L’éducation nationale m’a tuER…
"En France, l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. La nation est dans l’obligation de donner à chaque enfant les moyens de suivre une scolarité. En France, depuis quelques années, les élites ont décidé qu’il fallait, petit à petit, aller vers la suppression du redoublement. Qu’il ne fallait absolument plus que les gamins refassent, une seconde fois, même une troisième fois, une année scolaire, en s’appuyant sur des théories éducatives, mais surtout économiques, plus ou moins fumeuses."
L’éducation nationale m’a tuER…
X est un jeune banlieusard, un de ces gamins du 9-3 constamment montré du doigt dans le mainstream français, issu d’un collège de ZEP et dont les parents sont immigrés – Première et deuxième génération – de culture Amazigh. Il y a deux ans j’ai commencé à jouer les grand-frères pour X, élève de première ES, pour le compte d’une association de quartier. Loin d’être seulement un répétiteur, mon rôle était de servir de repère à un gamin que des parents, méritant et présents, ne pouvaient aider dans les choix d’études futures et les difficultés scolaires présentes. J’étais son parrain et je lui donnais un coup de main aussi bien en maths qu’en anglais ou en philo. Nos discussions sur la philo étaient épiques, j’ai appris tellement de choses.
Pendant donc deux ans j’ai échangé, chaque semaine, avec un jeune bouillonnant d’énergie, volontaire, engagé volontairement dans l’association et toujours demandeur de conseils. Son bulletin de scolaire, exemplaire d’un point de vu des appréciations des profs, était pourtant parsemé de notes extrêmement faibles. Une première remise en cause pour moi. J’ai toujours cru que, quand on était sérieux et travailleur, on était obligatoirement bon élève, ou au moins, élève moyen. Dans le cas de X, non. J’étais atterré non seulement par ses résultats scolaires mais aussi par ses lacunes dans des matières de base comme les mathématiques ou les sciences-économiques. J’ai donc décidé d’investiguer un peu sur ces incohérences et là, j’ai découvert la perversité du système français.
X était élève en ZEP (Zone d’Éducation Prioritaire), et son collège avait un niveau très, très, faible. Pour éviter des résultats catastrophiques, et parce que il n’était pas question de faire redoubler des gamins qui n’avaient pourtant clairement pas le niveau (pour différente raison, notamment le fait que nombreux viennent de pays dont les systèmes scolaires sont bancals, ou encore d’environnements familiaux difficiles), les autorités académiques ont donc fait largement baisser les seuils de réussite du collège. Le système est malade ? On modifie la graduation du thermomètre pour qu’il continue à afficher 37,5°. Résultat ? Pendant tout son cursus au collège, mon filleul X a eu entre 11 et 13 de moyenne annuelle. Éleve moyen-bon pour son collège, alors que dans la réalité il aurait fallu lui retrancher au moins 4 points. Pendant toute sa scolarité en ZEP, le gamin X n’a pas poussé plus que ça, et ses parents – pourtant présents, je l’ai dit – n’ont pas stressé leur fils plus que ça car, après tout, c’était un garçon sérieux et qui ramenait des résultats scolaires plus que correct. En baissant le niveau du collège, en refusant de lui montrer ses lacunes, l’école française a contribué à pousser des gamins dans le mur. Et tout ça pourquoi ? Pour quelles raisons ? Extrapolons.
En France, l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. La nation est dans l’obligation de donner à chaque enfant les moyens de suivre une scolarité. En France, depuis quelques années, les élites ont décidé qu’il fallait, petit à petit, aller vers la suppression du redoublement. Qu’il ne fallait absolument plus que les gamins refassent, une seconde fois, même une troisième fois, une année scolaire, en s’appuyant sur des théories éducatives, mais surtout économiques, plus ou moins fumeuses.
- Le redoublement détruirait l’estime que les enfants ont d’eux-mêmes et ne servirait à rien dans leur évolution intellectuelle. C’est plus ou moins la base du théorème du modèle scandinave de l’école qui est porté, depuis quelques années, au panthéon des modèles. Ce sont ces visions qui amènent à combattre la notion de compétition à l’école, en allant vers la suppression des notes (qui seraient traumatisantes pour les enfants). On ne peut rejeter des études sociologiques qui vont dans ce sens, elles sont basées sur des longues réflexions, des recherches, et des expérimentations réelles, notamment dans des pays comme la Suède ou la Finlande. Cependant, quand on a un résultat de 88,5% de réussite au BAC (par curiosité j’ai vu qu’en 1995 le taux était de 75,1%), on ne peut pas dire qu’on ait affaire à un système scolaire défaillant. Quand on a QUE 12% d’échec dans une classe d’âge, on ne peut pas considérer que ce soit insuffisant ou que ce soit une insulte au genre humain si ces 12% ont à refaire une année. De plus – bien qu’il n’y ait pas obligatoirement de lien de cause à effet –, je ne comprends pas que l’on prenne pour modèle des pays où les taux de suicide, notamment chez les jeunes, sont aussi hauts…
- Le redoublement coûte cher au pays. C’est l’argument économique du refus du redoublement. Imaginez, si dans une classe d’âge, au collège, on a 15% de redoublement. La génération suivante arrivant, ça génèrera, potentiellement, la nécessité de créer de nouvelles classes, d’embaucher de nouveaux profs ou d’augmenter le nombre d’heure de travail de certains titulaires, donc de les payer plus. Le redoublement coûte cher à l’état. C’est sûrement la réelle raison qui tente de se camoufler derrière les théories éducatives. Faire refaire une année scolaire, dans un système éducatif largement subventionné par l’état, pèse lourd dans le budget national. On fustige l’école américaine, hautement capitaliste, mais les choix sociaux français sont durs à tenir, et les politiques ont fait des choix.
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Je suis un matheux. Un pragmatique. Les nécessités économiques, je peux les comprends, les alibis "éducatives", mon éducation à l’ancienne, plutôt conservatrice, les rejettent ; mais aucun des deux arguments n’est aujourd’hui l’objet de mon courroux. Ce qui me met hors de moi, c’est qu’un gamin qui s’est donné à fond toute l’année, qui s’est organisé des groupes de travail, qui a grillé tous ses samedis, qui à pris un parrain (moi), des aides-conseils (étudiants en prépa) ; a décidé de laisser tomber l’école car il est dévasté par son échec au Bac.
En une année d’énormes sacrifices il a pu doubler ses notes dans 4 matières (dont SES) pour lesquelles il partait de très loin, mais ça n’a pas été suffisant pour lui éviter un résultat désastreux en maths, qu’il a pu remonter à l’oral. Recaler pour 9.80. Et ce gamin veut tout plaquer, pour faire le CAP de vente qu’on lui a conseillé, et négocier un emploi précaire dans ma boîte de son père. Je suis hors de moi. Hors de moi car si le système scolaire l’avait vraiment soutenu, depuis le collège, avec la volonté qu’il a, l’éducation qu’il a, il aurait trainé moins, sinon aucune, de lacunes.
Et pendant ce temps-là, ceux qui décident que la "compétition est une mauvaise chose", que "le redoublement traumatise les enfants", que tout cela coûte cher à l’état, inscrivent leurs enfants à Henry IV et dans les classes prépa – sur-doté d’un point de vue budget – et préparent leurs gamins à une future réalité professionnelle où la compétition sera permanente, l’émulation le mot d’ordre. Ils décident que certains enfants doivent être des espèces d’hippie peace and love pendant qu’ils forment leurs progénitures à devenir ces cadres BCBG aux dents longues issues des ENA et autre Polytechnique.
Mon gamin, quand j’ai commencé avec lui il y a deux ans, ne parlait que d’une chose : son rêve de travailler pour un bureau de style automobile. Pininfarinia est son ultime idole, les courbes des Alpha Roméo et autre Masserati trustaient ses nuits de doux rêveurs. J’ai eu des envies de meurtres envers moi-même quand j’ai dû, toute l’année, doucher ses rêves parce qu’il n’était pas dans la bonne filière (S), voie lactée vers ces métiers d’happy-fews. Mais j’ai essayé de lui maintenir une petite fenêtre ouverte, en le tançant toute l’année pour l’obtention de son Bac ; après tout, les passerelles existent, et un système, même bien verrouillé, on peut le contourner.
Hier, mon petit X n’a pas parlé une seule seconde de design auto. Il a semblé ne même pas voir l’Audi Q7 garé devant nous, quand nous nous disions au revoir. Il va sans doute passer son CAP, postuler pour des postes au conseil général d’île de France, où son père est assimilé fonctionnaire ETAM, et il compte passer les concours de la fonction publique territoriale.
Quand j’écris ce billet j’ai les larmes aux yeux. Je pleure sur les rêves brisés de ce gamin.
Crédit photo SEB (L’indépendant)
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