Le Conseil Constitutionnel a
annulé les dispositions les plus choquantes de la loi HADOPI, et notamment
celles qui faisaient injure à la présomption d’innocence. N’a donc été
promulguée et publiée au journal officiel, samedi 13 juin, que la partie non
censurée de la loi.
Cette loi prévoyait originellement de sanctionner toute personne téléchargeant des fichiers (y compris des flux audio et vidéo en streaming) sur le réseau Internet par la suspension de son accès à Internet, après 2 avertissements ; sans toutefois s’assurer que le prétendu contrevenant les eût bien reçus. Cette suspension devait être prononcée par une commission administrative, sans que l’internaute incriminé ne fût entendu.
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a commencé par rappeler avec force le principe de la liberté d’expression – inscrit dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 - et a considéré conséquemment l’accès à Internet comme étant un droit fondamental, en cela que toute restriction à cet accès induit une atteinte à la libre communication des pensées et des opinions, Internet étant devenu un vecteur de communication essentiel.
Est-ce à dire qu’il n’y aura pas de sanction en cas de téléchargement illégal ? Non. Et le Conseil Constitutionnel réaffirme par cette possibilité de sanction le droit de propriété des auteurs sur leurs œuvres. En cas de piratage, il y a sanction. Cependant l’internaute qu’on soupçonne de télécharger illégalement reste présumé innocent ; ce n’est pas à lui d’apporter la preuve de cette innocence. Or dans l’ancien texte, aujourd’hui annulé, l’internaute était présumé coupable, et devait prouver son innocence ! De plus, toujours dans le sens de cette présomption d’innocence et du respect des droits de la défense, le Conseil Constitutionnel réaffirme la suprématie de l’autorité judiciaire sur l’autorité administrative en ces termes :
« …la commission de protection des droits ne peut prononcer les sanctions prévues par la loi déférée ; que seul un rôle préalable à une procédure judiciaire lui est confié ; que son intervention est justifiée par l’ampleur des contrefaçons commises au moyen d’internet et l’utilité, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de limiter le nombre d’infractions dont l’autorité judiciaire sera saisie »
La commission de protection des droits se voit donc retirer toute possibilité de sanctions, contrairement à ce que prescrivait l’ancien texte : elle ne peut désormais que recueillir, filtrer puis transmettre à l’autorité judiciaire les données qui lui paraissent fonder des poursuites. C’est donc le droit commun qui s’applique. Et l’autorité judiciaire ne peut condamner l’internaute poursuivi qu’après s’être assurée que l’accusation, soit le procureur de la république, a prouvé sa culpabilité. Toujours en vertu du droit commun pénal, le principe de « la personnalisation des peines » s’applique. C’est-à-dire que la sanction n’est pas forcément la suspension de la ligne, comme le préconisait l’ancien texte. La sanction doit être adaptée à la gravité de la faute, à la personnalité de l’auteur de l’infraction, à la gravité du dommage, bref à l’ensemble du contexte ayant entouré cette faute. Le justiciable poursuivi peut bénéficier d’un avocat, et exercer les recours habituels : appel, cassation, cour européenne de la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Alors quand on prend connaissance de cette fameuse loi HADOPI et de tous ces rebondissements, on ne peut qu’être consterné, et se dire : « Tout ça pour ça ! ». En arriver après 2 votes à l’assemblée, un passage au Conseil constitutionnel, des tonnes d’articles, tant dans la presse écrite, qu’audiovisuelle, à réaffirmer les droits les plus basiques de notre société, inscrits en lettres de feu dans notre constitution ! A savoir, que tout homme est présumé innocent tant que n’a pas été rapportée par une condamnation définitive la preuve de sa culpabilité ! Que cet homme, ou cette femme, a le droit de se défendre, devant un vrai juge, et non pas devant une administration aveugle , d’avoir une vraie sanction en cas de culpabilité, c’est-à-dire adaptée à sa personnalité, et non être victime d’un barème, le même pour tous, dans le cas de l’espèce, la suspension brutale de la ligne internet, avec obligation, tenez vous bien, de continuer à payer l’abonnement ! Risquant finalement une double condamnation si les ayant-droits poursuivent également ! Et ce n’est pas fini parait-il ; il va y avoir un nouveau tour de piste à l’assemblée !
Mais on aurait tort néanmoins de sous-estimer ce qui se passe. On assiste aujourd’hui à un changement des mentalités, où les droits de la défense s’en trouvent affaiblis. Soyons justes : cela n’a pas commencé lors de cette législature.
Il n’est besoin pour s’en convaincre que de rappeler des procédures parfaitement iniques, telles la fameuse CRPC, ou « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité », ou la non moins célèbre procédure dite « de composition pénale ». Elles permettent au ministère public en cas de reconnaissance par un justiciable de sa culpabilité de zapper la case tribunal. Exemple : en cas de CRPC, le présumé innocent, mais néanmoins poursuivi par le parquet se trouve devant le procureur ou un de ses substituts, qui lui propose une peine. C’est à la carte : 6 mois de prison, 500 € d’amende, ou 1 an, 6 mois de suspension du permis, ou 3 mois etc. Certes la présence de l’avocat est obligatoire. Mais sous un apparent respect des droits de la défense se cache un piège pour les libertés publiques. Pourquoi ? Parce que cette reconnaissance de culpabilité par la personne poursuivie repose exclusivement sur son aveu. Or cet aveu est bien souvent obtenu en garde à vue, dans des conditions déplorables. Le justiciable ne dort pratiquement pas, a peur, ne mange pas, ne boit pas, doit prier pour les besoins les plus élémentaires. Combien de fois n’ai-je entendu : « oui, maître, j’ai reconnu les faits, mais je voulais sortir, retrouver ma maison ». Très difficile par la suite de revenir sur ces aveux extorqués. La machine judiciaire s’emballe. J’ai connu au cours de mon activité d’avocat le temps où, même en cas d’aveu, on laissait à la personne poursuivie la possibilité de faire plaider sa cause devant un tribunal composé de 3 magistrats. Maintenant c’est un luxe. Les tribunaux composés de 3 magistrats du siège ne connaissent que les infractions les plus graves. Or, dans le même temps, des scandales judiciaires récents ont montré la fragilité de l’aveu, comme preuve de culpabilité.
Aujourd’hui, la composition pénale fonctionne de plus belle, sur le même principe que la CRPC ; sauf que dans le cas de cette composition pénale, le présumé innocent ne se trouve pas devant un magistrat du parquet assisté de son avocat obligatoire, mais d’un délégué du procureur, qui n’est pas un magistrat, sans aucun pouvoir de négociation, et sans avocat imposé. Là encore on croit sauver les apparences : le tribunal dans les 2 cas doit homologuer la peine. Le tribunal constitué….d’un magistrat du siège, qui homologue les yeux fermés la peine « négociée » avec le parquet, d’autant plus qu’il n’examine pas l’affaire, et n’interroge pas le prévenu !
Aujourd’hui on évoque cette possibilité de CRPC en matière criminelle ! Dérive inquiétante !
Mais, c’est probablement en matière de circulation routière que prolifèrent les textes les plus liberticides. Notamment lorsqu’on veut proposer une loi donnant aux policiers, suivis du préfet, la possibilité, à partir d’une infraction présumée au code de la route, d’immobiliser le véhicule d’un justiciable pendant des mois, sans lui donner la possibilité de faire entendre sa cause par un juge. Or la liberté d’aller et venir est aussi un droit constitutionnel et le véhicule un moyen d’y accéder.