Marseille, ses calanques, ses trafics
Marseille, une ville communautaire
Quand je suis arrivé à Marseille en 2004 pour poursuivre mes études, j’ai trouvé une ville à la hauteur de sa réputation cosmopolite. C’est bien ce que je cherchais. En effet, étant d’origine espagnole, je me suis vite rendu compte que Marseille était la ville aux mille accents ; en commençant par les Marseillais eux-mêmes. Ici, chacun peut se fondre dans la foule métissée et y joindre son pigment, une sorte de patchwork participatif. Cependant, il serait illusoire de croire que tout va bien. Les ghettos sont bien identifiés et se forment aussi bien aux alentours du Prado sous forme de résidences fermées et sécurisées en pleine expansion, que dans les quartiers Nord où se retrouvent les plus démunis, ceux que l’on ne veut pas ailleurs. On cohabite, mais on ne vit pas ensemble. Les juifs, les Comoriens, les Maghrébins, les Italiens, les Corses, chacun dans son quartier, chacun avec son business.
Le centre-ville de Marseille est en pleine gentrification. On rénove, on expulse les plus pauvres et on met des bobos qui peuvent payer. Le Panier est devenu chic et rappelle le quartier du Mistral de plus belle la vie ; image fabriquée d’un Marseille nostalgique où les embouteillages, les déchets et les barres d’immeubles n’existent pas.
Le trafic, une fatalité ?
Quand, on est étudiant et que l’on veut fumer un joint, tout le monde nous conseille d’aller s’approvisionner directement à la source : dans les quartiers. On m’a montré plusieurs points de vente, à la Castellane, à Fontvert, la Savine ou même dans le centre, vers Belsunce ou à la Belle de Mai. À Marseille, les points de vente sont nombreux et ils sont fixes. Pendant des années, pour m’approvisionner, je me suis rendu dans le quartier de la Castellane, cher à Zidane. Il n’y a aucun problème de sécurité, car il ne faut pas effrayer le chaland. Beaucoup de guetteurs qui m’indiquent le chemin au cas où je serais nouveau. Derrière un immeuble, dans un cul-de-sac, se trouve le dealer. Souvent le visage dissimulé derrière une casquette, une capuche , parfois pas. On commence par faire la queue. Oui, il y a la queue. Chacun son tour, comme à la Caf. Le dealer est là, avec son sac à dos ouvert, rempli de tout ce que tu pourrais avoir besoin. On se salue, par politesse, on choisit la qualité de son shit (le bon, le commercial, l’olive) ou d’herbe, la quantité, on paye et on s’en va. Le type te rappelle ses horaires : c’est du 11/11 ou du 12/12, comprenez 11h00-23h00 ou midi-minuit, 7 jours sur 7 évidemment. Effectivement, il m’est arrivé d’y aller un mardi soir, ou un dimanche midi et chaque fois, il y avait au même endroit un type, avec ce même sac a dos.
Ces points de vente il y en aurait au moins 80 dans toute la ville. Il y a parfois des queues allant jusqu’à 20 ou 30 personnes, dans la rue, sous le regard blasé des parents qui ramènent leurs enfants de l’école, ou qui discutent entre voisins dans la rue. Tout le monde sait ce qu’il se passe, mais une certaine fatalité s’est installée. N’importe qui à Marseille sait où ce trouve ces lieux. Parfois en prenant le TER pour aller a Aix en Provence, je voyais ces types, le sac à dos posé, en train d’attendre les clients, il était midi, la journée commençait. Imaginer une file de 25 personnes, une transaction qui prend environ 30 secondes à une minute et un budget moyen de 30 euros par personne. Lorsque le vendredi soir il y avait une rupture de stock, il fallait attendre une dizaine de minutes pour que le type de réapprovisionne ; et tout repartait.
Lorsque les banlieues ont brulé en 2005, à Marseille il y a eu que peu de protestation, pourquoi ? Pour ne pas casser le business. Si les voitures brulent, les clients fuient. Enfermés dans un ghetto à 45 minutes en bus du centre-ville, sans police (je n’ai jamais croisé un policier là-bas), les riverains se sentent abandonnés et cohabitent avec ce trafic qui parfois conduit à des drames. Pourquoi laisse-t-on faire à Marseille ? Pour entretenir une paix sociale ? Pour se féliciter que les banlieues ne brulent pas ?
Il faut attendre un drame, pour s’interroger. À Marseille on connait les trafics, le chiffre d’affaires d’un point de vente peut aller jusqu’à 5000 euros par heure. Un point de vente se négocierait autour d’un million d’euros. Mais pendant ce temps, M. Gaudin laisse couler tranquillement son mandat sans faire de vague et M. Hortefeux fait des contrôles routiers sur le Prado alors que là-bas on ne vend pas de shit. Il a trouvé une kalachnikov, combien en auraient ils trouvé s’il avait été à la Sabine, aux Cayolle ou à la Castellane ?
Il semblerait que derrière ce chaos apparent qui caractérise Marseille, il y aurait une forme complexe d’organisation où le trafic permettrait de supplanter les aides sociales et le chômage particulièrement fort dans ces zones, sinon comment est-il possible qu’il n’y a pas de policiers dans des zones où vivent des milliers de personnes ? Ce fragile équilibre contre nature s’est rompu depuis deux ans et le début d’une guerre des clans que suscite un commerce juteux et jusqu’ici plutôt tranquille.
Cependant, quand on voit comment les éboueurs ont gagné la guerre contre la mairie en maintenant le « fini-pari », spécialité marseillaise, contre l’intérêt général, on se demande bien comment la mairie va pouvoir gérer ce trafic, devenu incontrôlable et multiforme, en pleine crise économique.
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