La guerre à la guerre contre la drogue
Un sujet de plus à mettre dans la pile « On n’en parle pas assez durant cette campagne » : la légalisation des drogues. Mon propos n’est bien sûr pas ici de faire l’apologie de l’utilisation de produits toxiques pouvant dans certains cas entrainer la mort (d’ailleurs je n’y ai pas intérêt sous peine d’être poursuivi, vive la liberté d’expression en France !). Mais au-delà de cela, l’argumentaire libéral est vaste afin de combattre ce que certains n’hésitent pas à appeler La Nouvelle Inquisition : la guerre étatiste contre la drogue.
« Il n’y a pas de drogue douce ou de drogue dure (...), il n’y a que des drogues interdites. » Nicolas Sarkozy a pour une fois tout à fait raison dans son discours. Il n’y a pas de réelle définition de ce terme. Une drogue n’est une drogue que parce qu’un gouvernement l’interdit. Le hasch n’est pas une drogue à Amsterdam mais en est une à Paris. L’alcool était une drogue aux USA dans les années 20 mais ne l’est plus aujourd’hui. Notre bientôt très regretté ex-ministre de l’Intérieur a encore rappelé sa position néo/ultra (barrez la mention inutile) libérale sur le sujet le 5 février sur TF1 : « Je ne légaliserai pas la drogue, je la combattrai. (...) Le vin est un produit du terroir que l’on ne doit pas culpabiliser » ou encore : « Sur la drogue, guerre totale ».
La nouvelle inquisition
Comme le dit Christian Michel sur le site Liberalia : « Lorsque les magistrats et les policiers prétendent qu’ils mènent la "guerre à la drogue", ils abusent des mots. "Persécution" est le terme qui convient. Appeler leur croisade "persécution" rendrait la cause des policiers moins populaire, mais décrirait mieux la réalité. Car notez que dans une guerre, il y a deux adversaires qui luttent pour s’imposer l’un à l’autre. Or, le drogué ne menace personne, il se trompe certainement dans la voie qu’il a choisie, mais il n’oblige personne à le suivre ; le drogué ne contraint personne à se droguer, c’est nous qui voulons, par la force des armes, lui imposer notre propre façon de vivre. » Et il continue : « Nous sommes bien ici dans le domaine de la croyance. Nous avons ici l’évidence que cette persécution est d’ordre religieux. Expliquer à un procureur genevois ou new-yorkais qu’il peut y avoir du plaisir à fumer un joint est tout aussi inutile (et dangereux) que de vanter à un ayatollah les mérites d’un vieux bordeaux. ». Bien entendu, que la drogue soit ou non légalisée, chacun reste responsable de ses actes. Mais ce sont les actes du drogué que nous devons juger, pas sa prise de stupéfiants !
Se préoccuper vraiment de la santé du drogué
Il nous faut d’abord étudier les vrais dangers de la drogue. Bien sûr, la communauté scientifique semble divisée sur le sujet. Mais il y a un point qui fait l’unanimité : le produit prohibé, vendu sous le manteau, est largement plus nocif que celui vendu dans un commerce normal. En effet, comment un consommateur peut-il se retourner contre le producteur qui aurait modifié le produit afin d’augmenter sa marge ? Cela nous donne par exemple du cannabis coupé au verre pilé ou de la coke à l’atropine. Du point de vue de la santé publique individuelle du drogué, il semble donc que la légalisation soit extrêmement positive. De plus, le vieil adage selon lequel on passe souvent du joint à la "piquouze" est très exagéré. En effet, si tous les consommateurs d’héroïne ont expérimenté le cannabis auparavant, seul 1,75% des fumeurs ont testé par la suite l’héroïne.
Faire baisser la délinquance grâce à la liberté et à faible coût
Le premier flic de France n’a cessé de nous ressasser durant 5 cinq ans son discours sécuritaire dont le but était bien entendu de légitimer la présence d’un Etat fort, la seule solution pour résoudre tous les problèmes de délinquance. Mais il a oublié à quel point cette dernière est liée au problème de la prohibition. Vincent Bénard, scientifique collaborateur à l’institut Hayek, nous rapporte cette anecdote : « Un père de famille à qui je tentais d’expliquer mon point de vue m’a rétorqué : "Mais si c’était votre fille qui se droguait, seriez-vous toujours favorable à la dépénalisation ?". Ce à quoi je lui ai rétorqué, à sa grande surprise : "si par malheur votre fils se droguait, préféreriez-vous que la société le traite comme un malade ou comme un délinquant ? Préféreriez-vous pouvoir lui payer sa drogue sur vos revenus ou qu’il soit obligé de vous voler, de braquer ou de faire la pute pour payer ses doses ?". » A ses propos, je me permets d’ajouter ces quelques statistiques : l’an dernier, les tribunaux fédéraux des États-Unis ont poursuivi 18.000 personnes et ont rendu un verdict de culpabilité dans 15.000 cas. Les deux tiers des 100.000 détenus du système carcéral fédéral ont commis des délits liés à la drogue. En tout, 250.000 Américains sont incarcérés pour des violations de la législation antidrogue. Mais ce n’est pas tout. Dans un marché clandestin, comme n’a cessé de le répéter Milton Friedman, les mafias prennent rapidement position, et entraînent avec elles une violence inouïe afin d’être en position de monopole sur un territoire donné. Et les mafieux arrivent à se protéger facilement de la justice, les bénéfices juteux qu’ils réalisent étant réinvestis en partie dans la corruption de fonctionnaires complaisants, dans leurs avocats ou encore dans leurs services de sécurité. Par contre, le petit dealer de quartier qui fait son business honnêtement sans se la jouer à la Scarface ainsi que les consommateurs finaux ne peuvent bénéficier de cette protection financière et ce sont eux les grands perdants de la politique répressive. Tout cela, vols, meurtres, prostitution, corruption, serait alors réduit de façon phénoménale dans un marché libre. Et sans en plus avoir besoin des sommes colossales investies dans cette persécution pourtant d’une inefficacité redoutable et qui bien entendu, sont réglées par les contribuables. Exemple, le budget annuel de l’ONU consacré à la guerre contre la drogue est de 50 milliards de dollars. Or, 13 millions de personnes s’adonnent toujours aux opiacés - comme à la fin des années 1990. Et la consommation de cannabis est en augmentation, notamment en France.
Mais le nombre de consommateurs risque-t-il d’exploser ?
C’est ce qu’on pourrait penser a priori. Sauf que cette théorie n’a jamais été vérifiée dans les exemples (malheureusement peu nombreux) de légalisation. La fin de la prohibition aux Etats-Unis n’a pas été caractérisée par une hausse du nombre d’alcooliques. Et faut-il rappeler que la Hollande possède un pourcentage de fumeurs de joints dans la population totale moindre que la France. De plus, comme le dit Vincent Bénard : « Il est loin d’être certain que la consommation exploserait. N’oubliez pas qu’actuellement, les personnes qui tombent dans la drogue sont approchées par des dealers au marketing particulièrement actif, qui proposent des doses gratuites, dans l’espoir de profits ultérieurs bien plus élevés. Ces dealers, parfois eux-mêmes toxicomanes, donc particulièrement incités à élargir leur clientèle, cherchent leurs clients, les sélectionnent, les appâtent ; ce sont des vendeurs le plus souvent très performants. Demain, si la dose de drogue légale vendue en pharmacie coûte, disons, entre 1 et 3 euros, les dealers de rue disparaîtront car ils ne pourront pas espérer faire du bénéfice en vendant de la drogue "artisanale" à de tels prix. Autrement dit, pour tomber dans la drogue, un consommateur devra faire de lui-même le pas de rentrer dans une pharmacie, de demander à acheter un paquet de 5 doses à 10 euros, et s’initier tout seul à la consommation. Sont-ils si nombreux, ceux qui sont prêts à faire le pas, sans "ami bien intentionné" pour les assister, surtout si sur les boîtes de drogue figurent des photos de drogués avec en légende "Attention, si vous consommez ce produit, demain, vous pourriez ressembler à ça" ? » Car en fait, légalisation ne signifie pas promotion. Il est à espérer que toutes les associations privées antidrogue communiqueront d’autant plus sur les dangers des stupéfiants, aidées pourquoi pas dans un premier temps par l’Etat (utilisant les surplus de TVA collectée) afin de négocier le tournant de la légalisation. N’y voyez pas là un appel à une action étatiste durable. Seulement une stratégie d’évolution efficace et surtout rassurante pour l’opinion publique. Dans le même ordre d’idée, il paraît difficile de permettre l’apparition d’héroïne dans les rayons de Carrefour du jour au lendemain car la dépendance à cette dernière peut être quasi instantanée.
La position des politiques français sur le sujet
Celle de Sarkozy semble claire. Pour les autres, très intéressant article sur le site droguesnews.com. On y apprend que Sego est passé de « Je ne suis pas favorable à la dépénalisation de la consommation de drogues, mais en même temps je crois qu’il faut sortir de l’hypocrisie » à « je m’engage, si je suis élue, à ouvrir un grand débat public et transparent avec tous les acteurs concernés : associations, magistrats, parents, usagers, policiers et médecins. » Génial ! Encore une fois, quelle prise de position courageuse avec un débat qui n’aura probablement jamais lieu et pour lequel on se demande quelles en seraient les modalités ? Un face-à-face dans un 20 heures entre un membre de la BAC (brigade anticriminalité) et un dealer de cocaïne, suivi d’un vote par SMS des téléspectateurs pour déterminer si le sujet sera étudié par une commission parlementaire ?
Bayrou : bien qu’« un peu tout fou » lorsqu’il était adolescent, le petit François a affirmé n’avoir « jamais touché à la drogue ». « Si je suis élu président de la République, j’aimerais qu’on se réunisse pour faire de la prévention efficace. » Et finalement, il s’est déclaré contre la dépénalisation bien qu’il juge « inadaptée la loi actuelle » qui punit l’usage du cannabis d’une peine de prison et de 3.000 euros d’amende. Donc, pas grand-chose à voir de ce coté-là. Par contre, Besancenot, lui, m’a presque donné l’envie de voter pour lui (si le communisme n’avait pas fait 100 millions de mort, et pour quelques centaines d’autres raisons) : « L’hypocrisie doit cesser. Je suis donc favorable à l’abrogation de la loi de 70, à la dépénalisation de la consommation des drogues et à la légalisation du cannabis. » La même position que Madelin en 2002 ! Du côté des Verts, si le sujet avait fait débat au sein du parti il y a cinq ans, je n’ai trouvé aucune allusion à celui-ci dans le programme de Voinet pour 2007. Un oubli peut-être ? Des personnages politiques un peu plus marginalisés dans leurs partis ont pris une position pro-légalisation. C’est le cas à droite de Jean-Luc Roméro et à gauche de Bernard Kouchner, mais ils sont assez peu entendus. Enfin, Alternative Libérale se prononce pour la légalisation encadrée du cannabis dans un premier temps avant « d’ouvrir un débat national plus général sur la prohibition des drogues ». Pas comme Ségo, j’ose espérer !
En manque de liberté
Je laisse le mot de la fin à Christian Michel : « Ce que révèle cette question de la drogue est combien notre société est en manque - en manque de liberté. Pourtant je suis sûr que la légalisation complète de la drogue est aussi inéluctable à terme qu’elle est difficile à imaginer aujourd’hui. Je dis que dans vingt ans nos enfants seront effarés d’apprendre que nous avons persécuté les drogués, exactement comme nous avons du mal, nous, à imaginer que nos parents ont emprisonné des homosexuels et des brasseurs de bière, et que nos ancêtres ont brûlé des hérétiques et des sorcières. » Et de conclure, paraphrasant Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous fumez ou sniffez, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le faire. »
Yoan Haran
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