L’horreur de l’erreur
Qui a oublié de mettre la clavette sur cette pièce ?
Le patron lui même est descendu dans l'atelier montrer sa colère et son incompréhension. Il est bien déterminé à rechercher et punir le coupable.
"Jamais dans ma carrière je n'ai vu une telle erreur !, vous connaissez les conséquences gravissimes pour notre client ? "
La tension dans l'atelier est à son paroxysme. Il est vrai que la pièce une fois déclavetée devient folle et chacun est bien conscient de la gravité de la situation. Le patron hurle sa colère et promet un sort peu enviable au saboteur.
"Une erreur originale vaut mieux qu'une vérité banale" murmure une voix douce et ferme sortant de nulle part, figeant sur place le manager excité.
"Qui a dit ça ?"
"Dostoïevski…" renchérit la voix impudente.
Le groupe d'ouvriers s'écarte ostensiblement et l'effronté apparait. Le patron effaré reconnait un intérimaire entré quelques jours plus tôt. Il ne le savait pas d'origine russe…
"Monsieur, plutôt que de vouloir punir le coupable, vous devriez réfléchir pourquoi une simple erreur peut avoir de telles conséquences !"
Le manager sent ses jambes flageoler. En un instant il maudit sa DRH d'avoir recruté un donneur de leçon et un philosophe en herbe. Sous l'effet de la surprise, assommé il se sent incapable de réagir.
"Ne commettez vous jamais d'erreur, Monsieur ? Si c'est le cas, cela veut donc dire que vous ne prenez jamais de risque, que vous refusez l'innovation et le changement ? votre rôle est-il de culpabiliser votre personnel et donc de le scléroser ou au contraire de l'encourager à progresser et de le responsabiliser ?"
L'homme continue de plus belle devant l'apathie du patron visiblement au bord du malaise…
"Si vous fermez la porte à toutes les erreurs la vérité restera dehors… a dit un écrivain hindou , Monsieur. Votre façon de porter l'erreur comme un échec résonne comme une faute de votre part. Vous devriez au contraire vérifier que chacun ici a commis au moins une erreur aujourd'hui et l'en féliciter !"
Le patron chancelle et regrette par soucis d'économie de ne pas avoir fait installer un défibrillateur dans l'atelier.
"Vous devriez non seulement reconnaitre le droit à l'erreur mais vous même devriez oser en commettre de nouvelles chaque jour. Vous octroyer vous même ce droit là vous libèrera de carcans qui empêchent votre personnel de travailler sans peur ni culpabilité. Ne voyez vous pas un puissant levier, Monsieur, pour remettre du plaisir dans vos ateliers , donc de la performance ?"
Le patron sent son coeur se décrocher. Depuis quand le plaisir serait synonyme de performance au travail ?
"Monsieur il me semble que vous confondez l'erreur et celui qui en est l'auteur. Votre job consiste à mettre en place les dispositifs pour que les erreurs ne prêtent pas à conséquence, et que vous puissiez en tirer la quintessence positive pour progresser et ne pas les rééditer sans fin. Traquez l'erreur, pas celui qui la commet…"
Le patron cherche en vain autour de lui une bouche volontaire pour une réanimation immédiate… Il sent qu'il va péter une durite, à cause d'une pièce déclavetée et d'un intérimaire allumé. Celui-ci, posément, avec un sourire énigmatique, pose son badge et se dirige vers la sortie de l'atelier.
Dehors le soleil est radieux.
50 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON