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Accueil du site > Actualités > Société > Logement : ce que nous n’avons pas fini de payer

Logement : ce que nous n’avons pas fini de payer

Au début des années 1980, résident à Paris, j’ai fait la connaissance d’un Tunisien sans papiers qui faisait la plonge dans un restaurant des Grands Boulevards et qui vivait dans une chambre de bonne, près de la Madeleine, donc pas très loin de chez Fauchon... On ne peut pas dire que le logement était de grand standing,. Chambre mansardée, lucarne donnant sur un coin de ciel pas terrible, peinture douteuse, WC dans l’escalier, avec un coin cuisine à l’avenant. Pourtant, cet ami était plutôt content de vivre là. Pas de contraintes spéciales pour rentrer chez lui le soir, pas d’insécurité (eh, oui... les immigrés peuvent en être aussi les victimes), pas de voisins bruyants ou importuns, pas de temps sacrifié dans les transports en commun, sans parler d’un environnement qu’il était le premier à qualifier de plaisant, et même d’exceptionnel, et qu’il faisait découvrir avec fierté à tous ses amis.

 

Depuis, les différentes lois (Méhaignerie, Besson, entre autres...) qui ont réglementé le logement en France, lois votées tant par la droite que par la gauche, ont fait que cet habitat « précaire » mais particulièrement adapté à une population non encore enracinée dans sa société d’accueil, a lentement mais sûrement disparu, dans sa totalité, emporté par un souffle de spéculation immobilière sans précédent dans l’histoire de l’urbanisme en France, exception faite du Second Empire. Mais ne jetons pas trop rapidement la pierre à ce cher baron Haussmann, pour nous donner bonne conscience à peu de frais. Le Paris que nous aimons tous aujourd’hui, et dont certains moralisateurs profitent sans pudeur, dans les grandes lignes, c’est quand même le sien.

 

Il n’est pas nécessaire de refaire ici ni l’histoire ni le bilan de ces années fric-à-dégueuler qui ont caractérisé le marché de l’immobilier dans l’hexagone, durant la seconde moitié de la décennie 1980 et au-delà. Quelques mètres carrés achetés le matin moins de 2000 F l’unité pouvaient se négocier trois ou quatre fois plus, avant le soir, sur une simple promesse de vente. Il paraît que ça s’appelle la loi du marché...

 

La seule question qui vaille la peine d’être posée aujourd’hui, maintenant que le mal a été fait, c’est pourquoi, quand ces diverses lois de libéralisation du secteur locatif ont été votées - tant par la droite que par la gauche, répétons-le - personne n’a élevé la voix pour alerter l’opinion publique sur ce qui n’allait pas manquer d’arriver si l’on éradiquait cet habitat dit « de transition » ? Un habitat qui, durant des décennies, avait assuré une mixité certaine dans la plupart des grandes villes. Alors, pourquoi cet assourdissant silence ? Les « décideurs » de l’époque devaient quand même bien savoir qu’une fois entamée, la disparition de ce type de logement serait définitive et que personne ne pourrait jamais revenir en arrière pour réparer la mise à sac opérée par les spéculateurs venus de toute la France, mais aussi de l’Europe entière et d’outre-Atlantique. Les services d’urbanisme de la ville de Paris et de la proche banlieue feront-ils un jour le bilan des surfaces d’habitat populaire (plusieurs milliers) qui ont été vidées de leurs occupants « précaires » et transformées du jour au lendemain en appartements de standing ou en duplex, sous les toits de Paris ? Serait-ce parce qu’une bonne partie de ces « décideurs » aux dents longues, sortis pour la plupart d’un même moule, a fait quelques opérations bien juteuses à l’occasion et que, grâce à leur plus-values, ils ont pu lorgner un peu plus tard plus aisément du côté du pays de Caux ou du Luberon, avec l’oreille complaisante de leur banquier ?

 

Ils se sont gavés ? On s’en fout ! Le crime, c’est le silence. Car ce silence, nous le payons très cher aujourd’hui encore dans les quartiers dits « en difficulté » et dans ces bidonvilles normalisés que sont les grands ensembles construits à la va-vite, à la fin des années 1960. Grigny... Grigny... Quelle blessure... Un véritable crime contre l’humanité... Et ce silence, nous n’avons pas fini de le payer.

 

Le fait d’avoir ainsi vidé nos villes d’une frange d’une population par définition instable (mais l’instabilité est-elle réellement une tare, à part du point de vue des « assis » ?), une population qui trouvait le minimum décent dans ce type d’habitat, a eu pour conséquence de jeter à la rue des dizaines de milliers de personnes qui n’avaient pas les moyens d’intégrer les nouvelles normes du circuit locatif, mis en place par les banques et les autorités politiques de ce pays pour le plus grand profit des rentiers. Résultat : des sans-abri un peu partout, les Resto du cœur (financés parfois par ceux-là mêmes qui avaient imaginé et voté ces lois scélérates) et le cycle de la misère qui en a découlé.

 

Est-il besoin de souligner qu’une frange importante de la population immigrée a été touchée de plein fouet par cette politique de « rentabilisation » forcenée ? Et sans qu’il lui soit possible de pouvoir envisager un quelconque recours. Les premières vraies manifestations du déficit d’intégration que connaît la France aujourd’hui n’ont-elles pas commencé à ce moment-là ? Quand on met quelqu’un à la rue, il est quand même surprenant de lui demander dans la foulée de s’intégrer...

 

La crise du logement, en fait crise de l’habitat moderne, ne peut trouver un début de solution qu’en définissant de nouvelles normes de mixité au cœur de nos villes. Est-ce encore possible ? Oui, si nous acceptons de ne pas plier devant les seules lois du marché et de la rentabilité, et si nous étudions de nouveaux concepts architecturaux permettant d’intégrer, à l’intérieur d’un même bâtiment, des logements aptes à offrir un niveau de prestations différent. Non, si nous nous contentons d’un replâtrage de façades (on a fait ça depuis plus de vingt ans). Car dans ce cas, nous n’en aurons jamais fini de refouler loin de notre regard ceux qui, par nature, sont les plus fragiles. Mais une telle politique (propre à hérisser le poil d’élus locaux adeptes de la « pureté sociale ») implique que cette mixité soit aussi synonyme de fluidité culturelle et non de ghettoïsation. La chambre de bonne, c’était la plupart du temps au 7e étage ; il fallait souffler un peu pour l’atteindre, mais en tous cas, ça obligeait des gens de toutes conditions et toutes origines à se dire bonjour dans l’escalier, et parfois même à s’aider à monter le sac des commissions. Patrick Adam

 

 

 


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10 réactions à cet article    


  • thierry (---.---.122.242) 18 avril 2006 15:48

    J’aime bien votre analyse qui me semble pertinente. Par contre, maintenant que le mal est fait, j’ai du mal à imaginer des solutions pour revenir en arrière. Merci en tous cas pour cet article...


    • claro (---.---.198.243) 20 avril 2006 00:57

      @Demian West

      Cher Monsieur, ne voudriez pas attendre avant de faire vos commentaires en moins de deux minutes sur chaque article ?

      Il devient tres lourd de vous lire, à la longue, et votre présence démesurée ainsi que celle de quelques autres, avec « private jokes » à l’appui, dénature complètement ce journal citoyen en une sorte de blog pour amis intimes passant leur journée sur le net.

      Par pitié pour tous les lecteurs, merci de vous faire plus discret et peut-être, de retirer votre photo qu’on voit partout. Vous comprendrez qui l’en va de l’intérêt général de ce journal, car en remplaçant le discours unique des média de masse par le votre et celui de vos amis ou ennemis, on finit par ne pas gagner grand chose, et je reste poli.

      Merci d’avance et bonne continuation.


    • Patrick Adam Patrick Adam 18 avril 2006 17:09

      Ah ! Demian... Enfin un zeste d’humanité dans vos propos. Moi aussi, j’en reprendrais bien une louche. Cordialement donc. Patrick Adam


      • Basta (---.---.213.202) 18 avril 2006 19:57

        Les méchants spéculateurs n’ont fait qu’anticiper le désir d’une nombreuse population de bobos de vivre à Paris. Ce ne sont pas les immigrés les premières victimes de cette évolution sociale, mais la classe populaire de Paris, qui est remplacée par la bourgeoisie bohème, plus jeune, friquée, en général sans enfants, avide de vie parisienne. C’est ainsi que l’argot du petit peuple parisien a disparu, pour être remplacé par le parler socio-branché...

        Dans cette pièce à plusieurs personnages, faut-il désigner un méchant qui concentre sur lui l’opprobre ?

        En tout cas, pour avoir passé (à 5 !) mon enfance dans un 28 m2 sans chauffage ni toilettes, je n’éprouve aucune nostalgie pour ces minuscules logements parisiens assez typiques.


        • Patrick Adam Patrick Adam 18 avril 2006 21:48

          Pourquoi faut-il toujours revenir sur des mots que l’on n’a pas écrits... Ai-je dit que les premières victimes de la spéculation immobilière des années 80 furent les immigrés ? Non. J’ai parlé d’une « frange importante » parmi cette population qui a été touchée de plein fouet. Il me semble que ce n’est pas la même chose. Quant aux spéculateurs que vous cherchez peut-être à dédouaner, (allez donc savoir pourquoi), ils n’ont rien anticipé du tout. Ils ont fait leur boulot de spéculateurs, et c’est tout. Pour ce faire, ils ont habilement utilisé un discours politico-économique en vogue chez nos décideurs de l’époque pour fustiger « l’injustice sociale » des loyers de 48. Ils ont ainsi créé un besoin de nivellement en dressant deux franges de population populaire l’une contre l’autre, avec d’un côté ceux qui payaient un loyer au prix du marché et de l’autre ceux qui profitaient indûment de cette inique loi de 48. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, ils ont réussi à mettre des tas de gens à la rue en les traitant de profiteurs... La première vague de spéculation a été le fait de professionnels de l’immobilier, syndics, cabinets immobiliers, cabinets d’assurances, conseils en investissements, petits rentiers bricolant à la va vite deux ou trois S. C. I. Tous ont travaillé en cheville avec des entreprises du bâtiment qui avaient pignon sur rue et qui disposaient d’un roulement de liquidités suffisant pour le bon fonctionnement de la manoeuvre. Les bobos ne sont arrivés sur les lieux que bien plus tard. Mon propos n’était pas de désigner un méchant, mais de rappeler un système et des faits qui pèsent aujourd’hui encore sur notre société. Je vous ferai grâce de dire ici où j’ai passé mon enfance. Sachez seulement que « vous n’avez pas le monopole » du misérabilisme. Il me semble cependant qu’en abordant un sujet de société, il n’est pas nécessaire d’en faire étalage. Patrick Adam


        • Patrick Adam Patrick Adam 18 avril 2006 22:31

          Ah !Demian... Demian... Serions nous en train, tous les deux, de nous trouver des tas d’atomes crochus ? Après tout pourquoi pas. Votre fréquentation commence à valoir un certain détour. Mais foin de ces épanchements de civilité, je vous réserve un propos sur M. Moussaoui qui, s’il est publié, vous fera, j’en suis sûr, grimper une fois de plus aux rideaux. Ne préjugeant pas de l’avenir, je profite de la trêve pour vous redire une fois encore : cordialement à vous... et merci pour votre loyauté. Patrick Adam


        • Stephane Klein (---.---.101.8) 19 avril 2006 13:05

          Votre analyse est interessante mais il me semble que le boom immobilier des dernieres annees est plutot du a des investissements de logement personnels qu’a des achats speculatifs. Comme le dit Basta, on achete plutot aujourd’hui a Paris pour se loger. Or ne se loge pas qui veut. Pour subvenir au remboursement d’un pret d’un appartement classique parisien, il faut aujourd’hui etre un couple jeune de 25-35, dont les deux personnes travaillent, sans enfants ou avec un seul. On appelle ca aujourd’hui de facon generale des bobos.

          Si les populations les plus modestes ont ete rejetees en banlieues, c’est du a un phenomene de demande immobiliere basee sur l’accession a la propriete relativement naturelle et dont l’offre est trop faible.


          • Patrick Adam Patrick Adam 19 avril 2006 13:43

            Je persiste et signe. Mon analyse est basée sur des faits qui remontent au milieu des années 80. Soit près de 20 ans... Je vous convie à relire toutes les déclarations politiques qui servi à mettre à plat la fameuse loi de 48. Un lobbying extraordinaire s’est mis en place à cette occasion. Je ne parle donc pas de ce qui s’est passé « ces dernières années » comme vous le dites. L’apparition des bobos est un phénomène plus récent. Ce n’est pas cette nouvelle tribu qui a « dérégulé » le marché parisien ainsi que celui de certaines grandes villes de province, mais bien sûr elle n’a pas été la dernière à avoir profité de cette « libéralisation » sauvage. On pourrait même, mais ce serait un autre débat, se poser la question de savoir si les bobos n’ont pas été, en quelque sorte, une des conséquences les plus troublantes de cette spéculation. Combien sont-ils, ceux qui ont humé l’air du temps et qui ont troqué le petit deux-pièces qu’ils possédaient dans le XIIème ou le XIXème à l’instant où ils ont réalisé qu’ils pouvaient s’offrir un appartement de meilleur standing rue Montorgueil. Les populations les plus modestes n’ont pas été refoulées en banlieue par déficit d’accession « relativement naturelle » à la propriété. Quel mythe ! Mais elles l’ont été sûrement par l’éradication opérée en quelques années, d’un habitat précaire qui convenait parfaitement à leurs prétentions. Je ne suis sans doute pas le seul à n’avoir jamais désiré devenir propriétaire de quoi que ce soit. Est-ce une tare ? Dois-je aller me couvrir de cendres et sacrifier immédiatement au Veau d’Or de l’Immobilier ? Etre propriétaire de quoi que ce soit, je m’en fous. Ce que je veux, c’est avoir la possibilité de vivre bien, à ma place et sans embêter mon voisin, qui plus est dans un environnement de qualité, pas dans des barres infectes quoique parfaitement normalisées. Quand donc comprendrons-nous qu’une ville ce n’est pas seulement un marché immobilier. C’est aussi un décor et des biens à usage collectif. Mais c’est aussi une identité, une fierté, parfois même une revendication. Une ville c’est avant tout un paysage. Patrick Adam


          • bertrand (---.---.6.168) 21 mai 2006 19:06

            cet article n’est pas assez structuré


            • Patrick Adam Patrick Adam 21 mai 2006 19:12

              @ M. Bertrand Dites, je vous en prie, c’est quoi un article « bien struturé ». J’ai tellment envie d’apprendre de votre belle science. Répondez-vite, si votre grâce daigne s’abaisser à me répondre. Je ne vais pas dormir ce soir. Patrick Adam

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