L’indépendance et la représentativité syndicales demandent bien plus que la fin d’une caisse noire
Yvon Gattaz, ancien patron des patrons, appelle à une « révolution » de ce financement, dont le rapport Hadas-Lebel constatait en 2006 « l’opacité ». Mais M. Hadas-Lebel ne parlait pas de caisse noire, il parlait du reste, des financements connus publiquement, et qui semblent ne valoir guère mieux. Il faudra bien une révolution pour que renaisse la démocratie sociale - le sauvetage de la Sécurité sociale et l’efficacité de la formation professionnelle en dépendent, disait François Bayrou dès 2005. Le « choc de confiance » suppose que les Français puissent... avoir confiance dans leurs représentants, dans les acteurs publics, dans l’expression publique.
M. Gautier-Sauvagnac l’affirme et ses prédécesseurs à la présidence de l’UIMM le confirment : il y avait bien une caisse noire, nourrie de dizaines ou centaines de millions d’euros, destinée à « fluidifier les relations sociales » - M. François Ceyrac, ancien patron des patrons, précise : « donner des aides en espèces à divers partenaires dans la vie sociale ». Mais les personnes morales auxquelles la loi n’imposerait pas de tenir une comptabilité, pourquoi auraient-elles besoin d’espèces ?
Huiles syndicales _ et pétards patronaux
Selon M. Yvon Gattaz, qui avait été le successeur de M. Ceyrac : « Depuis 1884... il y avait une caisse qui alimentait les syndicats... ça mettait de l’huile dans les rouages parfois un peu rugueux dans les négociations sociales... Les cotisations des syndicats représentent peu de choses dans leur budget. Et il fallait bien compléter, il faut bien qu’elles vivent ces fédérations » (à quoi Jean-Claude Mailly, de FO, répond : « Je suis content de voir qu’à son âge il fume encore des pétards ». Vivement un test). Et il faut sortir de ce modèle, selon M. Gattaz : « il faut revoir complètement le mode de financement des syndicats, c’est le moment ou jamais de faire la révolution en France » dans ce domaine. En plus, il revendique l’avoir déjà dit il y a un quart de siècle : « Je pense que c’était un moyen de financement pas clair du tout, tout à fait glauque, inavoué et tacite. C’était l’omerta, personne ne devait le savoir. Il fallait bien qu’un jour ça éclate. Je l’avais d’ailleurs annoncé quand j’ai été élu... en 1981 président du CNPF. » C’est là que des journalistes ressortent le rapport du conseiller d’État Raphaël Hadas-Lebel, en mai 2006, intitulé « Pour un dialogue social efficace et légitime : Représentativité et financement des organisations professionnelles et syndicales » (PDF).
Le rapport Hadas-Lebel : _ constat de dysfonctionnements multiples
Pourtant, si ce rapport parle bien « d’opacité », nulle part il ne laisse entendre un circuit de financement du patronat vers les syndicats. S’il fait référence à un circuit illégal... il s’agit du détournement de fonds de comités d’entreprise : « ... Les analyses qui suivent n’évoquent pas certains financements ou apports de moyens regardés comme illégaux, comme ceux issus du fonctionnement des organismes de représentation du personnel − et des œuvres sociales qui leur sont rattachées − qui ont été révélés dans le cadre de plusieurs affaires récentes. Elles ont pour objet de présenter l’ensemble des informations disponibles, sans pour autant prétendre à épuiser la réalité du financement des syndicats. » (p. 56). Laissant de côté ces circuits illégaux, le rapport Hadas-Lebel s’attaque aux deux principaux circuits légaux de financement des syndicats, cotisations mises à part : - le prélèvement d’un pourcentage des fonds de la formation professionnelle, soit de l’ordre de 40 M€ ; - les décharges de service dans les ministères, qui représentent à elles seules près de 160 M€ pour 5 300 postes ; il s’y ajoute les autres fonctions publiques, services publics, entreprises privées (sans « aucune base juridique » dans ce dernier cas, p. 116). Ce type de décharge est une singularité française - à l’exception de l’Italie pour 3 000 postes du secteur public. Pire, la répartition de ces financements entre les syndicats se fait selon une clé fixe, indépendante de la confiance que leur font les salariés à un moment donné. Alors que propose le rapport ? Rien. Plus modestement, il rappelle « l’idée... parfois évoquée de calquer le mécanisme de financement des organisations syndicales sur celui des partis politiques ». Alors comment mesurer leur représentativité ? Le rapport envisage le système consistant à comptabiliser les suffrages obtenus aux élections de délégués du personnel (même principe que pour le financement des partis politiques) : apparemment simple et cohérent puisqu’on aurait en même temps des chiffres de représentation par entreprise, par branche et pour l’ensemble des salariés. Mais Raphaël Hadas-Lebel conclut que ce serait complexe. Pour envisager d’autres solutions, comme la tenue « d’élections de représentativité » spécifiques, suggestion de certains syndicats.
Redonner une chance _ à la démocratie sociale
Quelle que soit la solution retenue, c’est plus qu’une caisse noire qu’elle devra remplacer. C’est un système de financement si contre-productif qu’il vicie toute la démocratie sociale, comme le disait François Bayrou, le 20 octobre 2005, dans son discours sur les « racines du mal français » : « Tout le monde sait... que l’organisation de deux domaines majeurs de la vie de la nation, sa Sécurité Sociale et son système de formation continue, est entièrement irréformable, entièrement obérée par le partage prononcé il y a plus d’un demi-siècle. Tout le monde dit avec un air entendu, en se poussant du coude, qu’il est fort dangereux d’aborder ces questions. Et tout le monde dit vous savez bien pourquoi... Vous savez bien pourquoi..., je vais le traduire en français : parce que le financement des grandes centrales syndicales, laisse-t-on entendre, et leurs emplois, comprenez leurs emplois fictifs, dépend de leur mainmise sur les organisations qui sont censées régir les deux grands domaines en question. C’est pourquoi il ne pourra y avoir de légitimité indiscutable que quand cette question du financement de la vie syndicale aura été traitée. Il ne peut y avoir autonomie [de la société face à l’État] que s’il n’y a pas de soupçons... sur l’équilibre interne et la transparence de ces grands systèmes de représentation que sont les syndicats. » Pour ceux qui espèrent un « choc de confiance », voilà une grande mission : sortir la France d’une « société de défiance » nourrie par l’acceptation de la corruption (selon Pierre Cahuc et Yann Algan), pour « bâtir une société de confiance ». Confiance, le mot préféré des investisseurs et des employeurs, des journalistes et du public des médias, des militants et des salariés... Un mot clé pour notre développement durable.
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