Les quarante ans de Woodstock, entre mythe et réalité
But you know I know when it’s a dream Mais tu sais, je sais quand c’est un rêve. Strawberry Fields Forever - Strawberry Fields pour toujours - Chanson des Beatles chantée par Richie Havens à Woodstock, 1969 Quarante ans après, que reste-t-il du festival « The Woodstock Music and Art Fair » ? Des images de jeunes garçons et filles dévêtus, de groupes faisant sonner les guitares électriques sous la pluie ou le soleil, d’une marée humaine, de morceaux inoubliables.. mais encore ? Le sociologue Eric Donfu revisite l’esprit de Woodstock, en cet été 2009.
Le mythe est constitué par la déperdition de la qualité historique des choses : Les faits perdent en lui le souvenir de leur fabrication. Il est paradoxal que le quarantième anniversaire de Woodstock, intervienne alors que le monde entier prend conscience de l’emprise de Michael Jackson, qui a vendu plus de 750 millions de disques dans le monde. Dans ces heures où l’on célèbre comme un mythe la mémoire planétaire d’un artiste noir qui refusait la négritude, et dont la musique a signifié un tournant, le quarantième anniversaire du « Woodstock Music and Art festival » à Bethel, dans l’Etat de New-York, aura sans doute du mal à se faire entendre. A moins que, au contraire, ce parallèle ne sorte Woodstrock de sa naphtaline ses notes d’authenticité et de sincérité…
Si l’on dépasse les figures caricaturales des peaceniks et des drogués, personne ne peut nier que, du 15 au 17 août 1969, le "flower power" ait démontré dans le calme et sans incident, une force générationnelle sans précédent. Ce rassemblement, intervenu au point d’orgue du mouvement « peace and love », deux ans après le rassemblement de Monterey, les 16,17,18 juin 1967 est révélateur d’un tournant pour la jeunesse de l’époque, comme pour la société contemporaine. Il n’a jamais eu d’équivalent, malgré ses rééditions diverses, dont celles 1979 et 1999. Il reste aujourd’hui le plus grand rassemblement de jeune pour la paix, et a réuni autour d’un concert, des jeunes venus de tous milieux.
Les discours étaient libres et souvent naifs comme « No rain » : face à la pluie. Mais 450 000 jeunes se sont mis en route vers autre chose que le simple quotidien, en cherchant à vibrer plus qu’à vivre. Et en le faisant dans la fraternité, « Whith a litte help from my friends » comme le chantait Joe Cocker, reprenant une chanson de mars 1967 des Beattles.
Bien sûr, les bus décorés et les tenues hippies restent comme des symboles de Woodstock, même si c’est une erreur de généraliser cette « beat-génération » à tous les participants. Aujourd’hui, le rassemblement de Woodstock apparait d’ailleurs autant comme l’apogée que comme la fin du mouvement hippie aux Etats Unis. C’est le témoignage d’un monde qui n’existe plus, mais a-t-il seulement existé ? A l’évidence, oui, comme évènement en tous cas. Par son ampleur inattendue .Ce festival était prévu pour 50 000 personnes et il a fallu en accueillir 450 000 au prix d’un embouteillage de plus de quinze kilomètres et d’une rupture des vivres .Mais il fut incontestablement une démonstration de force pacifique de la contre-culture portée par la jeunesse américaine à l’époque de la guerre du Vietnam, Woodstock est bien un marqueur de vie. Il a sa date, au même titre que mai 68 ou que les premiers pas de l’ homme sur la lune, ces autres évènements marqueurs de vies survenus, avec l’assassinat de Martin Luther King, dans ces mêmes années. Woodstock restera comme un très grand moment musical, point d’orgue des « poètes du rock » comme de l’essor du pop art. Toutes les grandes stars du rock y participèrent, à de rares exceptions près, comme par exemple The Doors et Jim Morisson, retenu par un procès. Même si les 450 000 juenes présents n’étaient pas toute la jeunesse, ils représentaient quand même une bonne partie d’elle, et surtout une minorité active. Et puis, la force du symbole, la puissance du plateau musical, de Joan Baez à Bob Dylan, de Jimi Hendrix à Janis Joplin, sans oublier les Who, Santana, Joe Cocker ou Crosby, Still and Nash, a marqué plusieurs générations, au-delà de toutes les origines sociales.
Ce mouvement était aussi fort du rejet de la société qui le regardait bizarrement. Mais, passée la lutte contre la guerre au Vietnam, pour les droits civiques des noirs, et contre la société de consommation, on peut se demander s’il ne s’agissait pas d’une crise d’adolescence sociétale. Il est frappant, par exemple, de lire les paroles de la chanson des beatles « she’s leaving home ». Cette chanson très mélodieuse, qui raconte la fugue d’une adolescente partirait d’un article paru dans le Daily Miror de février 1967 qui racontait en détail la fugue d’une jeune fille de 17 ans, Melanie Coe. C’est cette histoire qui aurait inspiré Paul Mac Cartney dans l’écriture poignante de She’s leaving home. A l’époque les cas similaires de fugues chez les adolescents, étaient un phénomène de société. Et à San Francisco, ces comportements étaient encouragé par Timothy Leary (1920 / 1996) gourou de la « contre-culture » et auteur du slogan psychédilique « Turn on, tune in, drop out », (“Viens, mets-toi dans le coup, décroche”). Cette période a exacerbé les déchirures familiales, comme en témoigne par exemple un petit ouvrage méconnu de John Lennon, paru en 1967 et mettant notamment en scène de façon hallucinatoire le divorce entre un père et son fils.
Mais la consommation de drogues, la pression démographique et l’inversion du modèle parental portaient leurs limites en elles. Les beatnicks et les hippies, leurs slogan « Peace and love » et « faites l’amour, pas la guerre » ont vite été dépassés par des « Wathermen » déterminés, surnommés les Panthères blanches en référence à Malcom X. Le mouvement hippie a également souffert de ses excès de LSD comme de la dérive meurtrière de Charles Manson, leader d’une communauté hippie « La Famille ». Et puis, le temps s’est chargé de distinguer le grain de l’ivraie. Et ceux qui avaient 20 ans en 1969, en eurent 40 en 1989, et en ont 60 aujourd’hui. Des débats ont agité les journaux, certains évoquant une « génération sacrifiée » d’autre la rendant responsable des désordres sociaux et éducatifs de la société contemporaine. La vérité est bien-sûr plus nuancée.
D’abord, cette génération, née entre 1930 et 1950, ne s’est pas définie autour d’un évènement, mais d’un espace de temps Et le déroulé de leur vie, peut révèler des contradictions évidentes. Sur le plan de l’éducation, du refus de toute autorité avec les enfants, les limites ont été vite trouvées. Le modèle hippie, et ses communautés d’inspirations utopiques, a visiblement échoué sur le plan de la famille et du couple. Mais la quête de repères contemporaine ne peut oublier que, si les rapports entre les générations sont cent fois meilleurs que dans les années 60, c’est du, par-delà les psychologues, à cette aspiration confuse d’autre chose, portée par toute une classe d’âge.
Le jeu de balancier des générations s’est chargé de remettre en place des modèles balayés dans les années 70, mais sans les contraintes qui avaient entrainé leur rejet. Les enfants des hippies ont souvent porté comme un poids leur histoire personnelle. Et il faut sans doute attendre que leurs propres enfants, soit les petits enfants des jeunes de Woodstock, prennent la mesure de ce mouvement d’émancipation de l’individu, du droit des femmes, de l’amour libre de la remise en question des rapports d’autorité et de la société de consommation. Mais le contexte n’a plus rien à voir avec la société des années 70. La société contemporaine a inversé les rapports de groupe en privilégiant désormais le média internet. Il est quand même frappant de constater que cette métaphore du village global fut avancée dès 1962 par le philosophe canadien Marshall McLuhan (1911 – 1980) pour prédire l’essor des médias électroniques et leur influence croissante sur les sociétés humaines.
Il reste donc, de cette période, des présupposés objectifs qui ont pénétré les valeurs contemporaine, comme nous allons le voir en conclusion de cet article ; Mais les hippies eux-mêmes ont été les premiers à corriger ce qu’ils considèrent comme des égarements de leur jeunesse. Une étude américaine réalisée dans les années 90 estimait par exemple que 40% des hippies californiens s’étaient rangés, moins de 30% restant « en marge ». Enquête de l’Institut national d’hygiène mentale, citée par L’aventure hippie, P 352 Jerry Rubin,(1938 -1994) auteur en 1970 de Do It Scénarios de la révolution, considéré comme le manifeste Yippie, activiste contre la guerre au Vietnam avant de devenir un homme d’affaire et l’ un des premiers actionnaires d’Apple déclarait en 1985 : « Non, je ne lutte plus contre l’État. Ce n’est plus la peine, ce n’est plus le bon combat .(…) La meilleure, la seule façon aujourd’hui de combattre l’État, c’est de le remplacer. Et nous sommes assez nombreux pour le faire. »
La nation Woodstock dont certains poètes beat rêvaient dans les années 70 n’exista donc jamais et n’existera jamais. Dès les lendemains du rassemblement de 1969, la « bof génération » des années 70 pointait son nez. L’industrie musicale avait compris la force commerciale du « star système ». la mécanique de récupération a fonctionné à merveille. Si quelques groupes comme Les Fleet Foxes, Crosby, Still and Nash ou les Felice Brother perpétuent toujours aujourd’hui le style hippie, la culture technoïde est passée par là. Woodstock est aujourd’hui devenu aussi une marque.
La question que l’on peut se poser quarante ans après, est « existe-il un esprit Woodstock » et celui-ci a-t-il survécu aux métamorphoses de la société ? Et bien, si l’on considère que la gratuité était au cœur de Woodstock (payant au départ, le concert fut vite gratuit devant l’afflux des participants) on peut lire un peu d’esprit Woodstock dans le monde des nouvelles technologies, avec les logiciels libres ou le peer to peer par exemple. Il est frappant de voir que, comme ce fut le cas pour Jerry Rubin, ce sont bien d’anciens hippies qui sont en pointe sur cette philosophie du gratuit. Dans le domaine de la consommation, l’intérêt croissant pour le bio, pour les énergies renouvelables et pour l’écologie répondent aussi aux valeurs portées il y a quarante ans. Sur le plan politique, les mouvements altermondialistes s’en inspirent aussi. Et comment situer ces free parties ou les raves parties, ces grands rassemblements autour d’un « sound system » organisées par et pour les jeunes et adolescents ? De façon générale, le nomadisme, l’aspiration à la vie simple, l’hédonisme et le droit à la différence sont des valeurs qui se sont aussi exprimées à Woodstock.
Mais si, à l’échelle de la société, nous développons un peu cette théorie de « crise d’adolescence » d’une jeunesse qui étaient agitée par des puissances créatives qu’elle avait en elle sans pouvoir bien les identifier ( Nothing is real Rien n’est réel ) nous pouvons nous demander si, à l’échelle de tous els pays occidentaux, ce mouvement n’a pas accompagner la mutation de la société de la norme au lien, du groupe à l’individu. Cet épanouissement lent de la société vers un individualisme humaniste dépasse le hip hop, le rap ou la techno rebelle pour placer chaque individu dans l’obligation de produire sa propre individualité. Et on pourrait aussi se demander si le divorce que l’on observe dans la population avec les modèles de comportements volontaires, n’a pas entrainé aussi une crise d’ « adulescence » à cheval sur plusieurs générations. La crise économique remet aujourd’hui en question la société libérale hypermoderne. C’est sans doute dans la liberté d’action et de réflexion de chaque citoyen-consommateur que réside la principale force de l’esprit, voire du mythe Woodstock.
Il ne faut pas surestimer un évènement, et il est bon de le situer dans son contexte, comme dans le temps. C’est ce que nous avons essayé de faire dans ce texte. « Vivre d’amour et d’eau fraiche », c’est vieux comme le monde, mais, dans l’imaginaire collectif, ça fait référence aussi au mois d’aout 1969 ; à Woodstock, quand la jeunesse américaine s’est retrouvée dans un « anti capitalisme » pacifique. Ces « minorité actives » ont leur place dans l’imaginaire collectif et inspirent des valeurs que l’on retrouve toujours dans la société contemporaine.
« Trois jours de paix et de musique. Des centaines d’hectares à parcourir. Promène toi pendant trois jours sans voir un gratte-ciel ou un feu rouge. Fais voler un cerf-volant. Fais-toi bronzer. Cuisine toi-même tes repas et respire l’air pur » C’était la publicité de l’évènement. On se laisserait tenter aujourd’hui, non ?
Eric DONFU
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