« Journée sans immigrés » : Un cadeau empoisonné aux immigrés et un service rendu au libéralisme
C’est la seconde année qu’est organisée en France ce 1er mars « Une journée sans immigrés pour améliorer leur visibilité… » Les immigrés seraient maltraités et méprisés dans notre pays selon les nouveaux défenseurs de cette grande cause. Un fond de commerce qui a le vent en poupe sur fond de libéralisme économique via le modèle anglo-saxon de la logique des identités. Il s’agit de faire dans la discrimination positive, façon visibilité par une mise en retrait des immigrés, manquant ce jour là.
Il faut dire qu’ils ont d’autres soucis, qu’ils partagent avec tous au titre des injustices sociales étroitement liées à un capitalisme qui ne faiblit pas dans ce domaine. Les nantis et les patrons comptent bien sur ce genre d’initiative pour donner longue vie à l’adage : « diviser pour mieux régner ». Il est facile il est vrai de désigner des victimes et un bourreau puis de se mettre dans la peau du sauveur, toutes les démagogies sont rompues à cette méthode. Ces nouveaux apôtres peuvent-ils entendre qu’ils se trompent de combat ?
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Une initiative inspirée par une Amérique, toute à l’opposé de la France laïque et républicaine.
On nous explique que cette initiative se serait inspirée de la mobilisation économique des latinos américains en 2006 pour la régularisation de quelques 12 millions d’« Illégaux » latinos vivant et travaillant sur le sol américain. Mais qu’est-ce que les immigrés en France peuvent bien avoir en commun avec cela. Ce ne sont pas « des immigrés » qui se sont rassemblés alors, mais une communauté de latinos grâce au rassemblement de laquelle ils entendent peser selon une logique de tribu. Les communautés identitaires constituent aux Etats-Unis un principe de l’organisation de la société sur le modèle anglo-saxon de séparations ethniques, culturelles, religieuses alliées à une concurrence des droits propre à logique de la discrimination positive. Un mode d’organisation de la société qui pérennise une société ségrégationnelle, conservatrice, nationaliste et ultra-libérale.
Rien à voir avec la définition de l’immigré en France, en rapport avec une conception du droit qui est tout le contraire, avec sa laïcité qui porte au-dessus des différences religieuses, ethniques, culturelles, le bien commun, la citoyenneté. Par là-même elle fait valoir d’abord ce qui unit au lieu de ce qui divise, favorise la mixité sociale et le mélange des populations avec le plus fort taux de couples mixtes en Europe. Un pays où le peuple a conquis, sur les fondements des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, des droits politiques, économiques et sociaux qui s’appliquent dans leurs grandes largeurs à tous sans distinction, selon cette logique progressiste et humaniste du droit. C’est cela le meilleur moyen de la lutte contre le racisme que ce brassage réel des populations qui a fait depuis toujours des générations de Français, qui a à voir avec l’appropriation par tous de valeurs communes. Ceci, sans rien pour autant renier des différences, mais mises sur un second plan en regard de l’intérêt général qui en les respectant toutes, empêche que l’une d’entre elles ne prenne le pouvoir sur les autres.
Cette journée sans immigrés, c’est importer en France une logique présentée comme positive et qui en réalité n’est que l’importation d’un modèle ségrégationnel en lieu et place du modèle égalitaire français. C’est vouloir saper les bases de ce modèle dont la dimension sociale unique au monde par son niveau de protection et de solidarité, valable pour tous, devrait plutôt justifier de la défendre et de la valoriser face aux attaques du libéralisme qui visent à le mettre à bas. D’emblée, ces faux prophètes ont vraiment tout faux ! En organisant cette journée sur une base de fractionnement identitaire, ils divisent et font le jeu du libéralisme contre l’intérêt de tous les travailleurs, immigrés ou non !
« Durant 24 heures, témoignons publiquement de notre gratitude à tous ceux qui ont tant enrichi la France » disent-ils. Au lieu de faire croire qu’il y aurait besoin d’une telle reconnaissance pour les immigrés en France, en jouant toujours sur le même vieux fond postcolonial pour mettre en accusation de racisme, l’air de rien, le peuple de ce beau pays, pourquoi ne pas rendre un hommage appuyé à celui-ci, dont la tradition d’accueil a fait le tour du monde, intégrant des générations de populations venues de partout, pratiquant le droit du sol depuis la fin du XIXe siècle et sa Troisième République ?
Faut-il rappeler que les plus grandes manifestations en faveur des indépendances des pays d’origine de l’immigration d’aujourd’hui, furent le fait du peuple de France ? Qu’en 1968, l’un des plus beaux mots d’ordre était « travailleurs français-immigrés même combat » pour faire sortir des Accords de Grenelle des avantages qui ont bénéficié à tous, indépendamment de la couleur ou l’origine ?
Aucun pays au monde ne donne plus de droits aux immigrés qu’en France : la loi impose qu’un enfant arrivant sur notre sol avec sa famille sans papier soit scolarisé sans délai ; que tout enfant étranger sans autorité parentale connue sur le territoire (mineur isolé) soit pris en charge par l‘Aide Sociale à l’Enfance au moins jusqu’à ses dix-huit ans, pris en charge avant l’âge de 15 ans, il aura un accès par simple déclaration à la nationalité française ; qu’une famille immigrée se trouvant à la rue et ayant au moins un enfant de moins de trois ans, soit immédiatement prise en charge en hôtel aux frais de la collectivité qu’elle ait ou non des papiers ; toute famille d’origine immigrée peut accéder au droit opposable au logement si elle dispose d’un titre de séjour selon les dispositions légales ; toute personne immigrée résidant depuis plus de trois mois sur le territoire français en situation irrégulière bénéficie de l’Aide Médicale de l’Etat (AME) permettant l’accès aux soins ; l’égalité de traitement est la règle pour tous dans les services publics, les services sociaux bénéficiant tout particulièrement aux populations d’origine immigrée dans une proportion plusieurs fois supérieur à leur poids dans la populations française (CMU, RSA, aides financières, allocations familiales…)
Du fait de la taille de leur famille, de la faiblesse de leurs revenus et de leur concentration dans les grandes villes, les immigrés sont plus souvent locataires du secteur social, ce qui souligne combien ils sont bien accueillis au pays des Droits de l’homme. On a l’habitude de dire que la population d’origine immigrée occupe plus souvent des postes d’ouvriers ou d’employés, notamment non qualifiés, mais contrairement aux idées reçues, 11% d’entre-eux sont chefs d’entreprise, 12% cadres, 15 % dans les professions intermédiaires et 31 % ouvriers qualifiés ! (Chiffres INSEE). Une récente étude du CSA montre que la présence de la population « non-blanche » dans les programmes télé atteint 20 % dans le divertissement, 19 % dans l’information, 11 % dans la fiction française alors qu’on y voit seulement 2% d’ouvriers représentant pourtant 23% de la population française. Concernant notre équipe de France de foot très colorée, elle n’est contestée que par des réactions ultra-marginales.
Une autre étude dont rend compte la revue généraliste Sciences Humaines (Les Grands Dossiers n°18 « France 2010, les grands défis » Mars-avril-mai 2010) rompt avec les clichés d’une immigration maltraitée en France, à travers le bilan de la place de la deuxième génération aujourd’hui dans la société française. Les résultats contredisent l’image stéréotypée du « jeune de banlieue » (…) On y apprend en effet que les enfants d’immigrés réussissent bien à l’école, comparativement au reste de la population. On ne constate pas de différences entre les taux de chômage des enfants d’immigrés non-diplômés et ceux du reste de la population dans la même situation. Concernant les discriminations, « une majorité de personnes interrogées répondent qu’elles n’ont jamais eu le sentiment d’avoir été discriminées en fonction de leur origine. Une minorité déclare avoir subi des discriminations. Enfin, « la grande majorité des immigrés a le sentiment d’être, dans l’enchaînement des générations, sur le chemin de l’ascenseur social ».
Par delà les éléments de ce bilan, il ne faut pas tout mélanger et penser que la France puisse sans y regarder accueillir sans réserves ni limites, distribuer la nationalité française sans conditions. Par delà la politique d’immigration choisie d’un Sarkozy président, qui en fait une simple variable économique sur l’échelle du profit, aucun pays ne peut faire l’économie d’une politique de l’immigration qui garantisse l’accueil de nouveaux venus, la capacité à les insérer socialement, à les intégrer culturellement en faisant qu’ils comprennent le pays où ils veulent vivre avec ses droits et ses devoirs. Une intégration qui n’a rien d’évident lorsqu’on vient de pays où la démocratie et les libertés sont rarement respectées comme les révolutions actuelles dans les pays arabes le montrent.
Selon une enquête de l’INSEE basée sur le recensement, la population immigrée provient de pays de plus en plus lointains, de cultures plus éloignées qui posent de nouveaux problèmes. Il est un fait que l’intégration connait des difficultés liées à la fois à une crise économique, qui a ses conséquences sociales, et à un rejet qui a à voir avec une ghettoïsation de certaines populations, voire une communautarisation. L’immigration subsaharienne qui domine l’immigration africaine et est la plus récente est aussi la moins bien adaptée. Les émeutes de banlieue de 2005 sont à replacer dans ce contexte qu’il ne faut pas angéliser. Autre aspect de l’immigration révélée par l’enquête de la revue « Sciences Humaines », 23 % des détenus sont étrangers dans les prisons métropolitaines. Plus finement encore nous explique-t-on, dans « 51 % des cas, le père d’un détenu est né hors de France ».
Il faut donc bien voir que la question de la place qu’il est possible de faire à l’immigration en France relève de choix politiques complexes. Mais surtout, que les difficultés auxquelles l’immigration est confrontée en regard de l’exploitation, de l’insertion sociale, de l’intégration qui passe avant tout par le travail, ont la même cause que celles des travailleurs français, le capitalisme, ce système inique qui exploite les hommes en les mettant en concurrence, dont il découle l’utilisation massive de travailleurs sans papiers derrière les déclarations d’intention à combattre ce phénomène par le gouvernement.
Des travailleurs sans papiers que l’on joue contre les travailleurs tout court et qu’il faut veiller à régulariser lorsqu’ils travaillent et sont surexploités, empêchant ainsi la banalisation à y faire recours pour à la fois réduire des situations révoltantes et contribuer à en limiter la généralisation qui n’est bonne pour personne, ni les immigrés eux-mêmes ni pour la France. Pour les autres, on ne peut accueillir dans l’irrégularité toutes les immigrations ou ce serait nier nos frontières et nos lois qui s’y exercent, pour aller dans le sens d’une mondialisation capitaliste qui veut faire tomber les Etats qui protègent leurs peuples par des législations sociales, derrière le grand projet d’un marché sans limites et sans autre règle que le profit.
Des arguments fondés sur le ressentiment et la discrimination pour justifier cette initiative
Les organisateurs de cette initiative parlent de leur « attachement à cette France fraternelle et libre » qu’ils disent vouloir « défendre ». De quelle fraternité s’agit-il donc, lorsqu’on poursuit leur présentation de l’événement : « Y a t'il meilleur endroit que Lyon - Ancienne Capitale des Gaules, ancien Siège de la Gestapo et lieu de résurgence régulier de groupuscules racistes - pour crier haut et fort quelques vérités essentielles ? » Utiliser ce type d’amalgame pour faire des généralités en mêlant racines historiques de la France avec la gestapo et le racisme, n’est-ce pas provoquer volontairement la division en nourrissant des ressentiments de ce côté qui valent ceux de l’extrême-droite qu’on dit ici vouloir combattre ? Cette façon d’aborder les choses n’est-elle pas le frère jumeau du racisme et de la haine de l’autre simplement mise en reflet en invitant les immigrés à se tromper de colère ?
Plus loin, les choses encore s’enveniment. Sur le thème « De tout temps, le sang des immigrés a coulé dans les veines de la France… », on invite lors de cette initiative à venir donner son sang dans le prolongement de l’idée qui suit : « Donner son sang de manière anonyme et gratuite est un signe fort auquel chaque individu pourra réfléchir, la prochaine fois qu'il entrera dans un hôpital... » Il est à souhaité que personne ne fasse ce lien obscène car précisément le faire, c’est bien cela qui serait une manifestation d’un racisme ordinaire ! Cet encouragement à ne voir tout qu’à travers cette obsession malsaine de la différence est un sabotage de la fraternité ! Ces apprentis sorciers en minorités visibles fracturent notre société à coups de culpabilité et d’incitation à se retourner les uns contre les autres.
L’union seule fait la force ! Liberté, égalité et fraternité, plus que jamais.
Toutes les forces politiques sont peu ou prou, emportées par cette dynamique victimaire qui sert à faire table rase de la question sociale en la remplaçant par celle de la discrimination positive. Racisme et discrimination positive sont les deux faces d’une même division, d’une même exclusion ! Eradiquer la moindre des discriminations est capital, mais passe par un tout autre combat que la victimisation.
Le système libéral est en pleine crise, mais il n’a pas renoncé à adapter le monde à celle-ci pour pousser encore plus loin le régime de la spoliation générale. Alors qu’il montre son incapacité à répondre aux grands besoins humains de notre temps, son adaptation à sa propre crise est pour lui un enjeu vital, qui dépend du jeu des divisions qui favorisent l’éparpillement des forces et retarde les prises de conscience. Il n’y a de peuple victorieux qu’uni et de défaite que si l’on jette les victimes des mêmes injustices les unes contre les autres. Liberté, égalité et fraternité, plus que jamais !
Guylain Chevrier, historien.
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