Interdiction de vote en AG aux copropriétaires défaillants
La proposition de loi n°894 (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0894_proposition-loi) vise à interdire aux copropriétaires en défaut de payement de voter aux assemblées générales des copropriétaires d'immeuble. Pourquoi cette proposition n'a aucun sens et qu'elle est nuisible ?
I) Objections pratiques selon les circonstances
Trois objections peuvent se poser :
a) Cela présuppose par conséquent la régularité de l'appel de charges. Supposons que le syndic n'ait pas envoyé d'appel de charges à M.X et qu'à la suite de cela, M. X se voie privé du droit de vote, que se passe-t-il en cas de contestation judiciaire par la suite ? Les délibérations auxquelles n'a pas pu voter M. X sont-elles annulées ?
b) Que se passe-t-il si le montant d'appel de charges est erroné et que M.X ne veut pas payer parce qu'il estime que le montant est indu ? Ou que, à la suite de l'appel de charges qu'il n'a pas honoré, il décide de contester la validité de l'assemblée générale au cours de laquelle a été voté l'appel de charges pour des travaux exceptionnels ? On l'aura privé de vote a posteriori à tort. Ce "retrait de vote" entraînera-t-il l'annulation des délibérations ?
c) Se posent des cas pratiques de voyage de l'occupant à l'étranger, de chèque envoyé égaré par la poste (ou par le syndic)...
II) Autres problèmes
Mais même en se plaçant dans un cadre régulier (appel de charges bien fondé et correctement reçu et non payé par l'occupant), il y a encore d'autres problèmes.
1) Si M. X est privé de son droit de vote, qu'il régularise par la suite ses appels de charge et retrouve son droit de vote, ne risque-t-il pas de proposer à l'AG d'après de revenir sur les dispositions votées en son absence ? Cela créée donc une insécurité juridique et potentiellement des revirements d'années en années
2) Avec un peu d'exagération, on pourrait même penser au cas où M.Y, très riche, voudrait prendre le contrôle de l'immeuble : il fait voter des travaux ruineux en profitant de l'absence des autres, et ensuite, peut contrôler l'immeuble en profitant des défaillances des autres copropriétaires.
III) Une philosophie sous-jacente détestable
Mais en fait, à la base même, cette proposition est aberrante :
a) Philosophiquement et légalement, le droit de vote à l'AG vient du fait, non que je paye mon appel de charges, mais que je suis copropriétaire. Le fait de ne pas payer l'appel de charges ne m'ôte pas cette qualité
b) Cette disposition favorise les plus riches : on passe d'une "démocratie" à une ploutocratie où seuls ceux qui ont le plus de moyens peuvent participer à la vie de l'immeuble, au détriment des pauvres et impécunieux.
IV) Conséquences probables
Enfin, il semble que l'on n'a pas réfléchi à une conséquence très probable : généralement, les plus pauvres sont les plus attentifs à ne pas voter des travaux dispendieux, tandis que les gens qui ont plus de moyens ont tendance à les voter. S'ensuivent plusieurs conséquences :
-d'une part, une explosion des charges de copropriété, puisque seuls ceux qui ont les moyens de payer les charges participent au vote, et donc votent des travaux dispendieux
-d'autre part, une aggravation du sort des occupants qui n'ont pas de quoi payer les charges, puisque celles-ci se trouvent augmentées par ces travaux ! Déjà, ils n'avaient pas de quoi payer le montant d'avant, ils n'auront sûrement pas de quoi payer du coup les nouvelles charges au montant augmenté !
-enfin, si les copropriétaires défaillants régularisent et soumettent à l'AG d'après de revenir sur les dispositions votées lors de leur absence forcée, cela voudra dire que l'on pourra revenir sur des travaux et dépenses votés pour les annuler, alors même qu'une partie des frais aura déjà été dépensée (dépense en pure perte).
Au-delà de ces questions économiques, il y aura enfin une augmentation des contentieux juridiques par les copropriétaires considérés comme défaillants mais qui contestent ce point, ce qui veut dire, outre une insécurité juridique non négligeable, une hausse des charges de copropriété due à l'augmentation des frais de justice.
V) Les arguments en défense
Un dernier mot sur les arguments mis en avant par les initiateurs de cette proposition, qui paraissent particulièrement mal fondés :
-il s'agirait « de compliquer le défaut de paiement des charges afin de prévenir les dégradations » : cela ne compliquera rien du tout, puisque les copropriétaires, quand ils ne payent pas leurs charges, le font généralement parce qu'ils n'ont pas l'argent. Cette loi n'empêchera donc pas les défauts de payement. En fait, elle les favorisera même, allant à l'encontre du but souhaité, puisque les appels de charges exploseront du fait des travaux dispendieux probablement votés par les copropriétaires qui ont le plus de moyens et ne rechignent pas à la dépense.
-autre argument avancé : « les choix du vote du budget ne se feront pas en fonction des dettes des copropriétaires mais des nécessités d’entretien de l’immeuble » : ce présupposé est grotesque et montre une fois de plus le mépris envers les nécessiteux : comme si ceux-ci s'opposeraient systématiquement et par défaut à toute dépense utile d'entretien de l'immeuble ! En revanche, ils peuvent s'opposer à des travaux d'embellissement non nécessaires à la survie immédiate de l'immeuble, et la proposition de loi reviendrait à faire dépendre le choix du vote du budget en fonction du pouvoir de payement des copropriétaires et la fortune des plus riches, ce qui n'est pas mieux.
Bref, une énième attaque contre les classes moyennes et populaires, déjà étranglées par l'inflation, la réduction (ou la disparition) des allocations chômage, le rabotage des APL, etc.
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