La violence faite aux femmes, nouvelle cause nationale ?
Quand on lit les chiffres de la violence faite aux femmes, on pourrait presque penser qu’elle est si fréquente et si fréquemment tolérée que ne rien faire de plus serait criminel. Les députés semblent décidés à prendre ce problème à bras le corps.
Promise par le Président de l’Assemblée Nationale Bernard Accoyer le 25 novembre 2008 lors de la Journée internationale de lutte contre la violence faite aux femmes, une commission parlementaire vient d’être créée ce 2 décembre 2008. Elle est composée de trente députés, est présidée directement par Bernard Accoyer et se mettra au travail dès le 10 décembre 2008.
Au fil de l’actualité, la violence faite aux femmes et, plus généralement, les violences conjugales sont très peu médiatisées… sauf quand la notoriété de certains protagonistes les remet à la surface. Cela a été le cas lors de la mort de l’actrice Marie Trintignant après les coups et blessures sans intention d’homicide par son compagnon Bertrand Cantat et, plus récemment, par le meurtre et suicide du député de Thionville Jean-Marie Demange.
Rappelons d’abord les statistiques qui ont de quoi faire frémir : en 2007, 166 femmes sont mortes en France de violences conjugales, soit une femme tous les deux jours. Cela correspond à une hausse de 20% par rapport à 2006 !
Il y a donc urgence, une urgence rappelée par l’association "Ni putes ni soumises" qui voudrait que ce thème devienne une cause nationale pour l’année 2009.
Il y a un an déjà, les groupes communistes du Sénat et de l’Assemblée Nationale avaient déposé une proposition de loi-cadre pour lutter plus efficacement contre les violences faites aux femmes, une proposition déposée respectivement le 4 et le 20 décembre 2007. Un collectif a déjà réuni quinze mille signatures pour demander que cette proposition soit inscrite à l’ordre du jour.
Une proposition des groupes communistes
Mais que dit cette proposition de loi ? On pourra la lire ici.
Elle veut définir juridiquement les violences à l’encontre des femmes en reprenant une déclaration de l’ONU qui date de 1993 et en incluant notamment les violences psychologiques (qui ne sont pas reconnues dans le cadre d’un ménage), les mutilations sexuelles, les mariages forcés ou arrangés, les crimes d’honneur et même la lesbophobie (ou homophobie). Elle y inclut également la prostitution qu’elle considère comme une violence (ce qui est certainement vrai, mais faut-il alors interdire la prostitution ?).
Elle souhaite faire de la lutte contre les violences faites aux femmes un impératif national notamment en hissant cette lutte au même niveau que la lutte contre la pauvreté et les exclusions et l’aide aux personnes handicapées.
Sur la prévention de la violence faite aux femmes
Si les intentions sont louables, cette proposition est peu convaincante sur la partie préventive car elle est à la fois confuse et incantatoire.
D’ailleurs, elle le stipule clairement : « Il ne s’agit pas d’envisager le problème des violences à l’encontre des femmes d’une façon plus répressive, de faire encore plus de sécuritaire, mais de dégager d’importants moyens humains et financiers pour réduire ces phénomènes de société. ».
Elle est plus portée sur l’égalité entre l’homme et la femme que sur la lutte contre non pas la violence contre les femmes mais plus généralement la violence conjugale qui peut inclure également des hommes battus (en 2006, un homme mourait tous les dix jours en France de cette violence aussi).
Elle préfère réglementer plus, technocratiser plus que réduire la réalité des violences.
Si son diagnostic est pertinent, comme le constat que la violence faite aux femmes est encore trop souvent socialement tolérée et que les femmes battues ont trop souvent honte et culpabilisation pour déposer une plainte, les mesures suggérées relèvent d’un catalogue à la Prévert sans beaucoup de signification comme les mesures suivantes qui seraient considérées comme de la prévention :
1. Un vaste plan d’information, de sensibilisation et de formation sur les valeurs d’égalité hommes/femmes contrôlé par une commission indépendante (une énième !), et en particulier dans les établissements scolaires.
2. Un enseignement obligatoire hebdomadaire sur ces principes d’égalité avec des « actrices de la lutte pour les droits des femmes » (et le corps enseignant, à quoi sert-il ?). Mais aussi un enseignement obligatoire au sein même des IUFM (formation des professeurs).
3. L’élimination de tous les stéréotypes sexistes. Si, ici encore, l’intention est louable, les mesures prônées sont à mon sens contreproductives. S’agacer que dans les manuels scolaires la vision traditionnelle de la famille (la proposition de loi cite par exemple la maman à la cuisine et le papa devant la télévision) alors que la réalité sociale est très différente avec des cellules familiales éclatées, recomposées, monoparentales, est une chose ; veiller « de façon contraignante » à éviter tous les stéréotypes est non seulement impossible à appliquer (il existe aussi des familles traditionnelles) mais très coûteux (faut-il racheter un livre scolaire à cause d’un malheureux dessin ?). Car à ce compte-là, on pourrait aussi interdire les discrimination nationale (l’Anglaise rousse, l’Allemande avec ses deux nattes etc. qui véhiculent autant de préjugés que le sexisme).
4. Une lutte contre le sexisme dans les publicités (la femme considérée comme objet pour vendre une voiture par exemple) et dans les films pornographiques où des films de violence sexiste extrême sont commercialisés sans aucun contrôle du contenu. On peut cependant penser que ces films, pour adultes, ne sont pas de nature à influencer l’éducation des enfants et que, dans cette même logique, il faudrait interdire tout film violent mettant en danger la dignité d’un être humain, qu’il soit femme ou homme. Une « Autorité administrative indépendante sur les contenus pornographiques » est même imaginée !
Un oubli majeur au lieu de contraindre la création
Car le point de vue développé par les auteurs de cette proposition de loi est qu’une « véritable prévention des violences ne peut se dispenser d’une attention accrue à la lutte contre les images sexistes, notamment dans la publicité ». Or, il n’apparaît pas marquant que cette phrase soit exacte, d’autant plus que les publicités (moins les films) jouent aisément sur des registres du second degré.
Une contrainte supplémentaire à la liberté de création ne me paraît donc pas opportune.
Le compagnon ivre et violent ne battrait pas moins sa compagne s’il avait vu moins de films ou de publicité sexistes étant plus jeune…
Le vrai problème qui n’a pas été du tout abordé dans cette proposition de loi, c’est le problème de l’alcoolisme et du traitement de l’alcoolisme. C’est la cause majeure des violences infligées aux compagnes et prévenir les violences conjugales devrait nécessairement se pencher sur le grand fléau qu’est l’alcoolisme.
Sur le "traitement" des femmes battues
En revanche, la proposition de loi évoque quelques mesures intéressantes pour améliorer le dépistage de femmes violentées et les actions à définir le cas échéant par les acteurs sociaux et sanitaires.
Également, l’impossibilité pour les femmes battues étrangères d’être expulsées en cas de violence reconnue : « Toutes les femmes victimes de violences doivent pouvoir déposer plainte (…) sans craindre une mesure d’éloignement du territoire français. ». Car souvent, le risque d’une expulsion implique le silence de la femme battue. La proposition va même plus loin en prônant un droit d’asile aux femmes étrangères qui sont battues sans soutien de leur pays d’origine.
Elle prévoit aussi un renforcement des structures d’accueil des femmes violentées, une aide juridictionnelle ainsi que de très nombreuses mesures d’ordre social pour aménager la vie d’une femme détectée battue.
Sans doute un projet gouvernemental en point de mire
La proposition de loi-cadre a donc l’avantage d’exister (depuis un an) mais ne paraît pas forcément la mieux adaptée pour lutter efficacement contre la violence faite aux femmes car elle accroît de façon beaucoup trop large ce qu’on pourrait appeler la bureaucratie dans de nombreux domaines (y compris au gouvernement en demandant la création d’un Secrétariat d’État contre les violences à l’encontre des femmes, mais aussi la création d’unités spécialisées dans la police, l’adjonction de représentantes des droits des femmes dans nombre d’organismes comme le Conseil supérieur de l’Éducation etc.) sans citer le problème de l’alcoolisme.
La décision du Président de l’Assemblée Nationale Bernard Accoyer de créer et de présider une mission montre que le sujet est d’importance et que les institutions de la République veulent améliorer cette lutte.
Hommage donc aux auteurs de cette proposition de loi-cadre d’avoir initié cette démarche. Et espoir que cette mission débouche sur des mesures à la fois constructives et efficaces.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (3 décembre 2008)
Pour aller plus loin :
En 2006, une femme meurt tous les trois jours en France des violences conjugales (8 juillet 2008).
Le drame de Thionville.
La proposition de loi du groupe communiste (décembre 2007).
Journée internationale contre la violence faitesaux femmes.
Création d’une mission parlementaire.
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