "fondamentaux" soient mal maîtrisés, voire pas du tout. Notons toutefois que l’ancien ministre Xavier Darcos qui est passé pourtant par la vieille école n’a pas non plus donné une preuve éclatante de cette maîtrise, , resté en rade avec la règle de trois et le futur antérieur. Il y a environ vingt-cinq ans, un de mes copains était déjà scandalisé des fautes de grammaire dans les lettres de son fils aîné, pourtant...ingénieur ! Ca n’est donc pas récent.
S’il est vrai que les élèves actuels sont victimes d’un certain "zapping intellectuel", qui ne les incite pas à l’approfondissement, la cause en est à rechercher dans les composantes de leur vie quotidienne, où ils sont soumis aux salves des images, ne permettant guère de s’attarder : immédiateté, brièveté, donc à l’extérieur de l’Ecole, (bien que celle-ci, de part l’ampleur des programmes qui ne permettent pas souvent d’approfondir, ne donne pas toujours l’exemple). L’apparition du clip vidéo (années 80 ?) correspond à cela. De plus, on leur a donné les moyens d’être de bons consommateurs d’instantanéité, avec l’illusion de la liberté de "créer" : photos avec le portable,n’importe où, n’importe quand, de n’importe quoi.
Quant au prétendu mauvais "rendement" de l’Ecole actuelle, (non l’aspect économique des choses qu’on nous rabâche pour justifier les suppressions de postes) mais le rendement en terme de % d’alphabétisation, il suffit d’examiner les
chiffres donnés par l’UNESCO, bien que ceux-ci soient à prendre avec prudence, car il faudrait qu’ils tiennent compte de certains paramètres, comme le taux réel de fréquentation scolaire, lequel, s’il n’est pas bon dans certaines zones actuellement, (surtout dans le secondaire), n’était pas toujours fameux dans la France rurale d’après guerre, en raison des travaux saisonniers auxquels les gosses devaient participer. Il y a aujourd’hui moins d’analphabètes qu’il y a un demi-siècle.
L’auteur insiste aussi sur la dévalorisation qui affecte selon lui les diplômes. Mais il existe encore heureusement des filières d’excellence avec des classes préparatoires aux grandes écoles ! Ce que l’on peut regretter toutefois pour celles-là, c’est l’énormité du pressing et de la sélection qui s’y opèrent. Un de mes collègues disait "qu’ils en bavent maintenant ! Ce sera leur tour ensuite d’en faire baver aux autres" Belle mentalité de requin, propice à produire des machines à écrabouiller ses semblables quitte à s’étonner ensuite de la "mode" des suicides dans certaines entreprises ! Les pays où on n’exerce pas une sélection aussi drastique ni une stigmatisation de l’échec ont-ils de moins bonnes élites ?
Le problème majeur actuel vient de la présence dans les différentes sections d’une population d’élèves qui, autrefois, ne s’y trouvaient pas. Le phénomène concerne spécialement les collèges.En fait leur problème essentiel est bien dû à l’existence d’élèves "victimes de la scolarité obligatoire jusqu’à seize ans" selon certains, pas très doués, pas très motivés, écoeurés par le peu de perspectives qui leur sont offertes au sortir du système et pour lesquels l’Ecole n’a pas de réponse appropriée. Je ne cautionne en rien leur comportement, qui débouche parfois sur des drames et qu’il faut évidemment sanctionner, mais comme ils sentent que ce qu’on leur propose en classe ne leur servira à pas grand chose, que leur patron pourront les prendre et les jeter comme une marchandise et comme certains parents prennent et éjectent leurs conjoints, qu’ils n’ont pas souvent de soutien chez eux, faute de volonté ou faute de moyens, on voit mal comment il pourrait y avoir une écoute respectueuse des enseignants et autre chose dans certains cas qu’un envie de violence.
L’Ecole actuelle en France ne fonctionne pas si mal, si on la considère dans son ensemble, bien que plusieurs points noirs attirent l’attention, dont on la rend trop souvent unique responsable . Elle n’est pourtant rien de plus ni de moins que le reflet du monde dans lequel nous vivons. Tant qu’on n’aura pas réussi à redonner aux jeunes l’espoir d’un vrai "métier" (comme le dit AS Benoît) et non d’une probabilité d’emploi dont le seul et unique but sera d’essayer de survivre, il sera vain de croire que des mesurettes de type carotte ou de type bâton pourront régler le problème.