L’enfance, la jeunesse et l’éducation
Le paradoxe actuel concernant la jeunesse réside dans une éducation de plus en plus laxiste de la part des enseignants et des parents et d’autre part en une série d’interdits légaux qui empêchent les jeunes d’avoir accès à l’alcool, au sexe et au tabac, et même de sortir seuls après une heure tardive dans certains quartiers dont les maires ont instauré des couvre-feux qui se veulent à la fois pédagogiques et dissuasifs de la criminalité juvénile. On assiste à une substitution d’autorité qui passe des parents et des enseignants au policier, au législateur et au juge. Les parents déroutés par un cancre las, au lieu de lui botter le train lui achètent des compléments vitaminés et se ruent chez le pédopsychiatre. Jadis les adolescents fumaient et buvaient en cachette et prenaient une baffe de leur père quand ils se faisaient surprendre si celui-ci pensait qu’ils étaient trop jeunes pour commencer. De nos jours la loi leur interdit de s’acheter un paquet de cigarette ou une bouteille de bière et ils ont besoin de la complicité d’un majeur pour s’en procurer. En même temps, les parents sont désormais astreints à un rôle muet face aux caprices et aux débordements de leurs gamins car les punitions sont devenues obsolètes.
Pourtant une éducation sévère et stricte permettait au jeune de se révolter une fois parvenu à l’âge adulte. Cette période de frustration indispensable qu’était l’enfance et l’adolescence facilitait les apprentissages et l’étude. Serge Gainsbourg ne serait pas devenu le débauché, le provocateur, le créateur qu’il fut s’il n’avait subi la férule d’un père autoritaire qui ne lui passait aucun caprice. Il semblerait donc que pour faire de ses enfants des rebelles, des anarchistes et des contestataires, bref des hommes et des femmes libres, il faille les faire chier quand ils sont petits pour qu’ils puissent développer un sentiment de revanche et de rébellion. En rejoignant la pensée des philosophes grecs, on n’est jamais aussi libre que lorsque l’on a acquis un niveau de connaissance, mais pas obligatoirement pour appliquer la sagesse et commettre le bien. La frustration de l’enfance est à l’origine de la liberté de l’adulte. L’éducation est autant l’apprentissage des connaissances et des techniques que celui des choix. L’enfant gâté qui s’empiffre de pizzas, de barres chocolatées et qui se roule au sol pour satisfaire le moindre caprice ne fera pas un adulte heureux sauf si un adulte arrive à le brimer à temps. Comment comprendre le plaisir quand on n’a subi aucune frustration ou brimade dans sa jeunesse, quand tout ou presque était autorisé ? L’éducation finalement consiste à transformer le pervers polymorphe de Freud en un jouisseur réfléchi et conscient qui sait faire des choix et calculer son coup. Cela dit, on peut se demander pourquoi un adulte responsable ne pourrait être à la fois pervers et polymorphe s’il est capable d’assumer ses actes et d’en analyser la portée. Au contraire, l’expérience et le développement intellectuel donnent à la perversion une palette de choix bien moins basique que l’imaginaire limité d’un gamin. L’enfant arrivera donc mieux à surmonter les contradictions de l’adolescence puis les contraintes de l’âge adulte si son entourage éducatif lui a appris les frustrations et les désagréments. Hélas, pour en revenir à Freud par ce biais, beaucoup d’enfants vivent désormais sans image ni présence paternelle. Ils prennent alors La Société comme père de substitution, le seul contre lequel ils puissent se révolter en transformant en avatar paternel, l’enseignant, le policier, le juge et même le pompier ou l’agent de la RATP. Cette rébellion non canalisée et non intellectualisée (Freud aurait pu parler d’une dilution du complexe d’Œdipe dans un nombre indéterminé et mouvant de pères symboliques) débouche alors sur la délinquance et la marginalisation sociale.
Le plaisir de l’enfant
L’importance du jeu est primordiale pour l’enfant qui vit dans la notion d’immédiateté. Il vit aussi dans l’impossibilité du plaisir différé et dans le désir de braver l’interdit pour affirmer sa personnalité. Ce trait de caractère s’accentue à l’adolescence. Seule la coercition, l’introduction de la pudeur, la crainte de la punition et l’éducation empêchent l’enfant d’assouvir ses besoins tels qu’il les ressent dans l’instant. L’enfant n’a pas de moralité innée, il en acquiert une par la contrainte et la persuasion. L’homme n’est pas naturellement bon, l’enfant l’est encore moins. Entre petites canailles, gavroches et sauvageons de Jean-Pierre Chevènement, il y a du grain à moudre pour ceux qui ne sont pas convaincus de l’angélisme de l’enfance.
Par l’excitation du jeu et le plaisir qu’il en ressent, l’enfant est-il un pervers polymorphe ou une innocente petite créature ? Il est les deux à la fois. L’enfant pratique l’auto érotisme tant qu’aucun adulte ne lui dit que cela est mal. Ensuite il est soit inhibé par la culpabilisation, soit il passe outre, mais agit en cachette. Quand il joue au Docteur ou à papa et maman, il le fait toujours hors du regard des adultes, mais il en tire de la jouissance. Il s’agit là d’une étape normale de son développement sexuel. Passé le stade anal du pipi caca et l’importance du zizi chewing-gum, l’enfant va étendre sa panoplie érotique au cours de son évolution vers l’adolescence et l’âge adulte. Il est cependant évident qu’un minimum d’éducation sexuelle lui permettra de mieux comprendre et d’apprendre à canaliser ses pulsions.
Autre très fort pôle d’intérêt de l’enfant, la gourmandise qui peut devenir goinfardise si les parents ne le réfrènent pas. L’enfant va se gaver de sucreries et des bonbons à en exploser si personne ne le limite. Mais les adultes ont leur part de responsabilité dans l’obésité des enfants, ceux qui les traînent au MacDo, qui a remplacé les tartines d’Alceste le compagnon de classe du petit Nicolas, détruisent l’avenir de leur gamins sans même en avoir conscience. Les parents qui ont des enfants trop gros sont les mêmes qui gavent leurs chiens ou leurs chats à les rendre obèses.
La cruauté intrinsèque de l’enfant n’est plus à démontrer de La guerre des boutons de Louis Pergaud à Sa Majesté des Mouches de William Golding en passant par les faits divers de cour de récréation l’enfant a définitivement prouvé qu’il n’a pas besoin de l’exemple des adultes pour se montrer odieux et féroce. Seule sa relative faiblesse physique l’empêche d’être un prédateur de la puissance des grands fauves. Il suffit d’ouvrir un journal pour s’apercevoir que la réalité est encore moins reluisante que la fiction littéraire. L’enfant est un petit salaud en puissance quand on lui laisse la possibilité de s’exprimer, il aime torturer, battre, humilier et dominer. L’est-il par nature intrinsèque et de façon innée ou la méchanceté et la perversion s’installent-elles par mimétisme au contact des adultes et des enfants plus âgés ? Il est quasi impossible de répondre à la question, car pour cela il faudrait étudier une population d’enfants abandonnés à eux-mêmes dès le sevrage et ne point les assister ou intervenir dans leur éducation. Cela étant éthiquement inacceptable même dans une dictature moderne passionnée par la recherche et qui n’aurait signé aucune charte de bioéthique, la réponse reste donc en suspens.
L’adolescence enfin, est la période de la vie où l’individu s’identifie le plus à un groupe, à une « tribu ». S’il s’oppose souvent à ses parents et au monde des adultes, l’adolescent n’est heureux que lorsqu’il est avec des jeunes de son âge avec qui il partage un langage et des expressions, une mode vestimentaire, des goûts musicaux et cinématographiques et les mêmes activités ludiques. Qu’il soit fille ou garçon, il rêve des mêmes baskets, blousons et accessoires coûteux que ses copains ou copines et participe ainsi à la surconsommation. C’est aussi le moment où le jeune partage des secrets minables qu’il croit vitaux et qu’il pense que l’éternité va bien durer jusqu’à l’année prochaine. L’adolescent ne se sent à l’aise qu’avec des gens de son âge qui lui ressemblent et qui parlent, applaudissent et conspuent à l’unisson. Il est fan, groupie, collectionneur, il adule des idoles de magazine au grand bénéfice d’une presse spécialisée qui l’inonde de publicités ciblées. Quand il jouait au billes ou à la marelle, l’enfant ne rapportait pas grand-chose à l’industrie du jouet, guère plus avec les simples poupées, les petites voitures et les soldats en plastique (ne parlons plus du plomb pour ce genre de jouet, car devenu un péril majeur pour les tenants du principe de précaution). Alors des adultes perspicaces ont inventé Barbie, les Pokémons, et Goldorak avec leurs produits dérivés, puis les jeux et consoles vidéo. L’enfant et l’adolescent sont des sources extrêmes de profit dans les sociétés occidentales, ils sont la cible d’un marketing particulièrement astucieux et agressif. Ils sont une source de revenus pour tout un pan de l’économie et un poste budgétaire pour leurs parents qui se sentent obligés de gaspiller du fric pour préserver l’équilibre mental de leur enfant. Et quand il se sent mal, comme tout ado à un moment donné, le gang rapace des psychologues et des conseillers en éducation l’attend à la moindre incartade, au moindre spleen pour s’enrichir sur le dos des parents ou des services sociaux et surtout jouer le rôle de la mouche du coche en profitant du désarroi de parents déboussolés. Or, l’adolescence est une période d’incertitude, de doute, de recherche de soi et de tâtonnement. Il est normal à cet âge, si ce n’est salutaire de faire des conneries qui la plupart du temps ne portent pas à conséquences. Si la plus grande sévérité doit être de mise avec les actes de pure délinquance, de racket et de violence sexuelle, il serait ridicule de s’affoler et de courir chez le pédopsychiatre dès le premier pétard ou la première bagarre. Il est heureusement encore possible d’élever des enfants sans avoir lu l’intégral des œuvres de Bruno Bettelheim et de Françoise Dolto et sans s’abonner à des revues de psychologie. Le bon sens existe encore, certains parents, enseignants et journalistes semblent l’avoir oublié. Pas besoin d’avoir fait de longues études pour s’apercevoir qu’un jeune qui reste muet des heures, se regarde sans bouger devant un miroir, s’automutile ou ne peut se concentrer plus de cinq minutes sur une activité va mal. C’est dans ces cas que les spécialistes de la psychologie de l’enfance et de l’adolescence deviennent utiles. Pas au moindre caprice ou à la moindre bêtise.
L’apprentissage à la liberté passe par la contrainte.
Avec les mêmes réserves expérimentales évoquées plus haut, il semble par contre que l’enfant soit un jouisseur né. Le rôle de l’éducation étant de réprimer sa trop grande propension au jeu et le peu d’intérêt spontané et naturel pour l’étude et de façon générale sa réticence à la moindre contrainte. Car l’enfant préfère viscéralement ses jouets à ses devoirs de classe. L’enfant est un adulte en devenir, il ne nait pas avec une personnalité achevée, il est malléable, influençable et il peut être complètement détérioré par des erreurs d’éducation. La contrainte appliquée avec mesure et discernement est donc un passage nécessaire et obligatoire à l’apprentissage et la révolte ne peut être constructive qu’après avoir mûri par le temps d’attente de la revanche. L’enfant veut avant tout jouer, l’adolescent préfère la compagnie de ses copains à celle de ses livres scolaires. Quoi de plus naturel que de rechercher le plaisir dans l’instant présent. Mais le retour de bâton ne se fait pas attendre longtemps. Celui qui sort sans formation et sans diplôme du système scolaire n’a d’autre choix que la délinquance pour gagner de l’argent, avec un sérieux risque d’incarcération et de représailles à moins de végéter dans l’aide sociale ou la clochardisation. Toute la subtilité de l’éducation réside donc dans la contrainte tout en évitant d’annihiler définitivement toute possibilité de révolte et d’insoumission une fois arrivé à l’âge adulte. Le but de l’éducation n’est pas d’obtenir des moutons, mais des rebelles éclairés, lucides sur leur capacité de dire non. Contraindre sans étouffer, éduquer sans laxisme ni sévérité excessive est tout un art, ceux qui n’en sont pas capables ne font cependant pas le choix de ne pas se reproduire. Eduquer des enfants est donc une responsabilité énorme qu’il faudrait avoir en tête avant de procréer. En dehors de petits vicieux, malsains et retors qui désespèrent les meilleures bonnes volontés, le petit délinquant est avant tout le fruit d’une mauvaise si ce n’est une absence d’éducation de la part de parents dépassés, laxistes ou stupides, incapables de prendre des décisions fermes. La contrainte est pénible quand on la subit, mais elle est hélas la seule méthode d’apprentissage à la vie de l’enfant et de l’adolescent, certains iront jusqu’à parler de dressage, ce qui serait contre-productif, car ne laissant pas place à l’initiative. Le plaisir sera d’autant plus grand que l’attente de la prise de pouvoir décisionnel aura existé. Quoi de plus agréable que de se dire arrivé à l’âge adulte, maintenant c’est mon tour de faire chier les autres ! L’important cependant est de savoir pourquoi et comment le faire avec discernement et brio et ne pas ainsi tomber dans le caprice ou le despotisme.
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