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Les délires d’un trou juridique sans limite

Le 3 janvier 2007
La Cour d’appel de l’Ontario accorde à un garçon un père et deux mères.
Presse Canadienne :
 
Le plus haut tribunal de l’Ontario vient de juger qu’un jeune garçon avait légalement le droit d’avoir un père et deux mères.

Cette décision a été rendue après que la conjointe de même sexe de la mère biologique du garçon a réclamé du tribunal le droit d’être aussi déclarée mère. La Cour d’appel de l’Ontario a donc dû décider si l’enfant pouvait avoir trois parents. En 2003, un tribunal inférieur concluait qu’il n’y avait pas de juridiction pour rendre jugement dans un tel cas.

Cette fois, la Cour d’appel reconnaît que la demanderesse est tout à fait dédiée à son rôle parental et qu’elle jouit du plein soutien des deux parents biologiques. Les mères avaient renoncé à déposer une demande formelle d’adoption de l’enfant, car une telle démarche aurait dépouillé le géniteur de son statut de père, en vertu de la loi.

Selon les avocats de la partie demanderesse, le jugement est crucial pour les mères lesbiennes. À leur avis, il protège le garçon qui pourra dorénavant jouir de la protection légale de la deuxième mère en cas de décès de la mère biologique.

Les juges de la Cour d’appel ajoutent dans leur jugement que la loi portant réforme du droit de l’enfance ne reflète plus la réalité sociale moderne et qu’elle ne protège pas suffisamment l’enfant dans la cause qui leur a été soumise.
 

La Cour d’appel canadienne ouvre ici une possibilité qui, à vrai dire, ne doit pas nous surprendre. Au fond, pourquoi un enfant n’aurait-il pas deux mères ?

Oui, mais voilà : pourquoi pas non plus trois, six, ou neuf ? Nous sommes ici devant l’aboutissement de l’intrusion du politique, au moyen du droit positif, dans la famille.

Cette intrusion, qu’Arendt appelle l’avènement du social, doit nous inquiéter sérieusement. Quels sont ses dangers ?

Pour comprendre ce dont il s’agit, il faut se souvenir que l’invention grecque que l’on appelle politique se constitue en dehors de la famille, que le grec appelle société économique. Dan la famille, la vie des individus est soumise à la nécessité de travailler (esclaves, enfants) ou de commander (père). La famille réunit des êtres inégaux sous l’autorité sans partage du père. Grâce à la présence des esclaves, qui les libère de la nécessité de travailler, les chefs de famille se réunissent entre hommes égaux et libres, pour délibérer des affaires communes et exercer ensemble le pouvoir.

Dans nos démocraties modernes, le pouvoir est de fait exercé par quelques-uns. Nous autres, citoyens, qui ne l’exerçons pas, nous sommes donc devant le politique comme la famille devant son père. C’est là qu’est la perversion de l’avènement du social : nous sommes de fait considérés par le pouvoir comme une famille, et non comme des égaux.

Ce qu’avaient compris les Grecs, c’est que la famille est une réalité pré-politique, et que la cité n’est pas une famille. Car une famille est faite d’êtres inégaux et dont la liberté est encore à construire. Ce que cela implique, c’est que la famille est une réalité extérieure au politique, antérieure à lui de surcroît, et qu’il ne lui appartient donc pas de redéfinir.

L’autorité parentale, elle, ne procède pas non plus du politique. C’est un droit et un devoir qui procède du fait d’avoir donné la vie à un enfant. Or, pour engendrer un enfant, il faut et il suffit d’être deux, et d’être un homme et une femme. Le rôle du politique est d’abord un rôle de subsidiarité : en cas de besoin, il pourvoie au manque. Son rôle est ensuite de légiférer pour protéger cette réalité qu’il n’a pas créée et à laquelle il doit son existence.

Or c’est le droit du mariage qui assure cette protection, et si l’on observe cela attentivement, on s’apercevra que ce cadre juridique le définit comme un contrat entre deux personnes ; un homme et une femme, sans lien de parenté.

Cela ne se comprend que si le mariage est reconnu comme l’institution dans laquelle l’enfant apparaît : car pour faire un enfant, il faut précisément deux personnes, un homme et une femme, et prohiber l’inceste. Si demain on devait le définir autrement, par exemple en mariant deux personnes de même sexe, alors on ne verrait aucune raison de ne marier ensemble que deux personnes : pourquoi pas trois, six, ou neuf ? Pourquoi ne pas marier deux frères, ou un frère et une sœur ? (Notez que le Pacs n’est pas ouvert aux personnes d’une même famille, par exemple à deux frères : pourquoi cette injustice ?)

En acceptant qu’un enfant ait trois parents, la cour canadienne outrepasse ses droits, parce la famille n’est pas une réalité politique, et va dans le sens de l’appropriation par le pouvoir politique de la réalité familiale.

C’est inquiétant, parce que, comme le note Arendt, la famille est le lieu dans lequel l’enfant est protégé du monde et qui protège le monde de l’enfant. Sans la reconnaissance du caractère apolitique, pré-politique de la famille, c’est l’Etat qui se saisit de l’individu. C’est bien pourquoi tous les régimes totalitaires on toujours voulu s’emparer de la famille, car s’emparer d’elle, c’est s’emparer de l’enfant pour en faire un citoyen à son goût.

Sonnent alors ces paroles prophétiques de Constant : « Dans une société fondée sur la souveraineté du peuple, il est certain qu’il n’appartient à aucun individu, à aucune classe, de soumettre le reste à sa volonté particulière ; mais il est faux que la société tout entière possède sur ses membres une souveraineté sans bornes. L’universalité des citoyens est le souverain, dans ce sens que nul individu, nulle fraction, nulle association partielle ne peut s’arroger la souveraineté, si elle ne lui a pas été déléguée. Mais il ne s’ensuit pas que l’universalité des citoyens, ceux qui par elle sont investis de la souveraineté, puissent disposer souverainement de l’existence des individus. Il y a au contraire une partie de l’existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante, et qui est de droit hors de toute compétence sociale. La souveraineté n’existe que d’une manière limitée et relative. Au point où commencent l’indépendance et l’existence individuelle, s’arrête la juridiction de cette souveraineté. Si la société franchit cette ligne, elle se rend aussi coupable que le despote qui n’a pour titre que le glaive exterminateur... ».

La famille est justement ce point « où commencent l’indépendance et l’existence individuelle ».

Le glaive despotique est levé, désormais...


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9 réactions à cet article    


  • Fred (---.---.64.1) 19 janvier 2007 10:35

    Je ne comprends pas qu’on ne peut pas se contenter d’un simple statut légal pour « jouir de la protection légale de la deuxième mère en cas de décès de la mère biologique » et qu’on en arrive à des conclusions aussi ubuesque, n’importe quoi quand tu nous tiens...


    • Marsupilami Marsupilami 19 janvier 2007 11:50

      Très bon article, qui pointe un problème complexe de nos sociétés modernes : la judiciarisation d’à peu près tout. Si les familles recomposées (ou décomposées) ne savant plus s’autogérer dans leur fonction de bulle protectrice présociale, l’Etat doit-il légiférer, ne serait-ce que pour protéger les enfants ? Pourquoi pas, mais on en arrive automatiquement à ce genre de décision ubuesque. Et ça ne fait que commencer. Brrr...


      • azer (---.---.84.10) 19 janvier 2007 12:32

        Excellent article, qui définit bien les sphères de pouvoir.

        Im me semble que fondamentalement, nos démocraties modernes outrepassent leurs droits et glissent vers des dictatures du « politiquement correct », à cause d’une boucle de rétro-action positive sondage -> média -> politique -> (ré-)élection qui empêchent les dirigeants de prendre des décisions à long terme et/ou impopulaires.

        Il manque un contre-pouvoir quelque part, qui a disparu avec les dictatures communistes, à mon avis, et que les dictatures islamistes n’ont pas remplacé.


        • Hesoneofus 19 janvier 2007 15:31

          juste une petite choses quand meme, je concidere avoir 4 parents, 2 biollogique + par remariage. c’est une PERCEPTION PERSONNEL. je m’offusquerai que l’etat me l’impose ou m’interdise de le penser. Le grand damne de la course a la legiferation, c’est que cette espace de liberté que j’ai se verait probablement contraint a terme. je devrais alors legalement (selon les aboutissement) avoir 4 parents B) avoir que 2 parents. C’est navrant, car la relation enfant/parents est isue du coeur et d’une vie partager, et non sur un patrimoine genitique, un bout de papier, ou une bague alliance.


          • gwen (---.---.36.5) 19 janvier 2007 18:19

            Cet article est drôlement stimulant, mais je me demande s’il ne repose pas sur des bases en partie fausse : la délégation du pouvoir à quelques uns au nom des autres n’a pas été inventée par les Grecs, mais ils ont proposé et théorisé plusieurs formes de délégation (tyrannie, aristocratie, démocratie). La théorie politique date certainement de la Grèce antique, la politique existait avant, elle est a priori née en même temps que la société, et donc que la famille. La famille n’est pas prépolitique.

            C’est vrai que l’Etat intervient de plus en plus dans la famille, crée des statuts, indique comment élever des enfants etc ; mais avant l’Etat, c’était l’Eglise qui faisait cela (grosso modo depuis le IXe siècle où les curés ont commencé à trouver que les rois polygames, c’était pas très moral). Le mariage, et sa définition actuelle, n’est pas tombé du ciel : c’est une définition juridique, décidée par l’Eglise catholique contre les habitudes de l’époque. Elle a été reprise par l’Etat lorsqu’il s’est intéressé à la famille. Donc de deux choses l’une : soit on s’épouvante de l’intrusion étatique dans la sphère familiale, et dans ce cas on demande une suppression du mariage civil. Soit on considère que l’Etat n’intervient que pour pallier un manque, et dans ce cas la décision de la Cour n’est peut-être pas si dangereuse. Perso j’ai été élevé depuis l’âge de un an par des parents qui n’étaient pas mes géniteurs, et j’ai toujours considéré que j’avais quatre parents. Et si enfant il m’était arrivé un pépin, le couple qui m’a élevé et aimé n’aurait rien pu faire, car légalement ils n’étaient rien pour moi. Quand à l’autorité parentale qui procéde du fait d’avoir enfanté le gamin en question, je me demande quelle est la solution pour les orphelins : pas de parents, donc personne n’a à les prendre en charge ?

            Enfin le mariage n’a pas vocation à protéger les enfants, mais les époux : il me semble que les enfants nés hors mariage ont les mêmes droits que les autres, que l’autorité parentale ne dépend pas du mariage non plus. Ce sont deux questions différentes donc.

            Mais en effet la question que tu poses est passionnante : si des enfants peuvent avoir 3 parents (ce qui est le cas), pourquoi pas 9 ? Et je ne prétend pas avoir la réponse.


            • Capreolus Capreolus 19 janvier 2007 20:00

              la délégation du pouvoir à quelques uns au nom des autres n’a pas été inventée par les Grecs, mais ils ont proposé et théorisé plusieurs formes de délégation (tyrannie, aristocratie, démocratie).

               smiley En effet, la délégation du pouvoir a pu exister en Grèce. Le problème que souligne Constant est que cette délégation n’a plus vraiment de limite dans nos démocraties modernes.

              La théorie politique date certainement de la Grèce antique, la politique existait avant, elle est a priori née en même temps que la société, et donc que la famille. La famille n’est pas prépolitique.

               smiley L’antériorité de la famille sur la cité n’est pas forcément mesurable dans le temps. C’est une antériorité logique : sans famille, pas de cité.

              C’est vrai que l’Etat intervient de plus en plus dans la famille, crée des statuts, indique comment élever des enfants etc ; mais avant l’Etat, c’était l’Eglise qui faisait cela (grosso modo depuis le IXe siècle où les curés ont commencé à trouver que les rois polygames, c’était pas très moral).

               smiley En effet, mais l’Eglise ne se présente pas comme une autorité politique. Elle est une autorité morale, qui éclaire le croyant sur les vérités de foi et de mœurs nécessaires au salut.

              Le mariage, et sa définition actuelle, n’est pas tombé du ciel : c’est une définition juridique, décidée par l’Eglise catholique contre les habitudes de l’époque. Elle a été reprise par l’Etat lorsqu’il s’est intéressé à la famille.

               smiley Pour l’Eglise catholique, le mariage est une institution naturelle, de droit naturelle, élevée par le christ à la dignité de sacrement. Ce n’est pas l’Eglise ni l’Etat qui marient les conjoints, ce sont eux qui se marient. Dans le vocabulaire de l’Eglise, on dit que les époux se donnent le sacrement. Ce n’est pas le prêtre qui leur donne. Une manière de reconnaître l’antériorité de la famille sur les institutions.

              Donc de deux choses l’une : soit on s’épouvante de l’intrusion étatique dans la sphère familiale, et dans ce cas on demande une suppression du mariage civil. Vous voyez donc que non, puisque le mariage civil ne fait que reconnaître une réalité nécessaire à l’existence de la société et à son renouvellement Soit on considère que l’Etat n’intervient que pour pallier un manque,

               smiley Oui, c’est en vertu de ce que l’on appelle le principe de subsidiarité : si la famille ne parvient pas à assumer sa tâche, l’Etat lui vient en aide ou la remplace.

              et dans ce cas la décision de la Cour n’est peut-être pas si dangereuse.

               smiley Elle l’est parce qu’elle ne respecte pas la nature même de la famille, et donc ouvre la porte à des formes « monstrueuses » (au sens de difformes).

              Perso j’ai été élevé depuis l’âge de un an par des parents qui n’étaient pas mes géniteurs, et j’ai toujours considéré que j’avais quatre parents. Et si enfant il m’était arrivé un pépin, le couple qui m’a élevé et aimé n’aurait rien pu faire, car légalement ils n’étaient rien pour moi. Quand à l’autorité parentale qui procéde du fait d’avoir enfanté le gamin en question, je me demande quelle est la solution pour les orphelins : pas de parents, donc personne n’a à les prendre en charge ?

               smiley Ici c’est clairement encore le principe de subsidiarité

              Enfin le mariage n’a pas vocation à protéger les enfants, mais les époux :

               smiley Je pense qu’il protège tout le monde, parents et enfants ! il me semble que les enfants nés hors mariage ont les mêmes droits que les autres, que l’autorité parentale ne dépend pas du mariage non plus.

               smiley L’autorité parentale est le droit légitime d’obliger ses enfants. Or ce droit ne m’est pas donné par l’Etat, mais par le fait d’être père ou mère. En cas de carence, toujours par le principe de subsidiarité, c’est à l’Etat de confier à un aute cette autorité. Mais cela dans le respect de la nature d’une institution qu’il n’a pas créée, et qui est ordonnée au bien de l’enfant. Je vous remercie pour votre commentaire et vos remarques très judicieuses.


            • Aspiral Aspiral 20 janvier 2007 17:28

              Je me permets de penser que le débat politique doit avoir un cadre « logique ». Un ingénieur qui construit une machine doit respecter les lois de la nature. Un politique aussi. Le juge qui juge ainsi commet en réalité un acte politique, fondé sur une priorité arbitraire et discutable, la protection de l’enfant. On constate partout cette porosité entre les champs sociaux, qui au départ étaient strictement séparés. Je pense qu’il est urgent que les professions initiatiques (justice, enseignement, medecine) refusent d’arbitrer des conflits qui ne se situent pas dans leur champ, quitte à laisser un trou, où le politique serait confronté à assumer ses choix de société et les faire évoluer. Le 4 janvier, j’ai publié sur agoravox,une réflexion à ce sujet : « déclin de la pensée occidentale » qui est reprise sur mon site, dans les suites et commentaires : www.aspirale.be


              • gem gem 22 janvier 2007 13:52

                C’est un bon article, mais je me demande si il ne va pas trop loin, comme trop souvent dans les commentaires de décision de justice.

                Sans cette intervention du tribunal, il y aurait eu de toute façon une décision sociale : car, que vous le vouliez ou non, la définition de la famille reste une construction sociale (qui varie selon les lieux et les époques).

                Le pouvoir judiciaire pouvait-il se déclarer compétent ? oui, et même il le devait !

                Pouvait-il passer outre la définition traditionnelle ? oui, il en a d’ailleurs l’habitude puisqu’il traite des adoptions, des abandons, des divorces, etc.

                A-t-il été trop loin ? Il ne semble pas. Il a juste inventer l’adoption qui ne détruit pas la parenté antérieur, ce qui laisse plusiseurs parents (notez que les romains disposaient déjà d’une chose semblable : le célébre brutus « fils » de César, par exemple, n’en restait pas moins lié à sa famille d’origine). Le tribunal aurait tout aussi bien pu inventer un statut intermédiaire pour la « mère », il n’a pas vu l’intérêt de compliquer la situation : le statut de « mère » ordinaire lui a paru approprié.

                Est-ce que ça ouvre la porte à des parentalités multiples (au sein de sectes, notamment, qui il faut le rappeller ne sont pas fustigées au canada ou au USA comme elles le sont en France, où on déteste l’hérésie) ? Pas sur, pas sur du tout. Possible, évidemment, mais le tribunal ne fait que traiter le cas soumis, et on peut légitimement douter qu’un tribunal accepera aussi facilement 4, 5 ou plus parents ...


                • Capreolus Capreolus 23 janvier 2007 12:31

                  Je vous remercie pour cet intéressant commentaire. Vous dites : « la définition de la famille reste une construction sociale », ce à quoi j’ajoute que cette construction sociale, c’est à dire son cadre juridique, ne crée pas la famille. La famille est une réalité relative à la nature de l’homme, et donc ce cadre juridique doit être évalué à l’aune de cette nature. Il s’agit par exemple de savoir si la polygamie respecte la dignité de la femme, par exemple, en tant qu’elle est un être de nature humaine. C’est donc cette notion de nature, antérieure au droit positif, qu’il faudra approfondir. cordialement, Capreolus

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