L’école, des clichés à la réalité - (I) l’adolescent, la famille et la société
« Tous les professeurs et tous les examinateurs de France (et pas seulement du baccalauréat) sont d’accord là-dessus : les jeunes Français n’écrivent pas en français. La déchéance progressive est, en cette affaire, d’une prodigieuse rapidité… » Ce constat de Faguet n’est pas nouveau ; il date du… 18 février 1909 !
Qui s’intéresse sérieusement à l’enseignement produira un nombre incalculable de documents – on peut remonter jusqu’à Platon – témoignant de son inévitable dégradation. Cette insatisfaction permanente conduit l’humanité vers plus de performance, alors qu’elle est née imparfaite et nue. D’un autre côté, le critique se grandit aux yeux de la communauté en apparaissant particulièrement concerné par le problème. Il ne prend toutefois aucun risque à dénoncer les imperfections d’un système puisque l’humanité entame à peine son histoire.
Si les problématiques scolaires nous concernent tous, il convient néanmoins de les exposer hors des querelles partisanes. C’est ce que nous tenterons au travers d’une série d’articles, en limitant d’abord le champ à l’enseignement secondaire. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de s’ouvrir sur l’économie de la connaissance.
L’un des faits remarquables de ces trente dernières années est la place grandissante de l’adolescent dans la famille et la société. Il a gagné en autonomie et pouvoir ce qu’il a perdu en innocence et protection. Cela n’est pas sans provoquer des problèmes dans son parcours scolaire.
D’abord, l’adolescent-copain recueille les confidences de ses parents qui ne lui épargnent aucun de leurs soucis. Il est informé de tout ce qui se passe et participe à maintes décisions familiales alors qu’il n’est pas suffisamment mûr sur les plans cognitif et affectif pour comprendre la situation qui lui est soumise. Il emmène alors dans son cartable les problèmes familiaux.
Les médias offrent également l’image d’un monde effrayant par le biais de films, documentaires ou informations. Comment pouvons-nous, dans ces conditions, attendre de nos ados une motivation à participer au fonctionnement d’une société qui n’a que la peur et la précarité pour récompenses ?
Parallèlement, les loisirs, dont l’offre a explosé, mobilisent une grande partie de son emploi du temps. Il est ainsi très fréquent de trouver des ordinateurs, télévisions et consoles de jeux dans une chambre de jeunes gens. Quand on se couche à deux heures du matin après avoir joué ou chatté, on ne peut être disposé à travailler. Cette absence d’encadrement familial conduit les enfants-rois à délaisser l’école, milieu où l’on attend de la discipline et du travail.
De même, le désœuvrement comme l’absence de perspectives et de valeurs mènent un nombre croissant d’adolescents à se réfugier dans la violence*, la drogue ou l’alcool. En la matière, l’école n’est plus un oasis. Les surveillants ramassent ainsi régulièrement des bouteilles de « Despé » ou d’alcools forts dans les cours de récréation, et les odeurs de cannabis envahissent d’improbables lieux. Les parents se rendent parfois complices, comme cette maman qui a offert à sa fille, scolarisée dans un collège catholique très prisé, une bouteille de whisky pour ses 15 ans ! Ces faits, qui ne sont pour la plupart pas consignés, touchent donc toutes les catégories sociales, tous les établissements.
Ensuite, l’ado est la cible privilégiée des agences de marketing ; on lui attribue une responsabilité dans les dépenses familiales, de 30 à 50 % selon les sources. Ce rôle de prescripteur lui confère un pouvoir énorme dont il ne jouissait pas lorsque son argent de poche se montait à 5 ou 10 francs par semaine et qu’il n’avait pas à donner son avis sur l’emploi des ressources familiales. L’adolescent participe ainsi activement à une société consumériste aux valeurs incompatibles avec le milieu scolaire. Les parents, de leur côté, résistent difficilement aux messages publicitaires sous peine d’être ringardisés ; ils ne peuvent lutter contre un budget de plusieurs milliards d’euros. Comment l’école, austère, pourrait-elle transmettre le goût de l’effort quand les publicités attractives – dont les ados sont friands – vantent le contraire ? On ne s’étonnera donc pas de trouver des élèves dans les commerces entre deux cours.
L’enfant-roi qui n’aime pas l’école est avant tout l’enfant d’une société mercantile qui voulait augmenter le nombre de clients ! L’école et la famille en paient aujourd’hui le prix.
En effet, l’espace et le temps marchands progressent, et prônent la facilité quand l’école promet l’effort. Facilité pour acheter (téléphone, internet, magasins toujours achalandés), comme pour utiliser les produits rendus plus « intelligents » par l’électronique. Au final, l’utilisateur n’aura même plus à presser un bouton. En revanche, apprendre nécessite du temps, de la patience et des révisions car aucun savoir n’est définitivement acquis. L’élève est confronté à un acte douloureux et ingrat puisque la récompense n’est ni automatique ni immédiate ni définitive. Au contraire des jeux vidéo qui sont si prisés parce qu’ils récompensent sans délai les efforts et valorisent ainsi le joueur. Apprendre est aussi un acte qui place l’adolescent en situation de profonde solitude alors qu’il est avide de communiquer, de découvrir l’autre et se révéler à son contact.
Enfin, les adolescents ont besoin de s’identifier à une image idéale. Ce peut être un héros, une profession réputée pour ses valeurs. Le héros, qu’il soit sportif, acteur ou chanteur est complètement décrédibilisé. Il se drogue, s’exile pour des raisons fiscales, est capable de l’inavouable pour réussir. Le pharmacien vole la sécurité sociale, le médecin s’apparente à un commerçant, l’enseignant et le prêtre sont accusés de pédophilie, le pompier est pyromane, le policier viole les prostituées, le juge se trompe, l’humanitaire détourne l’argent de son association, etc. Les déviances précédentes ne constituent naturellement pas une généralité, mais ce sont celles que l’on retiendra puisque sur-médiatisées. Le monde auquel les adolescents sont confrontés décrédibilise le discours moralisateur que tient le personnel enseignant, quand celui-ci n’a tout simplement pas abdiqué.
L’école est aussi un espace de sociabilité où l’on apprend la solidarité et l’humilité, où l’on encourage les meilleurs à aider les plus faibles. L’inverse de la société individualiste et égoïste qui désigne l’autre comme un parasite, un adversaire, un ennemi qu’il faut écraser ou assujettir.
Mais l’école est un espace qui n’a pas évolué depuis plus de deux cents ans quand le monde de l’entreprise a adapté l’environnement au travail, sous les conseils d’ergonomes. Ce n’est pas pour rien que les adolescents confondent volontiers environnement scolaire et milieu carcéral. Peut-on raisonnablement attendre de nos enfants qu’ils écoutent, lisent et étudient en silence, sept heures par jour dans un environnement sobre quand un adulte ne tiendrait pas deux heures assis dans les mêmes conditions ? On comprendra aisément qu’un tel environnement ne prédispose pas les élèves à fournir le travail nécessaire.
On serait alors tenté d’idéaliser les sociétés précédentes, mais la lecture de différents documents scolaires prouve qu’elles connaissaient leur lot d’élèves indisciplinés et fainéants, en l’absence d’une démocratisation de l’enseignement. Certes, le nombre et la gravité des faits étaient moindres, mais la discrétion surtout mieux assurée : on ne parlait pas, n’enquêtait pas, ne rapportait pas. En réalité, c’est l’exposition de l’adolescent d’aujourd’hui aux maux de la société qui constitue la différence majeure. Ce dernier est davantage informé, il participe plus à la vie de la famille et aux valeurs de la société consumériste. Il a en quelque sorte troqué sa naïveté et son innocence contre une plus grande responsabilité. Tout cela n’est pas sans incidence sur l’école.
Il y a donc urgence à redéfinir le statut de l’adolescent – cet adulte en devenir qui n’en est pas encore un – comme à transformer notre société afin qu’elle épouse les valeurs de l’école, héritière d’une vieille tradition républicaine. Ce n’est donc pas à l’école de s’adapter à la société, mais à la société de s’adapter à l’école.
* Sur la violence à l’école, on peut se reporter à ce texte d’Eirick Prairat qui expose les données avec grande simplicité : http://cpe.paris.iufm.fr/spip.php?article1265
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