Mariage puis divorce : la prestation compensatoire est-elle inconstitutionnelle ?
La prestation compensatoire, de quoi s’agit-il ?
Hé oui bon nombre de couples mariés ne découvrent l’existence de la prestation compensatoire qu’au moment du divorce, ou bien plusieurs années après leur passage devant « Monsieur Le Maire de la commune », alors qu’ils ignoraient tout de cette disposition au moment du mariage.
Au moment du divorce il faut « liquider la communauté » mais ce n’est pas tout …
La liquidation du régime matrimonial :
Lorsque les époux son mariés sans contrat, le régime matrimonial qui leur est appliqué est le régime dit légal, « la communauté réduite aux acquêts ». La liquidation consiste à répartir à 50-50 les biens immobiliers et financiers (les économies) acquis pendant le mariage. Les sommes récupérées deviennent la propriété exclusive de chaque conjoint. Cette opération se fait après « reprise des propres », opération qui consiste à identifier parmi l’ensemble des biens, ce qui d’emblée n’appartient qu’à un seul conjoint et ne sera donc pas partagé. Car il est important de savoir que même dans le régime légal coexistent plusieurs masses : la masse des biens propres, une pour chaque époux, et la masse des biens communs. Les biens propres sont essentiellement décrits aux articles 1404, 1405 et 1406 du code civil et la jurisprudence permet d’éclaircir les points incomplètement traités voire ceux laissant du champ à l’interprétation. Parmi les biens propres les plus connus figurent les héritages perçus pendant le mariage et les droits à la retraite acquis dans les régimes obligatoires.
Lorsqu’il existe un contrat de mariage, la liquidation est plus simple car les règles de partage y sont en principe décrites.
Lorsque les époux ont choisi « la séparation de biens », la liquidation est encore plus simple, et donc moins coûteuse car il n’y a ni taxe de partage ni honoraires de notaire (ou peu), puisqu’il n’y a par définition pas de communauté.
Outre une nette préférence des générations actuelles pour le PACS en substitution du mariage puisque son nombre a été multiplié par 10 en 15 ans alors que le nombre de mariages chutait de 25% pendant ce même temps, ces dernières années montrent une part croissante de mariages conclus en séparation de biens. Si le régime de la communauté de biens reste majoritaire dans le stock des mariages encours, le recours à la séparation de biens a augmenté de 64% entre 1992 et 2010. En 2010, pour les couples récemment formés (soit, ensemble depuis moins de 12 ans), ce taux atteint presque 20%. Les couples cherchent à échapper à cette communauté de biens qui est encore imposée aujourd'hui, puisque c'est par défaut le régime auquel les futurs mariés sont soumis.
La prestation compensatoire :
Lorsqu’une communauté de biens existe, on pourrait logiquement penser qu’une fois le partage effectué, il le serait pour solde de tout compte, mais non. Vient ensuite ce que l’on appelle la prestation compensatoire, somme qu’un des époux (le débiteur) doit verser à l’autre (le créditeur), s’il s’avère qu’après le divorce la situation financière de l’un est meilleure que celle de l’autre.
Hé oui Mesdames et Messieurs, quelle que soit votre conception personnelle du mariage, ce qui compte in fine c’est celle des pouvoirs publics. Et pour les pouvoirs publics, bien que le mariage soit aussi un moyen d'obtenir la nationalité de son futur conjoint, moyen finalement peu utilisé au regard du nombre annuel de mariages, le mariage n’est qu’une histoire d’argent. Contrat ? Institution ? Peu importe, paradoxalement s’il y a bien une chose que les pouvoirs publics excluent totalement du mariage, c’est l’amour.
Quant à l’exigence de fidélité stipulée à l’article 212 du code civil, elle n’est devenue qu’une « recommandation » ou un vœu pieux puisque le législateur dans sa loi de 2004 réformant le divorce, a dissocié l’attribution de la prestation compensatoire de l’attribution des torts, et que l'adultère n'est même plus considéré comme une faute par les juges sauf cas répétés et d'une exceptionnelle gravité.
L’article 212 du code civil nous dit que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance », mais de ces quatre devoirs, seuls trois d’entre eux emportent des conséquences tangibles : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006422735
Sauf cas exceptionnel, la prestation compensatoire est payée sous la forme d’un capital plutôt qu’en rente viagère. Elle vient amputer la part de patrimoine que le conjoint débiteur possède après la liquidation du régime matrimonial. Si sa part de patrimoine propre est insuffisante, il devra emprunter pour la payer.
La peine encourue pour non paiement est sévère et peut aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 15000 Euros d’amende.
Son montant est varié. De quelques dizaines de milliers d’Euros à plusieurs centaines de milliers d’Euros. Il est d’autant plus élevé que les qualifications professionnelles des conjoints sont différentes, et donc que les différences de salaires sont grandes. Le lecteur trouvera facilement sur la toile un bon nombre de jugements qui lui permettront de se faire une idée concrète. Il se trouve que les conjoints débiteurs sont majoritairement les hommes.
Pourquoi une prestation compensatoire en plus de ce partage des biens ?
La communauté réduite aux acquêts ayant été choisie par le législateur en tant que régime légal pour qu'un conjoint resté en dehors du monde du travail ne se trouve pas démuni à la fin du mariage, on aurait pu penser qu’il s’agissait là déjà d’une prestation compensatoire prépayée. Pourtant le législateur est allé plus loin en donnant la possibilité à l’un de prélever une part de ce qui revient naturellement à l’autre, prolongeant au delà du mariage le devoir de secours mentionné dans l’article 212 que nous venons de citer.
Si cette prestation compensatoire pouvait être comprise à l’époque où les femmes n’exerçaient pas d’activité professionnelle, elle interroge dans notre monde moderne où le travail féminin s’est généralisé et où les aides permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle sont largement développées.
On peut donc se poser la question de sa légitimité et de celle des critères qui permettent de l’établir. C’est l’objet de ce texte.
Plus précisément, se pose la question de la constitutionnalité de l’article du code civil qui en établit le principe : l'article 270.
Cet article dont nous verrons que la rédaction ne poursuit prioritairement pas le but de compenser l’éventuel sacrifice de carrière de l’un des deux conjoints pour « la bonne marche du ménage » va au delà du seul prolongement du devoir de secours mentionné dans l’article 212. Car contrairement au discours convenu, ce qui est d’abord compensé ce n’est pas l’éventuelle incapacité du conjoint créditeur à obtenir un salaire par ses propres moyens, ni l'éventuel sacrifice de l'un des deux conjoints, mais le différentiel de niveau de vie des ex-conjoints après leur divorce. En effet, toutes les méthodes de calcul se basent essentiellement sur les différences des revenus estimés après le divorce, et une prestation compensatoire peut être accordée même si les revenus du bénéficiaire dépassent largement le revenu moyen du Français, même s'il n'a fait aucun sacrifice de carrière pendant le mariage. Dans l'immense majorité des cas, elle ne dépend que du différentiel de revenus, donc des salaires. Elle augmente avec la durée du mariage sans que l'on sache pour quelle raison objectivement prouvée tel ou tel coefficient d'amplification du quantum est appliqué. Elle résulte manisfestement d'une « soupe numérique » cuisinée par tel ou tel praticien en fonction de la conception qu'il se fait du mariage, ou du divorce, pour arriver à un résultat qu'il juge acceptable au doigt mouillé.
Cet article 270 du code civil que nous examinons plus loin a été initialement rédigé dans un contexte où les femmes ne travaillaient pas. Le modèle « hiérarchique » était la norme : l’homme au travail comme pourvoyeur de ressources et la femme à la maison pour s’occuper des enfants. Dans un tel contexte il fallait bien trouver un moyen pour qu’en cas de divorce, la femme sans diplômes ni qualifications professionnelles puisse continuer à vivre dans des conditions décentes.
Depuis, bien des choses ont changé. Le modèle familial a évolué vers un modèle individualiste : l’homme et la femme ont accès aux études, aux formations qualifiantes, au travail où d'ailleurs bon nombre de couples se forment. Les femmes d’aujourd’hui sont en mesure de ne pas vouloir de grossesse sans mener une vie d’abstinence et lorsque la grossesse est non désirée, elles peuvent recourir à son interruption volontaire. Avant même d’en arriver à ce stade, les moyens de contraception sont largement accessibles et connus. Rares sont donc les cas de grossesse non désirée.
C’est ce modèle individualiste visant l’indépendance financière des époux qui est encouragé par les pouvoirs publics depuis des décennies maintenant.
Hommes et femmes entrent donc dans « la relation d’ordre ». Aussi, si la personne possède un métier, un travail, un salaire qui correspond à sa valeur personnelle, lorsque le mariage se termine et que les biens communs ont été répartis, pourquoi celui dont les qualifications professionnelles sont inférieures à l’autre lui demanderait-il d’assumer le choix d’une profession fait avant même le mariage ? Dans un tel contexte, la prestation compensatoire ne deviendrait-elle pas une rente de situation ?
Existe-t-il un problème de constitutionnalité de l’article 270 du code civil ?
Cet article nous dit que :
« L'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Etc. » . Le lecteur en trouvera la rédaction complète ici https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006423870
Un détail sémantique important : « que la rupture du mariage crée dans les conditions etc. ».
Interprété stricto sensu, lorsque les différences de revenus proviennent de différences de qualifications professionnelles qui préexistaient au mariage, ce n’est pas la rupture du mariage qui crée la disparité car elle existait déjà. Dans ce cas la disparité a été créée par un choix de profession délibérément fait par chaque conjoint avant le mariage (c’est LA cause primaire), le divorce ne fait que la révéler mais il ne la crée pas.
Or la Cour de Cassation dit que :
« Le juge ne peut pas rejeter une demande de prestation compensatoire en énonçant que, s'il existe entre les époux une différence sensible de revenus, il ressort néanmoins que celle-ci préexistait au mariage et qu'en aucune façon, elle ne résulte des choix opérés en commun par les conjoints. » . Cass. civ. 1ère, 12 janv. 2011 (pourvoi n°09-72248) et Cass.1ère civ. 18 mai 2011 (pourvoi N°10-17445).
Par conséquent, si on s’en tient à l’interprétation de la cour de cassation, l’un des époux peut être condamné à payer une somme d’argent à l’autre au seul et unique motif que ses qualifications professionnelles sont supérieures à celles de l’autre, quand bien même ces différences de qualifications professionnelles préexistaient au mariage. Et il doit lui payer cette somme sur ses biens personnels.
Pourtant le droit de propriété bénéficie d’une protection particulière en droit Français.
L’article 17 de la déclaration des droits de l’homme qui a valeur constitutionnelle nous dit que :
« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »
Il existe donc des limites au droit de propriété : l’intérêt général, l’ordre public.
Or lorsque deux conjoints divorcent et que :
- chaque conjoint bénéficie de revenus qui lui permettent de vivre dans des conditions acceptables pouvant être par exemple mesurées par rapport au niveau de vie moyen des Français,
- aucun des deux conjoints n’a subi de préjudice de carrière pendant le mariage (et on peut le mesurer par la méthode des homologues),
- le conjoint demandeur se trouve dans une position professionnelle identique à celle qui serait la sienne s’il était resté célibataire, et il y a forte présomption que ce soit le cas s’il n’y a aucun trou de carrière (hors chômage qui touche d’ailleurs autant les hommes que les femmes),
il n’y a aucune atteinte à l’intérêt général si les revenus post divorce (du travail) de l’un sont supérieurs à ceux de l’autre, fussent-ils le quadruple puisqu’ils découlent de qualifications professionnelles et de capacités intellectuelles et/ou physiques différentes. A l’heure où l’on ne cesse d’encenser la « valeur travail », cette différence ne devrait-elle pas être considérée comme légitime ?
Il n’y a non plus aucun trouble à l’ordre public, à moins de considérer qu’une personne qui a été mariée a droit à plus qu’une personne restée célibataire (à compétences identiques).
Si bien que dans ce cas rien ne justifie l’intervention de la puissance publique.
Mais l’article 270 du code civil conduit quand-même à priver l’un des deux conjoints d’une partie ce qui est sa propriété puisqu’il paie la prestation compensatoire sur ses biens propres.
Il existe donc une question de constitutionnalité de cet article car il va au delà du devoir de secours auquel les mariés s’étaient engagés (article 212), sans trouver sa justification dans une atteinte à l’ordre public ou à l’intérêt général.
Pourquoi la question n’a-t-elle jamais été posée en ces termes ? Peut-être parce que ce ne serait pas « politiquement correct ». Peut-être aussi parce que la Question Prioritaire de Constitutionnalité n’existe que depuis peu de temps, et qu’il n’est pas simple de saisir le Conseil Constitutionnel compte tenu du nombre de filtres à franchir. Mais à mon avis, s’il était saisi de la question en ces termes, il serait bien embarrassé. Et à moins de rendre un avis uniquement politique, je ne suis pas loin de penser qu’il rendrait un avis de non conformité.
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