Pour une production alimentaire durable
Alors que mon blog et la plupart de mes articles parlent de résilience, de préparation au pic pétrolier et ses conséquences, j’insiste régulièrement sur la nécessité de pouvoir répondre durablement et en toutes circonstances aux besoins primaires des citoyens.
L’alimentation est évidemment préoccupante, à la fois pour sa distribution et les nombreux transports qu’elle génère, mais aussi pour la production que je souhaite aborder dans cet article.
Je précise que je n’ai pas la prétention d’être exhaustif et des centaines de pages ne suffiraient pas à traiter de tous ces sujets. Je n’aborde pas, par exemple, le problème du foncier ni celui des semences qui pourtant sont cruciaux. L’objectif est d’orienter le lecteur vers des pistes de réflexion et de recherche dans ce domaine.
Il convient de faire d’abord un état des lieux de la production agricole en France.
Aujourd’hui, plus de 60% de la surface agricole française est utilisée pour l’alimentation animale. Le cheptel se compose ainsi :
-20 millions de bovins
-15 millions de porcs
-6,5 millions d’ovins
-291 millions de petits animaux
-1 million de chèvres et équidés
En 30 ans, la culture de légumineuse a perdu 1,2 millions d’hectares alors que la surface consacrée au maïs fourrager a été multipliée par 4 !
On remarque bien sur le graphique ci-dessous que la production de fruits, légumes, pommes de terre, vignes et cultures industrielles (betteraves à sucre, tabac …) ne représentent QUE 3% de la surface agricole.
Les régions de France sont devenues hyper spécialisées et ont perdu ainsi leur souveraineté alimentaire, au sens de la réponse locale aux besoins de la population.
Par exemple, la Région Centre produit 2000% de son besoin en blé alors qu’elle ne produit que 25% de ses besoins en fruits (autres que les pommes) et 45% de son besoin en viande.
Si vous ajoutez à cette mauvaise répartition, des méthodes agricoles qui obligent une vente à perte par des agriculteurs (et rendent indispensables les subventions), une fertilité naturelle des sols qui a été remplacée par des fertilisants de synthèse pétrochimiques et une pollution accrue des terres et de l’eau, vous ne pouvez que déduire que ces pratiques ne peuvent être durables.
Il est donc urgent et indispensable de transformer profondément le système de production.
Fertilité des sols : le pic de phosphate
Le problème des besoins en fertilisants minéraux est beaucoup moins connu que le pic pétrolier et ses conséquences. L’azote et le phosphore sont les deux éléments limitant majeurs c’est à dire que sans eux l’agriculture n’est pas possible. Le premier provient essentiellement d’une importante utilisation du gaz naturel (ou du charbon pour la Chine) mais il existe des solutions alternatives comme l’azote symbiotique. Le second est issu de mines de dépôts sédimentaires fossiles. C’est donc principalement le phosphore qui risque de poser des problèmes à l’avenir.
Patrick Déry a appliqué la linéarisation de Hubert (plus connue pour le pic pétrolier) et a déterminé qu’il existait également un pic de l’extraction du phosphate, ce qui implique une réduction de la production mondiale qui s’oppose à une augmentation incessante de la population et donc de la demande. Pourtant cet élément est indispensable à la fertilisation des sols, y compris en agriculture biologique.
Comment faire ?
En termes de chiffre, l’exportation en dehors de la ferme des produits agricoles entraîne un déficit en phosphore de l’ordre de 0,4 kg/ha/an. Un humain rejette environ 0 ,7 kg/an de phosphore. De manière théorique, le retour à la terre des excrétions de 6 personnes peuvent suffire à compenser la perte pour un hectare cultivé. Il est possible d’utiliser également de la poudre d’os ou des scories de déphosphoration.
Ce qui veut dire que pour un bourg de 3000 personnes, 500 hectares seraient nécessaires auxquels il serait bon d’ajouter 50 hectares de plans d’eau, forêts et haies.
Je rappelle au passage que la France dispose d’environ 1 hectare agricole pour 2 personnes.
Energie pour l’agriculture
Je vais aborder cette autre problématique majeure par quelques chiffres. Voici le besoin actuel estimé en pétrole pour alimenter chaque personne avec les méthodes d’agriculture intensive :
-Besoin de l’être humain : 2500 kcal alimentaires /jour
-Il faut apporter 10 calories en amont pour produire 1 calorie alimentaire
-25 000 kcal/jour/personne sont donc nécessaires pour produire notre alimentation
Sachant que 80% de cette énergie nécessaire est issue du pétrole, il faut donc environ 2 litres de pétrole par personne et par jour (environ 300 Millions de barils par an !)
Cette situation n’est pas soutenable dans la perspective du pic pétrolier.
Comment faire ?
Concernant la traction, c’est-à-dire la force mécanique nécessaire au travail de la terre il y a plusieurs pistes.
Mais dans tous les cas il faut commencer par réduire le besoin (en favorisant, par exemple, les techniques de travaux légers du sol comme le semi direct). Ensuite il faut faire évoluer ses outils.
Pour ceux qui souhaitent conserver la traction liée au moteur thermique, je rappelle que le moteur diesel est tout à fait adapté pour les huiles végétales. Il est donc possible de réserver une partie de la terre pour produire des plantes oléagineuses qui serviront à faire de l’huile.
La traction animale (cheval de trait) est également intéressante. Elle a été abandonnée dans les pays industriels, mais la hausse des coûts du pétrole génère déjà un regain d’intérêt pour cet "outil".
L’idée n’est pas de revenir aux techniques du début du XXe siècle, mais il existe aujourd’hui de nombreuses améliorations dans ce domaine : harnachements légers et peu encombrants, systèmes de relevages hydrauliques, pneus bien adaptés au travail de la terre etc …
Il faut cependant bien penser qu’un cheval de trait demande de l’alimentation et de la surface disponible estimée à environ 1 hectare. Il faut en déduire que cultiver avec un cheval ne veut pas dire "sans énergie" !
Par ailleurs, le nombre de personnes capables de dresser des chevaux de traits est très réduit. Il conviendrait donc de développer à nouveau ces compétences.
Le cheval et le tracteur peuvent tout à fait cohabiter et être utilisés en fonction des besoins.
Concernant l’énergie liée aux engrais, les pratiques biologiques semblent parfaitement adaptées puisqu’elles limitent au maximum les intrants de synthèse.
Agriculture de subsistance
Je terminerai mon article sur ces éléments qui permettent de donner quelques ordres de grandeur pour l’autosuffisance alimentaire.
D’après Joseph Pousset, 2,5 hectares sont nécessaires pour produire la totalité du régime alimentaire de 4 adultes français.
Gérer une telle surface demande beaucoup de travail et correspond environ à l’emploi à temps plein d’une personne. Les configurations pour aller vers l’autosuffisance alimentaire totale ou partielle sont multiples. Parler d’autosuffisance peut s’appliquer à une famille mais également à une commune, une communauté de communes etc ...
Conclusion
Pour résumer je vais lister quelques points essentiels pour l’avenir de notre alimentation :
-réduire la consommation d’énergie fossile
-utiliser une partie de la biomasse pour faire de l’énergie
-cultiver prairies et zones d’ornements
-organiser le retour à la terre des excrétions et autres matières organiques
-supprimer les techniques qui détruisent les sols
-favoriser boisements champêtres et couverts végétaux
-réduire la consommation de viande et donc l’élevage
-Préserver les zones humides
-préserver et sécuriser l’approvisionnement en eau
-favoriser l’emploi de l’azote symbiotique
-sensibiliser les populations urbaines aux contraintes agricoles
-etc …
Les pistes sont nombreuses pour rendre l’agriculture durable. Ce qui est certain, c’est que notre système agricole ne peut plus fonctionner comme aujourd’hui.
Les AMAP sont un exemple formidable de rassemblement et de solidarité entre la ville et la campagne, il faut pérenniser et développer ces pratiques durables, solidaires et respectueuses.
L’objectif n’est pas de prôner l’individualisme mais de recréer le lien entre producteur et consommateur et d’adapter ainsi des techniques durables à des besoins également durables.
Sources d’informations :
-Joseph POUSSET, Agriculture naturelle, répondre aux nouveaux défis, 2008.
-Patrick DERY, Péréniser l’agriculture, 2007.
-P.DESBROSSES, E.BAILLY, T. NGHIEM, Terres d’avenir pour un mode de vie durable, 2007.
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