Faut-il sauver le soldat Galliano ?
Parfois les soldats sont fatigués. Gagner des batailles n’est pas de tout repos. Et il en a gagné, des batailles. Pendant les quinze ans où il a collaboré avec la maison Dior, celle-ci a vu son chiffre d’affaire multiplié par six. John Galliano est un bon soldat. Et comme tout soldat on le retrouve parfois à la cantine. Fatigué. Une peine dans le coeur, à ce qui se dit. Alors il boit. Il boit comme on peut boire parfois : trop. Et quand on boit trop - ou que l’on a mélangé l’alcool avec autre chose - on dit des conneries. Alors il dit des conneries, le soldat Galliano.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH455/1377576784-2741b.jpg)
La vidéo stupide
Comme sur cette vidéo qui est passée en boucle sur le net. On le voit assis à une table de café, pochtron décalé. Dans cette forfanterie dérisoire que son statut de star lui fait porter, alors que l’on se demande s’il pourra quitter son siège sans tomber, il se laisse filmer par un téléphone portable. Et là - provocation ou profession de foi réelle ? - il affirme aimer Hitler, à des gens qu’il ne connaît pas. Accablante cette vidéo, dit-on. Quoique, à la manière détachée et peu convaincue avec laquelle il parle, faut-il vraiment le prendre au sérieux ? N'en fait-on pas trop ?
Dans cette époque de police de la pensée, je me demande parfois si l'on n'a pas perdu la raison.
Pour l’incident de la semaine dernière, celui qui lui vaut la une des médias et une procédure en licenciement, on ne sait pas où est la vérité. D’un côté un couple l’accuse d’avoir proféré des insultes antisémites. De l’autre il nie totalement ce qui lui est reproché. Et cinq témoins lui donnent raison :
« Dans des lettres, deux vigiles et le gérant du bar La Perle, situé dans le quartier du Marais, ont indiqué ne pas avoir entendu de tels propos. Ce fut également le cas de deux clients, présents au moment des faits et entendus par la police lundi. »
Cinq personnes, dont deux vigiles et deux consommateurs : cela fait beaucoup.
Ce qui le charge est donc cette vidéo qui n’a rien à voir avec l’affaire récente. Mais cette vidéo fait question : John Galliano est-il vraiment pro nazi et antisémite.
Soit c’est le cas et il cache son jeu. Tant qu’à faire allons dans l’obscur : peut-être alimente-t-il financièrement des groupes néo-nazis ? Mais quelqu’un l’a-t-il une fois entendu faire l’apologie du régime nazi comme si c’était sa philosophie ? A-t-il défendu ouvertement et régulièrement des positions racistes ? Je n’ai rien trouvé de tel à son sujet.
Soit il a un fond de rejet à l’égard du monde et cela tombe dans le fossé le plus couru, celui de l’anti-sémitisme. Il suffit alors d’une période de tension ou de mal-être pour amorcer la pompe à connerie. Et que l’on aime ou non Galliano, il est visiblement mal dans sa peau.
Le provocateur
Soit il aurait dû choisir un autre monstre à admirer en guise de provocation. Hitler, ça ne passe pas. Le personnage cristallise le pire de ce que l’humanité a pu produire. Ce qui reste de la vidéo sont ces mots : « J’aime Hitler ». Cela pourrait n’être qu’une intention provocatrice dans un contexte personnel de mal-être et sous l’influence de substances perturbantes. Dans son cas cela semble plausible. Mais aujourd’hui la lettre prime sur l’esprit, les mots priment sur l’intention. Les tribunaux jugent hors contexte, comme on l’a vu avec Zemmour.
Il y a pourtant d’autres sujets de provocation. Il pourrait par exemple s’en prendre aux riches, contre lesquels les insultes ne sont pas considérées comme une discrimination. Ou mieux : à des tyrans du passé. S’il avait dit : « J’adore Gengis Khan et je pourrais vous passer par le fil de l’épée », il aurait fait rire et n’aurait jamais été accusé de racisme. Pourtant Gengis Khan a été l’un des empereurs les plus sanglants que le monde ait porté. La conquête de l’Asie, jusqu’aux portes de l’Europe, a été un bain de sang avec des centaines de milliers de morts, souvent tués de manière cruelle et gratuite. La civilisation perse a été détruite pour des siècles à cause de ses armées. Et il n’y a pas que la Perse. Les Mongols ont envahi et occupé la Chine après avoir rasé Pékin et tué tous ses habitants. Ensuite ils ont pratiqué dans le pays une politique raciste de ségrégation en interdisant les mariages entre l’ethnie occupante et les vaincus. Mais admirer Gengis Khan ne tombe sous le coup du racisme : tout cela est trop ancien, trop éloigné de nous.
Bref. La maison Dior a décidé de licencier son directeur artistique. La clientèle riche ne comprendrait pas qu’il reste en place. Commercialement c’est logique. Mais voilà, l’Histoire réserve parfois quelques surprises. En 1963, Françoise Dior, nièce de Christian Dior, s’était faite remarquer lors d’une interview restées dans les anales. Elle présente son fiancé, le chef du parti nazi anglais ; elle affirme son allégeance aux théories racistes du national-socialisme ; et au final proclame qu’elle vénère Adolf Hitler. La vidéo est ici.
Le soldat de talent
La collision des deux affaires frappe les esprits. Certes les propos de Mademoiselle Dior n’engagent pas la maison de couture à laquelle elle n’était pas liée. Et ne devrait même pas être évoquée, au risque de dédouaner un peu trop vite John Galliano s’il est vraiment raciste. Mais cette information faisant le tour du net, il est normal de la mentionner en précisant l’absence de lien commercial entre Christian Dior et sa nièce.
Indépendamment de cette affaire je ne sais pas qui est John Galliano. Je vois l’image publique, provocatrice et excentrique, dandy psychédélique, qu’il donne de lui-même. Je ne connais rien de sa personnalité. Je n’ai donc aucun avis sur lui en tant que personne. Sur le plan juridique la justice décidera des suites à donner à l’affaire. En attendant John Galliano n’est pas condamné. Et en tant que soldat de la haute-couture il reste libre de travailler. Et de se faire engager ailleurs. Car il faut considérer l’audace, la fantaisie et la provocation créatrice qu’il a apporté dans son métier. Il en a fait une sorte de théâtre où il met en scène les images les plus étonnantes sorties de son imaginaire prolifique. Quelle générosité artistique ! (Images tirées de la collection Dior printemps-été 2007. Cliquer sur les images pour les agrandir.)
Je me fiche de la haute couture, n’ayant ni les moyens ni le goût d’en être client. Mais sur le plan professionnel, oui, il faut sauver le soldat Galliano. Peut-être sera-t-il plus tard condamné en justice. Peut-être restera-t-il marqué par cette vidéo stupide et cette attitude pour le moins détestable, voire criminelle. Peut-être a-t-il besoin d’une aide pour remettre ses idées en place. Mais son jaillissement jouissif devrait encore pouvoir illuminer les plateaux des défilés. Oui, il faut sauver le soldat Galliano, et l’engager dans une autre maison pour qu’il continue à jeter des étincelles dans les yeux.
Pour s’en convaincre, quelques images de la collection printemps-été 2004 :
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