La médecine du travail condamnée
Aujourd’hui, toujours pressé, le Medef s‘applique à enfoncer le clou sur la médecine du travail, demandant à Xavier Darcos, leur commissionnaire actuel au ministère du travail, de finir de la tuer.
C’est que l’idée d’une vraie prévention des risques dans l’entreprise effraie le Medef par les temps qui courent. Il faut vite museler l’expression même du mal être. Pas les causes.
Pour ce faire, rien de mieux que la bonne vieille méthode de la chappe de plomb qui permet de contrôler tout.
Ici, il s’agit de contrôler jusqu’à l’expression même des maux dans l’entreprise et leur développement a-économique à leur goût, en privatisant au maximum les outils de santé “corrective”, pour, in fine, renvoyer sur la collectivité nationale la résultante de cette politique, c’est-à-dire faire prendre en charge par d’autres la charge des licenciements qui en découleront. Exactement comme pour la "rupture conventionnelle", qui exonère par pressions successives sur le salarié, l’employeur de ses obligations de licenciement économiques ou personnels... en mettant le salarié au Pole Emploi sans coups férir.
Curieuse époque.
Prenant prétexte d’une baisse du nombre de médecins, le Medef compte s’approprier de façon définitive la maîtrise de la santé dans l’entreprise.
Il n’échappait à personne que la médecine du travail était déjà en grand état de subordination du patronat. Chacun d’entre nous se souvient d’un proche ou d’un voisin sur lequel a pesé une « curiosités » liée à des décisions d’une médecine du travail malade d’un excés de « non indépendance ». Litote... J’ai moi-même en tête un exemple récent d’une salariée en arrêt maladie renvoyée par la médecine du travail “actuelle” dans la fosse au lions, chez son employeur de mari qui n’en demandait pas tant et qui la licencia sur le champ pour faute grave.
Mais ce n’est pas suffisant : pour le Medef et le ministre du Travail, il faut achever la bête.
La notion même d’une médecine du travail libre et indépendante leur est insupportable. De hardis commentateurs, pourtant médecins du travail eux-mêmes, ne parlent-ils pas de « connivence » « entre les entreprises et le gouvernement pour faire disparaître les médecins du travail » ?
Car aujourd’hui, pour le Medef, tout n’est pas encore assez carré. Un contrôle total doit être mis sur pied, qui relèguera le système de santé dans l’entreprise au rang de simple palliatif aux douleurs et de cache sexe aux risques professionnels.
Parlons sans détours : le Medef et Darcos voudraient faire payer d’abord aux salariés les conséquences des risques qu’ils subissent dans l’entreprise, les employeurs se défaussant entièrement de leurs responsabilités sur la collectivité nationale, y compris celle qui incombe en amont à celui qui détient l’outil de travail, qui est de financer la prévention des risques.
L’idée même d’une médecine du travail indépendante les horrifie ? Ils vont simplifier l’existant dans le temps d’embellie qu’il leur reste d’ici 2012.
Ainsi, ils proposent des visites médicales quasi virtuelles espacées de plusieurs années. Ils préconisent de ne plus avoir l’obligation de reclasser au retour d’un arrêt maladie. Ils veulent imposer des délais couperets de quelques semaines au-delà desquels le non retour au poste permettrait à l’employeur d’enclencher une procédure de licenciement. Les conseillers du salarié auraient de “beaux” jours devant eux…
Le Medef propose donc que l’employeur décide de tout. C’est sa façon de gérer les risques.
Déjà maître d’œuvre des conditions de travail dans l’entreprise, l’employeur serait aussi le décideur, “l’évalueur” du degré d’aptitude physique des salariés à (et dans) l’emploi.
L’employeur dirait ce qu’est ou n’est pas une maladie dans l’entreprise. Avec toujours cette idée force : c’est à l’homme de s’adapter au travail. Pas l’inverse.
Ce serait à l’employeur de décider de la « médecine du travail », de décider qui la pratiquera. Et notamment, en faisant intervenir parfois des infirmiers en lieu et place de médecins, même si Darcos s’en défend quand il évoque la "pluridisciplinarité" en médecine du travail.
A la lumière des évènements récents chez France Télécoms et ailleurs, on conçoit que le Medef ait peur d’une médecine du travail indépendante et de bouches qui se délient trop. Le gouvernement des riches aussi.
Résumons : c’est le bourreau qui va décider si sa victime a mal, qui va éventuellement faire déclencher des soins, dispensés par des professionnels qu’il aura choisi. Des soins dont, en quelque sorte, l’employeur décidera de la nature et de leur durée, et de quel côté va tomber la tête de la victime, parce qu’un licenciement relèverait au final d’une bonne gestion “managériale”.
Et roule ma poule.
Laurence, justement, dit qu’elle va briguer un second mandat au Medef, car "nous sommes nombreux à vouloir continuer à amplifier l’élan que nous avons donné depuis quelques années pour un Medef totalement engagé au service de notre pays". De ce qui précède, on peut voir de quel « élan » elle parle. Au service de qui ? Tu peux préciser, Laurence ?
« Nous serons vigilants à ce que les pouvoirs publics transposent rapidement et fidèlement le texte dès que les syndicats auront donné leur avis définitif. » disait Jean-René Buisson, chef de file de la délégation patronale pour la réforme de la médecine du travail, le 13 septembre 2009. Oui, c’est dit, c’est ce qu’on disait aussi : il y a mano a mano entre vous.
Sauf que, les syndicats ont dit non.
Indépendance totale ou allégeance définitive et institutionnalisée de la médecine du travail. Tel est l’enjeu du prochain épisode d’ici le printemps, sur lequel nous ferions bien d’attirer l’attention de nos députés. Très sérieusement.
Parce qu’une fois de plus, il y va de la démocratie. De notre identité nationale, quoi.
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