L’implacable érosion de l’indignation
Si tu t’écoutais deux minutes, tu passerais ta vie en Sarkoland ordinaire à éructer, vitupérer, gueuler, beugler, hurler ta colère et ton indignation permanentes. La constance de la saloperie ordinaire est telle que tu te pèterais une coronaire en moins de temps qu’il n’en faut pour remplir une cuvette de chiottes de toute la bile qu’un journal de Pernaut peut te faire remonter du gosier.
Hé bien non ! Ça continue à gesticuler dans tous les sens dans la vallée de larmes et grande est la tentation de définitivement tourner le dos à la constance de la médiocrité exponentielle d’un monde qui n’en finit plus de crever. Circulez ! y a plus rien à voir ! Tout ce qui était inimaginable, il y a seulement quelques années, est devenu banal, quotidien, normal. Le pays des droits de l’Homme transforme son semblable en bête traquée et chacun des complices passifs de cette énorme saloperie en un animal vil et peureux. À quel moment avons-nous cessé d’avoir les tripes tordues par la chasse au sous-homme, par le racisme le plus hideux, parce que clairement exprimé, parfaitement compris et absolument pas assumé, bien qu’étant la colonne vertébrale d’une politique globale de discrimination à la hache ? Discrimination totale et à tous les niveaux de la vie publique, entre ceux qui ont tous les droits et ceux qui héritent de tous les devoirs.
Prenons les affaires de mœurs. Il faut toujours se méfier des affaires de mœurs. O tempora, o mores ! Ça tape forcément sous la ceinture et ça stimule ce qu’il y a de plus primaire et épidermique en nous. Frédéric Mitterrand et Roman Polanski sont sur un radeau, y a-t-il un gosse qui tombe à l’eau ? Ordures ou artistes ? Le curseur moral s’affole et personne ne fait dans la nuance. C’est que, voyez-vous, ce sont des hommes de l’art, des hommes de lettres, des hommes, aussi, avec leurs besoins. Et en face, il y a quoi ? Des petites putes ! Voilà tout. Des petites putes avides de fric ou de renommée. Ou alors des petites victimes. Victimes de la misère ordinaire. Victimes du monde des puissants, où le miroir aux alouettes hypnotise les poussins fraîchement sortis de l’œuf, où la loi du milieu, la loi du genre, la loi du métier, autorisent tout un chacun à se servir sur la bête. Petite chose qui ne connaît pas les règles du jeu et qui va en payer le prix. Cash. Cache-cache immonde dans les médias. Posture de classe pour défendre l’indéfendable.
Un ou deux ans après le coup du parrain pédophile, j’ai eu le droit, sur la plage, au rabatteur d’un certain photographe mondialement connu pour ses clichés de nymphettes dans la brume. J’étais très fan de ses photos, que je trouvais absolument romantiques et belles à pleurer. Pour les gamines ado de mon âge, c’était la quintessence de la jolie photo très classe de fille-fleur et avoir été choisie pour poser devant l’objectif du grand photographe aurait été un honneur incroyable. Pas de bol, je n’avais pas le genre qui plaisait au maître, pas assez évanescente, pas ce côté liane sensuelle et faussement ingénue, les cheveux trop courts, l’air trop espiègle. Par contre, c’était le cas de ma copine, bien qu’un peu brune par rapport au modèle habituel. J’ai été déçue, tendance jalouse, jusqu’à ce que les parents de ma copine opposent leur véto à ce projet. Brisant le rêve dans l’œuf. Faut dire qu’eux, ils savaient. Ils savaient que le camp de naturistes du Cap était le terrain de chasse du grand monsieur et l’on murmurait à l’ombre des dunes qu’il ne dédaignait pas essayer quelque peu ses jolis petits modèles. Ensuite, j’ai vu ces photos de Lolitas éthérées d’un tout autre œil. Mais, là, sur le coup, du haut de mon romantisme échevelé de 13 ou 14 ans, avec notre sexualité balbutiante de jeunes ados ébouriffées par un French Kiss au clair de lune, qu’est-ce que j’aurais compris au désir brut et adulte d’un homme que je trouvais par ailleurs admirable ? Si j’avais été un peu plus jolie, est-ce que cela aurait fait de moi un gibier acceptable et consentant ?
In-dé-fen-da-ble !
Quel est le niveau de consentement d’un partenaire mineur ? Quelle est sa conscience de l’acte ? La loi a tranché : il n’y a pas de consentement possible chez le mineur en matière de pratiques sexuelles avec un adulte. C’est un jugement à la hache, mais il a le mérite d’être clair.
Question subsidiaire : Comment Polanski devient-il infréquentable ?
Soyons clairs : tout le monde savait. Plus ou moins. Affaire de mœurs. Viol. Pédophilie. Moi la première. Et pourtant, j’aime ses films. Qu’est-ce qui fait la différence entre
Polanski est un grand cinéaste qui a commis une erreur de jugement dans sa jeunesseet
Polanski est un horrible salopard violeur de petite fille qui mérite de croupir au trou?
La Loi.
Le bras séculier de la Justice qui vient d’alpaguer le monsieur plus de 30 ans après les faits. La Loi qui trace la ligne jaune entre ce qui est admis et toléré et ce qui est de l’ordre du délit ou du crime, entre ce qui doit être oublié et ce qui doit être puni. La loi qui distingue fermement et sans équivoque le criminel de sa victime. La Loi qui normalise la société civile quand bien même celle-ci patauge dans un marigot où tous les repères du vivre-ensemble sont bouleversés.
Haro sur le bougnoule ou le gueux et que toute notre mansuétude accompagne le riche et le puissant qui ne font que satisfaire leurs besoins impérieux, car impériaux !
Et quand la Justice s’incline devant le fait du Prince ?
Il nous reste notre indignation, notre belle, implacable et inusable indignation !
31 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON