Le fameux modèle scandinave

Quand on ne trouve pas les solutions chez soi, il est tentant de regarder ailleurs. Mais est-ce une option réelle ? Nous connaissons le discours récurrent sur la « faillite du modèle français », son déclin, en somme son échec définitif. Le thème a notamment été popularisé par l’essayiste Nicolas Baverez et son livre paru en 2003, La France qui tombe, et aujourd’hui, Nicolas Sarkozy, en tant que candidat à l’élection présidentielle, en a fait un axe central de son discours pour mieux mettre en avant la nécessité d’une rupture.
Dans ce contexte, il est tentant de regarder ce qui se passe ailleurs, dans une approche comparative typique des méthodologies habituellement appliquées au monde des entreprises - ce qu’on appelle souvent le « benchmarking ».
Traditionnellement et pour simplifier, on oppose le « modèle français », centralisé, protecteur, fortement étatisé - et qui aurait donc failli, au modèle anglo-saxon, libéral, flexible, dynamique, mais plus risqué. Mais ce modèle anglo-saxon est difficile à faire accepter et comprendre à nos compatriotes : il ne correspond ni à l’histoire, ni aux habitudes, ni au fonctionnement de notre pays. C’est là que, tel un lapin surgi de sa boîte, va apparaître le modèle scandinave.
Depuis très longtemps, les pays scandinaves sont caractérisés par une forte protection sociale, un très fort consensus politique et une fiscalité très élevée. On pouvait y voir soit, dans une vision négative, des pays où l’initiative était muselée, le mérite peu reconnu, et les incitations à entreprendre faibles, soit, dans une vision positive, des sociétés très égalitaires, où le citoyen « moyen » pouvait facilement s’épanouir. Les très bons résultats économiques des pays scandinaves au cours des dernières années ont sensiblement modifié cette perception, et aujourd’hui, ils sont cités en exemple. Par exemple, en décembre 2002, Stéphane Boujnah, ex-conseiller de Dominique Strauss-Kahn, publiait « L’Inoxydable modèle suédois », dans une optique où il souhaitait montrer, après les défaites de la gauche en France en 2002, que des solutions existaient pour impulser de nouvelles politiques économiques.
Cette soudaine attirance pour les pays du froid a pris de l’ampleur, et en 2005, le mot « flexsécurité », qui désigne plus spécifiquement l’exemple danois, est devenu courant dans la bouche de nos hommes politiques. Plus récemment encore, l’économiste André Sapir, de l’Institut de recherche bruxellois Bruegel, a publié une étude (« Globalisation and the Reform of European Social Models ») qui a fait grand bruit : il distingue en fait quatre modèles européens, sur la base de deux critères fondamentaux : l’efficacité et la justice (« equity » en anglais qu’on a traduit ici par « justice » plutôt que par « équité ») : le modèle nordique (niveau élevé de dépenses sociales, syndicats forts, resserrement des salaires, facilité de licenciement mais forte indemnisation des chômeurs) est le seul qui soit à la fois juste et efficace, tandis que le modèle anglo-saxon (syndicats faibles, éventail large des salaires, protection sociale limitée au minimum) est efficace et injuste. Le modèle continental (fortes dépenses sociales, licenciements très encadrés et indemnités de chômage élevées) auquel on peut rattacher la France est inefficace mais juste, et enfin le modèle méditerranéen (fortes dépenses, licenciements limités mais indemnités faibles) est, lui, peu efficace et injuste. Quand on lit cela on se dit qu’il n’y a pas d’hésitation à avoir, inspirons-nous du modèle scandinave !
C’est là que les problèmes surgissent... Tout d’abord, les nations ne sont pas des entreprises, et le poids de l’histoire, des traditions, des mentalités rend impossible la simple transposition de modèles venus de l’extérieur. C’est faire bien peu de cas des spécificités nationales façonnées pas des siècles de politiques, de guerres, d’évènements, c’est oublier la géographie, la culture, la religion - aspect fondamental dans le rapport à l’argent et au travail - et les hommes.
Ensuite, les modèles sont souvent passagers : qui donnerait aujourd’hui le Japon en modèle, alors que tout le monde souhaitait le copier dans les années 1980 ? Plus près de nous, qui louerait les vertus de l’Allemagne, devant laquelle nous faisions si souvent des complexes d’infériorité économique et sociale, et qui est aujourd’hui considérée comme le pays malade de l’Europe ? Par définition, dans un monde en mutation très rapide, ces modèles sont souvent déjà « dépassés » une fois qu’on souhaite s’en inspirer.
Enfin, en ce qui concerne la France, son insertion dans l’Europe - ce qui est beaucoup moins vrai que pour les pays scandinaves, qui ont toujours été en marge de la construction européenne - fait que la copie ou l’adoption d’un modèle indépendamment de ses voisins n’aurait pas de sens. Pour prendre un exemple, une fiscalité encore plus élevée créerait des problèmes encore plus aigus d’exode vers nos voisins, pour reprendre un thème souvent débattu ces derniers temps.
A l’ensemble des ces remarques générales, viennent s’ajouter des aspects plus spécifiques : la taille de ces pays et leur très forte homogénéité socio-politique, avec une forte culture du consensus (très forte syndicalisation, mêmes partis au pouvoir depuis plusieurs décennies), en font des cas à part qui rendent très difficile une transposition.
Finalement, on voit bien que ce modèle, aussi intéressant soit-il, n’est pas copiable. Dès lors, on peut se demander si sa mise en avant, pour constater ensuite l’impossibilité de le transposer, ne sert pas finalement à promouvoir plutôt le modèle anglo-saxon, en tout cas des politiques de type anglo-saxon. Il est par exemple intéressant de noter cette phrase de Eric le Boucher dans sa chronique du Monde du 26 novembre dernier « Le modèle anglo-saxon est efficace, mais inéquitable, le modèle franco-allemand est équitable, mais inefficace (trop cher), et le modèle latin est à la fois inefficace et inéquitable. Le choix est donc de glisser soit vers l’anglo-saxon, soit vers le nordique. ». La possibilité de choisir l’équité au détriment de l’efficacité n’est même pas considérée !
Regarder ailleurs est utile, voire indispensable, mais si évolution de notre société il y a, c’est au sein de celle-ci qu’il faut en imaginer les contours et les modalités. Il y a là un formidable défi à relever, pour que nous adaptions, réformions, transformions notre propre modèle, et qu’on puisse enfin parler de renouveau du modèle français.
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