Le Talc Morhange
Retour sur une affaire peu connue de nos jours, celle du Talc MORHANGE. Un scandale sanitaire guère différent des autres, si ce n’est pour sa conclusion bien peu glorieuse. On ne peut en effet aujourd’hui mentionner les peines auxquelles les protagonistes de l’affaire ont été condamnés. Pourquoi ? parce qu’ils ont bénéficié d’une amnistie individuelle accordée par le Président MITTERRAND et demandée rien moins que par le Garde des Sceaux. Garde des Sceaux qui avait également défendu certains prévenus au procès…
Les chercheurs de l’INSERM, sous l’égide du docteur Gilbert MARTIN-BOUYER, épidémiologiste, dépêchent des infirmières dans les familles d’enfants touchés. Elles ont pour mission à l’aide d’un questionnaire de recenser tout ce avec quoi les bébés ont été en contact. Le talc morhange trouvé chez les familles est soupçonné. Au centre de toxicologie Fernand-Widal à Paris, un test est effectué sur un chien, à qui du talc est donné. L’animal meurt dans les 2 heures. l’hexachlorophène est déterminé comme facteur d’empoisonnement. Le flacon de talc contient en effet 6% d’hexachlorophène, un puissant bactéricide, qui a intoxiqué les enfants. Les mamans l’employant ont d’ailleurs des traces de brûlures sur les doigts.
Cette molécule est synthétisée en 1939 dans les laboratoires de la société Givaudan, dans le but de créer un bactéricide efficace capable de combattre les infections de la peau et de désinfecter les blessures. La toxicité de l’hexachlorophène a été très peu étudiée et les quelques résultats obtenus n’ont jamais été publiés. Ainsi, de part ses propriétés antifongique et antibactérienne, l’hexachlorophène entrait dans la composition de nombreux produits cosmétiques. Des études plus abouties menées aux Etats-Unis ont démontré la toxicité de l’hexachlorophène, conduisant à l’interdiction de l’utilisation de cette molécule par la FDA en février 1972. A forte dose, l’héxachlorophène modifie l’équilibre de la flore cutanée et entraîne fièvre, tremblements, oedème papillaire, paraplégie et coma. La mort peut survenir en quelques dizaines d’heures. Cependant ces résultats ont été contestés par la firme Givaudan et quelques mois plus tard les premiers cas d’intoxication ont été recensés.
Le 24 août 1972, quatre mois après l’apparition des premiers cas d’encéphalite chez les nourrissons et huit jours seulement après le début de l’enquête, l’alerte est lancée. Le ministère de la santé fait passer un message : tous les flacons de talc morhange doivent être rapportés, les autres doivent être retirés de la vente. Sur environ 2800 boites contaminées, on en retrouve moins de 100.
Quatre années d’enquête permettront de connaître le fin mot de l’histoire. C’est en fait une erreur de manipulation dans l’usine de conditionnement. Un surplus de talc a été récupéré dans un fût contenant un fond d’hexachlorophène destiné à une autre utilisation. Une dose de 38 kg d’héxachlorophène a été mélangée par inadvertance dans une production de 600 kg de talc pur. Le talc a ensuite été réintroduit dans la chaîne de fabrication.
Au total, cet accident industriel provoquera la mort de 36 bébés, 224 intoxications, dont 8 entraînant une infirmité totale. Les parents déposent plainte, et le ministère de la Santé se porte partie civile. Sur le banc des accusés : le fabricant du talc et la société de conditionnement, GIVAUDAN et MORHANGE.
Givaudan, qui commercialise l’hexachlorophène en France, tente d’étouffer l’affaire, en proposant aux victimes, en échange du retrait des plaintes, une indemnisation que beaucoup de famille acceptent, à force d’acharnement des représentants de GIVAUDAN. Les familles désarmées sont en effet démarchées, pour ne pas dire harcelées à leur domicile. La procédure est longue et la condamnation des prévenus reste aléatoire. Beaucoup de familles ont parfois eu à subir, en plus du décès dans d’atroces souffrances de leur nourrisson, la rumeur publique, la mise en accusation des mères notamment par les mauvaises langues. Certaines également doivent brusquement faire face aux lourds handicaps intellectuels de leur enfant et préfèrent accepter les sommes importantes proposées par la firme pour s’assurer de la sécurité financière de leur enfant à l’âge adulte.
Le procès s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Pontoise en octobre 1979. Les firmes impliquées réfutent les expertises et font porter la responsabilité à un pauvre ouvrier. En 1980, les cinq principaux inculpés sont condamnés à des peines de prison avec sursis, réduites en appel puis amnistiées après l’élection présidentielle de 1981. Pourquoi cette amnistie ?
Tout d’abord, précisons que l’amnistie a pour effet d’effacer purement et simplement le caractère illicite de l’infraction. C’est une mesure d’oubli. Elle peut être collective ou plus exceptionnellement individuelle. L’amnistie collective est en général utilisée comme une mesure de réconciliation nationale. L’amnistie individuelle est un geste fort, assimilable à une négation de l’indépendance de la justice et fait débat. Le Président de la République peut admettre, par décret, au bénéfice de l’amnistie les personnes « qui se sont distinguées d’une manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel, sportif, scientifique ou économique ».
Dans l’affaire du Talc MOHRANGE, comme souvent, l’amnistie individuelle a été affaire de clientélisme puisque MITTERRAND l’a accordée sur demande de Robert BADINTER, avocat de Hubert FLAHAUT, PDG de GIVAUDAN et prévenu au procès. Un mélange des genres peu glorieux, car si BADINTER est irréprochable dans son métier d’avocat, et s’est illustré courageusement avec Patrick HENRY, il a manifestement oublié la notion d’intérêt général de la fonction de ministre. On imagine la réaction de désespoir et de dégout des familles. Ce n’est qu’en 1991, près de vingt ans après les faits, que les familles, qui n’ont cessé de crier à l’injustice, seront indemnisées par l’Etat.
Cette affaire a également abouti à un changement de législation, qui n’imposait aucun contrôle sur la fabrication des cosmétiques. Depuis 1975, une loi réglemente leur fabrication et rend obligatoires l’étiquetage et la traçabilité des lots. Désormais, la mise en danger de la vie d’autrui est une infraction, et le fabricant tenu pour responsable de son produit.
Près de vingt ans après, plusieurs dizaines des 204 victimes intoxiquées souffrent toujours de lésions du système nerveux. C’est ce qui ressort d’une étude réalisée par une équipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qui a comparé « Les victimes du talc Morhange présentent des capacités éducationnelles inférieures », indique le Dr Gilbert Martin-Bouyer, responsable de l’étude et qui en août 1972 avait identifié les causes de l’intoxication. Elles connaissent notamment des troubles, parfois importants, dans l’acquisition du langage, de la lecture et de la mémorisation. L’étude note également que certaines lésions du système nerveux central sont irréversibles et laisseront subsister des handicaps neurologiques majeurs. « Elle prouve donc que l’intoxication a eu des effets à long terme, contrairement à ce qu’ont affirmé à l’époque les fabricants », explique le Dr Martin-Bouhier.
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