La preuve par l’émotion ?
Faut-il admettre l’idée reçue selon laquelle il ne se passe rien en été ? Au regard de l’objet de mon blog, peut-être.
Mais en dehors de l’information excessive sur la canicule, qui a mobilisé un bon quart d’heure des journaux télévisés durant plusieurs jours - il fait chaud en été, la belle affaire !- , quelle terrible actualité internationale, quel étrange espoir flottant dans l’air au sujet de Cuba ! J’ai toujours détesté l’attitude de certains intellectuels qui, à force de pétitions et de motions, se prennent pour les vraies victimes des drames sur lesquels ils écrivent. Pourtant, au milieu du bonheur de vivre de ce mois de juillet, qui n’a pas été piqué par la mauvaise conscience de se sentir à l’abri quand les morts et les blessés au Liban et en Israël venaient rappeler que "l’histoire est tragique" et, pourrait-on dire, insoluble ?
Il y a tout de même, pour le lecteur frénétique que je suis, du grain à moudre pour la réflexion sur le plan judiciaire. J’ai failli faire un sort au projet du Garde des Sceaux qui veut ajouter la circonstance aggravante de l’alcool et de la drogue pour la commission de certaines infractions. L’intention est louable mais qu’on me permette de faire du mauvais esprit ! Quand on effectue un transfert du principal vers l’accessoire, c’est un signe de faiblesse pour l’autorité publique, plus qu’une marque de maîtrise. Faute de savoir et de pouvoir réprimer avec la rigueur et l’intelligence nécessaires les ravages spécifiques de l’alcool et de la drogue, on déplace le fléau qu’ils représentent en les qualifiant d’auxiliaires du mal. Ce qui va advenir sur ce point relève de l’apparente fermeté d’un Etat faible.
Ce qui m’a préoccupé au premier chef, c’est une nouvelle parue dans le Monde du mercredi 2 août et annonçant qu’un " détenu de la maison d’arrêt de Metz entame son 76e jour de grève de la faim" pour dénoncer une "instruction totalement à charge". Cette personne se voit reprocher d’avoir commis un "braquage" - un vol avec arme en termes juridiques -, dans une banque le 11 août 2005.
Comment ne pas voir l’insupportable étau dans lequel l’institution judiciaire se trouve placée à cause du risque que ce gréviste de la faim fait peser sur sa propre vie ? Le piège est redoutable et associe trois dangers.
Ayant décidé d’avoir recours à ce moyen extrême, il devra être libéré si la structure pénitentiaire ne permet pas de le soigner correctement. Sinon, on sera coupable à son encontre d’un "traitement inhumain et dégradant". Il aura beau l’avoir cherché et causé d’une certaine manière, ceux qui le détiennent légitimement en seront pourtant tenus pour responsables.
Cette grève de la faim, ensuite, s’inscrit - et c’est de bon calcul pour un accusé - dans une contestation générale de l’autorité judiciaire et de l’instruction en particulier. Il suffit d’évoquer "à charge" pour que le cauchemar d’Outreau et le fantôme du juge Burgaud réapparaissent et fassent fuir toutes les évidences de la culpabilité et de la responsabilité. Quand on ne sait plus se défendre au détail, on attaque la justice en gros.
Enfin, et c’est l’épreuve la plus redoutable pour l’institution,
qui peut demeurer insensible devant une démarche d’autodestruction si
durablement menée ? On ne peut s’empêcher de supposer, par un argument de
bon sens apparent, que seule l’innocence oserait s’infliger un tel châtiment.
Le cœur est touché, la sensibilité de tous affectée. Qui oserait dire qu’on est
prêt à tout lorsqu’on est coupable et que ce recours n’est que le dernier moyen
- et le plus dramatique - pour convaincre du contraire ?
L’émotion suscitée est légitime. Mais elle n’est pas une preuve. Si ce gréviste de la faim est libéré, la justice n’aura pas eu forcément tort dans son action, le juge d’instruction n’aura pas obligatoirement démérité mais le courage d’un peut-être coupable aura peut-être eu raison de l’intérêt social.
Où est le progrès ? La preuve par l’émotion est sans doute l’ultime refuge d’une société qui, faute de savoir assumer l’humanité et la rigueur liées ensemble, a choisi de laisser aller et de s’abandonner à la dictature des coups de force et des accès de faiblesse.
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