L’information submerge les cadres ? Qu’ils apprennent à nager !
Qui n’a jamais maudit les réunions destinées à justifier le titre de manager accordé sans doute abusivement à certains cadres ? Comment faire face aux flux grossissant d’information qui envahit nos espaces ? L’information est la matière première des cadres et son traitement exige une nouvelle révolution industrielle.
Il y a quinze jours, je me suis acheté une machine à laver et cela m’a pris une bonne soirée. J’ai commencé en parcourant quelques sites web afin de rafraîchir mes connaissances techniques de ces engins. Puis j’ai sélectionné un modèle dont la fiabilité semblait irréprochable d’après les avis déposés sur les blog et autres fora. Ensuite, j’ai cherché le fournisseur le moins cher, en m’assurant évidemment de sa réputation et je me suis fait livrer le bel objet. Trois bonne heures de travail pour une malheureuse machine à laver là où il suffisait, il y a cinq ans, de se rendre chez un revendeur et de s’en remettre à un spécialiste dont l’avis tarifé in fine faisait autorité. Quel avantage, c’était le temps de l’insouciance, celui où les conseils d’un voisin suffisait à nous convaincre, celui de l’achat impulsif, encouragés dans nos intempérances par des professionnels rompus à l’art de la conviction. Mais tout cela est fini. La vie est dure pour les vendeurs spécialisés. Ils se trouvent confrontés à des clients de mieux en mieux formés qui essaient de débusquer les marges de progrès des vendeurs, souvent par jeu. Car l’acheteur sait déjà tout ce qu’il y a à savoir lorsqu’il se rend dans un magasin. Je ne parle évidemment pas des privilégiés qui paient systématiquement plein pot en s’imaginant qu’ils disposent ainsi du meilleur (s’ils savaient), mais de ceux qui assurent 90 % du chiffre d’affaires des revendeurs, la classe moyenne.
Dans
ces conditions, comment s’étonner que les cadres passent autant de
temps au travail ? Vous ne voyez pas le rapport ? Ce qui est vrai pour
l’achat d’une machine à laver l’est également pour n’importe quelle
décision. Nous croulons sous une masse croissante d’informations qu’il
nous faut lire, trier, connaître, synthétiser, transformer et surtout
utiliser afin d’orienter nos décisions. La crainte du cadre, c’est
l’anéantissement de son travail par une information ignorée ou, pire,
l’humiliation en réunion pour cause d’ignorance crasse, le monde selon
PowerPoint qui s’écroule parce qu’une donnée a été ignorée :
- Comment ça, vous recommandez d’investir dans Shell ?
Mais vous ignorez que leurs réserves sont surévaluées ? Je vous avais
pourtant envoyé un mail avec un article de journal joint. Vous ne
l’avez pas vu. C’est tombé hier.
Les brillantes carrières se brisent sur une incapacité à ingurgiter des megaoctets de bruit pour régurgiter l’information pertinente. Une solution s’est vite imposée aux coûteux cadres incapables (autant que les moins coûteux) de filtrer le flot grossissant qui menaçait leur carrière. Il fallait déléguer, partager sinon le travail, du moins les responsabilités. A défaut de tout comprendre, il fallait mettre un collègue, un adjoint et le chef en "info" des informations reçues. Et Microsoft est arrivé à point nommé pour apporter l’outil de cette nouvelle stratégie. Le bébé s’appelait Outlook et il est devenu très envahissant. Avec la complicité d’un tel outil, il devenait plus facile de réfuter ses responsabilités : en cas de boulette, ne pas hésiter à charger l’adjoint ou le collègue avec la complicité du chef et de l’autre larron. A défaut de résoudre les problèmes, cela permet de survivre. D’ailleurs, savez-vous comment les Anglo-Saxons appellent la touche cc de votre logiciel de mail : "protect your ass".
Le corollaire
de cette stratégie est évidemment la croissance du nombre de cols
blancs, croissance liée aux limitations physiques de l’espèce humaine car,
évidemment, il faut bien dormir et manger, il n’est pas possible de
passer 24/7/365 à lire les mails que vous forwardent
des collègues peu scrupuleux, l’estomac noué par la crainte de rater l’information
importante. Il a donc fallu recruter, ce qui a encore augmenté le
nombre de mails et... une dilution de l’information pertinente.
Il
est temps de se reprendre. L’information est la matière première des
cadres. Elle peut être comparée à du sable. L’ensemble de l’information
que doit traiter une entreprise est un gros tas de sable. Au début, il
suffisait d’une petite pelle et d’un seau, de travailler 7 heures par
jour, et les cadres venaient à bout de leur tas de sable avant la fin
de la journée dans une ambiance potache. Maintenant, le tas de sable
est plus gros. Il grossit même la nuit et pendant les vacances. Les
cadres travaillent toujours avec des pelles. Ils ont abandonné les
seaux pour des brouettes, mais, malgré ça, ils travaillent de plus en
plus. L’ambiance s’est détériorée car ils soupçonnent les uns et les autres de jeter
des pelletés n’importe où. Mais demain ? Qu’en sera-t-il ?
Tout laisse à penser que le tas de sable continuera de grossir. La
production d’informations est proportionnelle au nombre d’ordinateurs et
ce nombre croît. Bien sûr, la tentation est grande d’ignorer une partie
de ces informations. De se comporter comme un acheteur de machine à
laver qui choisirait d’ignorer sciemment les conseils des autres
utilisateurs. Mais, dans un monde concurrentiel, cette démarche est
suicidaire. Il faudra donc un jour se décider à apprendre à conduire le
tracto-pelle qui permettra de déblayer le sable plus rapidement.
Et ce tracto-pelle existe : il s’appelle informatique. L’informatique n’est pas morte avec les logiciels-phares de Microsoft que sont Outlook, Word et PowerPoint. Elle revient en force avec d’autres outils toujours plus performants pour automatiser une partie de nos taches journalières et améliorer notre productivité. Le mail n’est pas et ne sera jamais un outil de travail collaboratif, Word est surtout destiné à créer des documents dans un format qui privilégie leur impression, le monde ne se modélise pas toujours avec des bulletlist. Voilà, c’est dit. Mais il sera difficile d’amener la génération 60-70 à lâcher prise (pour ceux d’avant, ce sera plus facile car ils ne maîtrisent déjà pas complètement ces outils). Pour eux, la pertinence d’une information se mesure avant tout à sa présentation et les longues heures consacrées à apprendre le fonctionnement des macro sous Word doivent être amorties sur une carrière. Pourtant, ici et là, des voix se font entendre pour dénoncer l’irrationnel des comportements face à l’information, l’inadéquation des outils, la pesanteur des mentalités et le manque d’allant des cadres.
En prenant maintenant une métaphore aquatique, les cadres doivent lâcher
le bord du bassin pour nager plus vite, plus loin, plus longtemps.
Cette bordure, ce sont les logiciels usuels. Le milieu du bassin, ce
sont les outils de travail collaboratif. Et le grand large reste à créer, mais il se dessine progressivement. De l’audace, toujours de l’audace !
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