La philosophie française est morte ! Les coupables sont … ?
La philosophie française ne se porte pas bien, guère mieux que notre littérature devenue nombriliste en quittant l’universalisme ; mais ce constat date déjà du milieu des années 90 si l’on en croit une étude de Domenach sur le crépuscule de la culture française et la décivilisation qui l’accompagne, néologisme emprunté à Péguy par l’auteur. La philosophie française est morte ou du moins elle oscille entre… Premièrement une activité de mémoire faisant des professeurs des sortes de gardiens du musée de la pensée avec ses grandes figures et ses livres parsemés sur les étagères qu’il faut ouvrir de temps en temps pour préparer les cours en vue des étudiants tout en scrutant les petits détails cachés qui feront le matériau pour les thèses académiques récompensant les élèves les plus sérieux… Et deuxièmement une activité plus connue, celle des marchands du « temple médiatique » qui produisent des livres d’actualité censés livrer quelques analyses sur la société, sans négliger les exercices de vulgarisation dont les meilleurs seront récompensés par des ventes chiffrées avec un nombre à cinq zéro. Exceptionnellement, six, si l’on considère les best-sellers mondiaux en ce domaine comme par exemple le monde de Sophie. Les gens lisent les philosophes contemporains non pas parce leurs livres sont pertinentes, audacieux, inventifs et originaux mais parce qu’ils sont écrits par des intellectuels disposant d’un réseau connecté au monde médiatique et doués d’une certaine facilité d’élocution laissant accroire que « plus le verbe est haut, plus la pensée est profonde » comme le dirait mon ami zen féru de koans.
La philosophie savante est morte. J’ai tenté ma propre enquête jouée à la manière du Cluedo. J’ai trouvé le lieu du crime, c’est l’école supérieure de la rue d’Ulm. Les coupables sont nombreux, ce sont les anciens élèves de cette même école et l’arme du crime est aisément identifiable, ce sont les commissions nationales et locales des Universités, celles qui président au recrutement des enseignants du supérieur, sans oublier les journalistes et dans une moindre mesure les jurys d’agrégation qui jouent un rôle secondaire pas forcément néfaste car il permet d’entretenir un certain niveau de transmission, un peu à la manière des anciens lauréats de concours musicaux qui font d’excellents professeurs dans les instruments où ils excellent. C’est la recherche en philosophie qui est morte par la faute d’un système qui s’autoreproduit et qui, au mépris de toutes les règles de concurrence loyale, s’attribue les postes sous prétexte que les intéressés sont issus d’une même école. Enquêtez sur le profil des enseignants entrant à l’Université, vous verrez la proportion d’anciens élèves d’Ulm. C’est là tout l’effet pervers d’un système qui vise l’excellence mais qui finit pas produire l’insignifiance en matière de pensée et de recherche. Car de plus, les recherches sont évalués par un système autoréférentiel si bien qu’un philosophe sortant des cadres pour aller à la transverse, de la mécanique quantique à la théologie en passant par la biologie, ne trouve pas de système pour être apprécié et reconnu. Les travaux scientifiques pris en compte dans les CV et les commissions sont pour la plupart insignifiants.
Un observateur britannique invité sur les ondes d’Inter a d’ailleurs constaté le déclin de la pensée française depuis quelques décennies. L’occasion pour moi de tracer une ligne historique dont on peut choisir arbitrairement le point de départ mais pas celui de l’arrivée. Une ligne qui met en évidence la grandeur et la progression de la pensée philosophique en France et en Europe. Cela commence avec la théologie médiévale qui, malgré son objet mystérieux, n’en reste pas moins une pensée philosophique. Puis arrivent les modernes avec une trop longue liste incluant Descartes, Leibniz, Spinoza, pour passer par Kant, Hegel, Nietzsche et s’achever au 20ème siècle avec Heidegger entre autres. En France, de grosses pointures ont hanté les amphis et nos nuits de savantes lectures. Bergson a montré que la philosophie ne peut pas se passer de la science. Sartre est complètement surestimé ; c’est un mythe. Foucault, Ellul et Lévi-Strauss s’inscrivent dans une tradition œcuménique et transversale, parcourant chacun plusieurs champs, philosophie, ethnologie, sociologie, anthropologie, politique, droit, et même théologie pour Ellul.
Les effets de mode liés au culte des avant-gardes ont placé aussi quelques figures sur la scène mais rapportés aux Kant et autres Heidegger, ce sont des imposteurs, qu’il s’agisse de Derrida, Deleuze, Lyotard, Barthes et autres Baudrillard. Des bêtes de cirque intellectuel livrant quelques aspects du monde, parfois intéressants mais jamais transcendants. Cet achèvement de la philosophie française s’inscrit dans le célèbre triplet historique revisité par Régis Debray sous l’inspiration d’Auguste Comte. Trois âges, logosphère, graphosphère, médiasphère. Pour résumer, monde médiéval et ses saints docteurs avec les monastères et les églises ; monde moderne et ses héros historiques associés aux grands écrivains et aux prestigieux penseurs avec les amphis et les livres soigneusement édités et religieusement étudiés ; enfin, le monde hyper moderne avec la galaxie hertzienne et numérique et les shows regardés avec désinvolture sans oublier la marchandisation de la culture et la production de produits philosophiques qui sont aux grandes pensées ce qu’est le caprice des dieux est au roquefort artisanal. Moins ça a de goût, plus ça a du succès. Les bouquins de science ne sont pas épargnés. Les livres à succès ressemblent à des contes scientifiques pour classe de collégiens. Du concept vendu en suppositoire.
La philosophie française est morte dans les années 1970. Nous savons comment et même pourquoi. Un déclin des valeurs humaines. Le narcissisme, l’intérêt, la gloire, le conformisme des carrières, tout ces ingrédients sont présents et les institutions sont faites pour que ces tendances s’affirment. Dans un tel environnement et avec de telles aspirations, aucun Descartes, Kant, Newton ou Darwin n’aurait pu émerger. La vidéosphère a permis une grande diffusion des informations mais pas forcément une élévation de la pensée. La philosophie française meurt mais tout ce monde d’élite trouve que c’est sa destination naturelle. Si tel est le cas, l’humanité mourra avec la philosophie, ce qui est naturel puisque dans ces cercles intellectuels de l’Université et d’autres lieux règne une culture de mort, sans doute émanée de trois facteurs, le nihilisme narcissique, le matérialisme marxisant et l’antireligiosité franc-maçonne et/ou laïcarde. Il faut réformer le christianisme et s’efforcer de transfigurer la pensée philosophique entre la science et le divin !
La philosophie s’est donc ramollie entre les mains des VRP de la pensée pour masse tout en se rétrécissant dans les pratiques des spécialistes. La spécialisation est un poison pour la pensée. Il est certes utile de transmettre le savoir philosophique mais il est tout aussi nécessaire d’ouvrir grand le champ de vision. Le problème des philosophes contemporains, c’est qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas élargir leurs champ de pensée, d’une part pour répondre aux normes de la profession ou aux diktats du commerce, d’autre part en raison d’un manque de liberté d’action, de réflexion et surtout un déficit majeur dans le domaines des sciences. Bref, la philosophie actuelle pratique l’automutilation disciplinaire et la castration spirituelle !
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