Mariage posthume, mariage « nécrophile » ? Et pourquoi pas entre homosexuels ?
Le 26 juillet 2008 était fêté dans le Tarn un mariage très particulier... où la mariée était morte depuis déjà quatre ans. Une stupidité nouvelle dans la longue histoire du mariage.

On n’en finit plus d’observer des incongruités avec l’institution du mariage. Il y a quelques semaines, la polémique faisait fureur avec l’annulation d’un mariage sous prétexte du mensonge de la mariée sur sa prétendue virginité (voir cet article).
Samedi dernier, ce n’est pas d’annulation, mais de cérémonie de mariage qu’il s’agissait.
Un homme de 68 ans, Jean-Louis, qui avait vécu avec une femme, Martine, pendant une vingtaine d’années, se mariait civilement avec elle. Jusque là, rien de bizarre.
Si ce n’est que cette femme est morte à 52 ans il y a quatre ans à cause d’une maladie foudroyante.
Le couple avait décidé de se marier à la retraite, mais la compagne a disparu deux mois avant la date prévue pour le mariage.
On peut penser que, pour mémoire de sa bien-aimée, l’homme voulait l’honorer d’une manière ou d’une autre, bien que leur vie ensemble leur donnât l’occasion de devenir mariés bien avant le décès de la femme.
C’est pour des raisons privées qui ne regardent que les personnes impliquées (le marié, sa famille et celle de la mariée décédée), et qui sont forcément respectables, que cette cérémonie a été voulue. Donc, je ne m’étendrai pas sur ces considérations personnelles.
Une procédure rarissime
Le problème, c’est qu’en principe, un tel mariage est impossible. Notamment parce qu’il est nécessaire que l’officier de l’état-civil puisse recueillir le consentement libre et éclairé des deux époux.
Or, décédée depuis quatre ans, même si elle avait pu évoquer ce souhait dans ses dernières volontés (leur mariage était planifié), ce souhait, quatre ans plus tard, n’est plus vraiment valable quand on sait que bien des mariages aboutissent au divorce au bout de quelques années. Les volontés peuvent évoluer.
Pour déroger à la règle, il a fallu une autorisation exceptionnelle du Président de la République, à savoir de Nicolas Sarkozy. Quelle a pu être la motivation de Nicolas Sarkozy, qui avait lui-même voulu limiter ses pouvoirs régaliens à propos de son droit de grâce, à accepter une telle célébration ?
Cette procédure très rare a déjà été appliquée à d’autres cas. La première fois dans le Var pour permettre à une jeune femme enceinte de se marier à titre posthume avec son fiancé disparu au cours d’une catastrophe en décembre 1959. On peut comprendre que rendre l’union officielle faciliterait la vie de l’enfant à naître notamment en lui donnant le patronyme de son père biologique (surtout dans les esprits de l’époque).
Un contrat social fondé sur un projet commun d’avenir
Si un mariage civil est un contrat privé, ce qui fait déjà désordre lorsque l’une des deux parties n’est pas là, il est aussi un contrat social.
Ce contrat social se décline notamment par l’obligation aux époux de vivre sous le même toit et par la conduite d’un projet de vie commun comme fonder un foyer, éventuellement avoir des enfants, les éduquer etc. On peut imaginer que ce foyer avait été déjà construit par les deux époux, en dehors des liens du mariage.
Le danger d’un tel mariage, c’est qu’il signifie que l’époux-veuf est marié au-delà de la mort. Dans le cas d’un mariage chrétien, il est bien spécifié que les deux époux sont unis pour le meilleur et pour le pire jusqu’à la mort de l’un d’entre eux. La mort d’un époux ’libère’ l’autre qui peut ainsi se remarier (religieusement). Une mesure d’autant plus nécessaire que le veuvage arrive à un âge jeune, ou lorsque les enfants laissés par l’époux décédé sont encore très jeunes et ont besoin d’un parent de substitution.
Remise en cause du divorce
En se mariant à une morte, c’est toute l’institution qui est ébranlée. Comment divorcer également de cette épouse décédée ? Faudrait-il aussi l’aval du Président de la République (qui a beaucoup d’autres affaires à régler) ? Si l’époux devenait amoureux d’une autre femme (vivante, elle), comment pouvoir officialiser cette nouvelle union ? Ou est-il simplement devenu veuf à la date du mariage ?
Je ne souhaite pas savoir s’il y a eu des considérations financières dans cette affaire : succession ou intérêt d’éventuels enfants. Je le redis, les affaires privées restent des affaires privées dans l’intimité des vies privées. Je me permets juste de porter attention sur ce qui touche à l’aspect institutionnel du mariage.
Un homosexuel est-il plus honteux qu’un mort ?
Car c’est là qu’il y a un véritable défaut, au moins dans la législation française : on pourrait donc se marier à un mort, mais pas entre homosexuels ?
Il est clair qu’il est plus sain d’envisager le mariage entre deux homosexuels vivants, qui ont adopté un projet de vie commun et qui peuvent le confirmer tous les deux de manière libre et volontaire le jour d’un éventuel mariage que l’union entre un vivant et une morte qui n’apportera rien, ni projet commun, ni futur commun, uniquement une sorte de passé nostalgique dans lequel l’époux survivant restera enfermé.
On pourrait se souvenir de ce mariage entre homosexuels célébré maladroitement à la mairie de Bègles par son maire, le député écologiste Noël Mamère, à grand renfort de provocations et de médias. Ce dernier avait d’ailleurs été sanctionné administrativement, ayant été admis qu’il avait outrepassé les prérogatives que la loi accorde aux maires.
Retour sur le débat récurrent sur le mariage des homosexuels
Personnellement, je n’ai pas d’opinion affirmée sur le mariage homosexuel : faut-il l’autoriser ? faut-il rester comme maintenant ?
L’un des arguments contre le mariage homosexuel, c’est que, dans les projets d’avenir, dans la construction du foyer naissant, il y a la possibilité d’avoir des enfants, éventualité qui, jusqu’à maintenant, dans l’état actuel de la science, est impossible entre deux homosexuels.
Certes, les possibilités de familles recomposées, les mères porteuses (illégales en France), ou même l’adoption d’enfants (interdite pour un couple homosexuel, ce qui est absurde dans la mesure où elle peut être autorisée pour une personne seule)... peuvent être des solutions à une éventuelle volonté d’un couple homosexuel d’avoir des enfants.
De plus, la stabilité psychique des enfants de n’avoir des parents que d’un seul sexe n’en sera pas plus atteinte que chez les enfants d’un foyer monoparental où manque déjà le parent d’un sexe donné.
Parmi les arguments pour, il y a une indispensable égalité des citoyens, sans distinction de religion, d’opinion et de... comportement sexuel.
Pourtant, cette revendication est bien étrange dans une époque où le concubinage et l’union libre sont monnaie courante (qui ne prête plus au scandale), où l’union de couples homosexuels est déjà largement reconnue et admise par la société, et renforcée fiscalement par l’institution du PACS.
Il apparaît que le mariage de deux homosexuels paraît tout de même nettement plus sain, qu’entre un époux vivant et une épouse décédée.
Quelques questions éthiques
Ce mariage du 26 juillet 2008 pourrait en effet faire germer de bien mauvaises idées dans certains esprits. Pourquoi cette possibilité ne se généraliserait-elle pas pour les personnes célibataires, divorcées ou veuves ? Où serait le consentement libre de l’époux déjà décédé ? (beaucoup savent faire parler les morts, notamment très célèbres comme de Gaulle).
Et puis, comment ensuite divorcer d’un conjoint décédé ?
En quelque sorte, ce mariage est sans doute le résultat d’un immense amour et d’un profond deuil. Il peut aussi renforcer une union civile qui, normalement, s’arrête là où la vie s’arrête. Il remet en cause le principe du divorce. On n’est plus uni pour la vie, mais même dans la mort (l’engagement est alors bien plus important que ce que l’Église elle-même demande).
Et cette volonté d’utiliser une personne décédée me fait toujours douter des intentions de celui qui en est à l’origine. Ne serait-ce pas une sorte d’égoïsme dans son amour perdu qui peut avoir des dommages collatéraux ?
"Utilisation" d’un mort
J’ai souvenir qu’il y a une vingtaine d’années, une jeune veuve voulait avoir des enfants de son mari décédé (malade du cancer) plusieurs années après sa mort. Au début de sa maladie, l’époux avait fait un prélèvement de sperme qui a été congelé, et la veuve demandait la possibilité de l’utiliser pour une fécondation in vitro ou par injection.
La motivation de cette femme était évidemment l’amour. Pouvoir faire renaître le conjoint décédé par la naissance d’enfants biologiques. Il me semble que la justice n’avait pas autorisé une telle fécondation, car elle n’allait pas dans le sens de l’intérêt des enfants éventuellement issus d’une telle fécondation. On imagine en effet qu’il serait lourd à porter un tel amour et un tel deuil pour lesquels ils n’auraient été pour rien.
Heureusement, cette "nécrophilie" d’un nouveau type, inspirée principalement par un amour fou, est très rare.
Un mort reste-t-il juridiquement une personne ?
Mais il me semble que le législateur devrait se pencher sérieusement sur la question. Un mort reste-t-il encore une personne ou pas ? Un tel questionnement avait déjà été fait à propos des fausses couches : un fœtus avait déjà "reçu" un acte de naissance et de décès alors qu’il pouvait être encore avorté (voir cet article).
Et vous, que pensez-vous de cet étrange mariage du 26 juillet 2008 ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 juillet 2008)
Documents joints à cet article

41 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON