Portrait : Je vous présente, il s’appelle Henri
Je vous présente ? Voici Henri. Parisien, le teint blanchâtre, les mains ridées et rougies par le froid, Henri a le physique de Clint Eastwood. C’est le même en plus vieux. A 45 ans, il paraît aujourd’hui en avoir vingt de plus. Ce coup de vieux, mon clochard préféré a commencé à le ressentir fin 1999 quand sa vie a basculé. C’était le 15 décembre.
Il a connu un grand bonheur
dans sa vie : la naissance de sa fille. Puis, ce fut rapidement la
dégringolade. Electricien, son patron l’a ensuite licencié pour «
ivresse excessive ». Il aimait trop se sentir libre et buvait comme on boit de l’eau, juste pour se déshydrater.
« Ce liquide grâce auquel on s’évade, ce briseur de vie », comme il
dit, lui fait encore aujourd’hui oublier les soucis quotidiens. Il
oublie, mais devient aussi incontrôlable, c’est bien là le problème. Si
bien que, de fil en aiguille, sa femme l’abandonne finalement. Elle
ne supporte plus de le voir dans cet état. Avec leur fille, elle s’en
va. Avec sa petite fille chérie, sa Marie. Depuis, l’eau a coulé sous
les ponts. Du temps où, un peu plus tard, il retrouve un job décent,
il se met à leur recherche. Hélas, en vain. Il garde donc cette date en
tête : le 15 décembre 99. Ce jour-là, sa famille l’a rejeté et sa vie s’est brisée, un peu comme un verre que l’on laisserait tomber au sol par inadvertance.
Je lui parle de lui, de son présent, de sa vie aujourd’hui. Pensif, plongé dans ses souvenirs, face à face avec lui-même, il me regarde en larmes. Il n’aime pas ce qu’il est devenu : un homme quelconque à qui on ne dit plus bonjour, celui à qui on ne sourit plus. Non, ce n’est pas un détail. Il avait un salaire fixe jadis. On le réduit à trois lettres : SDF. Un jour, on le retrouve dans le 14e arrondissement, il est assis sur un bout de carton, pour ne pas salir son pantalon avec, devant lui, une coupelle en bronze qui attend, elle aussi, que les pièces la réchauffent. Un autre jour encore, on le retrouve errant dans les bouches du métro. L’hiver ? Il se couvre comme il peut, avec de l’aluminium gracieusement donné par les pompiers.
Ses amis ? Ce sont les commerçants, les passants ou encore ceux qu’il dénomme « mes voisins ». Ici dans le quartier tout le monde connaît Henri ! Mais qui le connaît vraiment au fond ? Quand vient un passant, ses fossettes se dévoilent. Alors il demande presque machinalement une pièce, voire deux. Les joues creusées par la faim, il conserve un sourire angélique, un sourire naturellement contagieux. Le genre de sourire qui, quand il vous est adressé, vous rappelle une évidence : un sourire fait du bien et au fond cela ne coûte rien. Pas plus qu’un simple bonjour. Pour Henri, un bonjour, c’est une sucrerie, un rayon de soleil dans la nuit. L’hiver, il se réfugie aux restos de cœur. Pendant le mois de ramadan, il goûte aux charmes orientaux à une « Chorba pour tous ». Ces moments-là pour lui sont devenus des moments de vie grâce auxquels il revit.
Dans notre société, où règne le chacun pour soi, de nombreux Henri sont condamnés à vivre à même le sol, dans nos rues. Nous passons bien souvent à côté sans avoir une pensée pour ces Henri. A qui la vie n’a pas fait de cadeau. Demain, après-demain, je n’hésiterai plus de temps en temps à m’arrêter quelques minutes. Juste quelques minutes dans le tourbillon de ma vie. Juste quelques minutes...
Ecrit par Lylia Benammour pour www.radiobistrot.com
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