Pour une synthèse sur le débat de la Burqa
Parlez de religion et la polémique s’enflamme. C’est la loi du genre. Cet article s’efforce de synthétiser le débat Agoraxien tel qu’il ressort des arguments développés par les uns et les autres en réaction à mon précédent article « Burqa-pitulation ou pas ? ».
Je laisserai volontairement de côté tous les commentaires hors sujet, non argumentés, ou carrément injurieux, qui sont inévitables dans ce genre de forum non modéré.
La burqa n’est pas le problème fondamental en soit, il ne concernerait que moins de quatre cent femmes en France à jour. Mais c’est une question symbolique, et les stratèges de l’islamisme extrémiste le savent très bien. C’est un enjeu de modèle de société, un enjeu politique, mais aussi philosophique à partir du moment où la question des libertés est en jeu.
Les commentaires les plus engagés, et les plus argumentés sur cette question de la burqa ont tous tourné autour de la question des libertés. Avec deux philosophies opposées sur la définition de ce qu’est la liberté. L’une, d’inspiration libérale, tendant à défendre l’idée que l’on est libre de faire ce que l’on veut (y compris de s’automutiler), l’autre, la mienne notamment, que la liberté s’arrête là où commence celle des autres. Cette dernière conception est rappelons-le la conception d’inspiration humaniste du siècle des lumières sur laquelle sont basées nos institutions, notre constitution, et notre système juridique. Un commentateur a relevé que ce n’est pas écrit tel quel dans la constitution, mais il ne voit pas que tout notre arsenal juridique est construit sur cette idée. Une petite lecture ou relecture de l’Esprit des Lois de Montesquieu serait d’ailleurs rafraichissante pour beaucoup.
Donc, l’argument de la liberté religieuse et des Droits de l’Homme a été abondamment discuté, et le drapeau de l’intolérance athée à l’endroit des religions promptement brandi. Selon l’idée, à première vue tenable, que tout système répressif contre la liberté religieuse est une atteinte aux Droits de l’Homme. Or, c’est une argutie à courte vue car elle oublie que des droits peuvent s’avérer incompatibles entre eux dans certaines situations. Ce qui est précisément le cas sur ce sujet, et c’est le cœur de la question. Notre système juridique arbitre ces questions.
La question est : peut-on, au nom de la liberté religieuse, faire atteinte à la liberté et à l’intégrité de la personne (si nous supposons par exemple que le port de la burqa est une oppression imposée aux femmes, donc un déni de la personne et de sa liberté individuelle) ? Je vais reproduire ici dans son intégralité la réponse d’un commentateur à l’un des tenants des « Droits de l’Homme au pied de la lettre ».
(Ces) arguties juridiques n’ont pas grand intérêt : les lois sont ce que veulent les hommes d’une communauté. Elles changent tous les jours pour s’adapter aux problèmes à régler et leur trouver des solutions. Les libertés ont toujours eu des limites fixées par des principes très généraux comme "l’ordre public" ou "la dignité humaine". On rappellera par exemple cet arrêt du conseil d’Etat qui a interdit le lancer de nains (tout à fait consentants...) au motif que cela était attentatoire à la dignité humaine. Vous allez sans doute hurler à une atteinte aux droits de l’homme, à la liberté d’entreprise, et du travail ? (les nains gagnaient de l’argent, et ils n’ont pas tellement de possibilités...)
C’est une foutaise libérale idéologiquement marquée de faire de l’exercice de la liberté individuelle un projet philosophique constitutif d’une société décente.
Voilà pourquoi, par exemple, on ne peut pas légalement s’immoler par le feu en place publique même si votre religion vous enjoignait de le faire. Notre système juridique va même plus loin car vous pourriez être poursuivi pour non assistance à personne en danger. Clairement, notre société a pris fait et cause pour l’intégrité de la personne au détriment de la « liberté » ( ?) religieuse. N’en déplaise aux tenants d’une philosophie libérale individuelle absolue. C’est un choix de société française, et notez qu’il est dans ce cas très différent des pays anglo-saxons à tendance libérale individualiste, tels que les Etats-Unis.
Lorsque Elisabeth Badinter s’adresse aux femmes qui revendiquent en France le port de la burqa, elle dit ceci : « en vérité, vous utilisez les libertés démocratiques pour les retourner contre la démocratie ».
Ne suffit-il pas de lutter contre le terreau des extrémismes et d’élever le niveau de vie pour résoudre le problème sans aucune loi ?
Par ailleurs, l’exemple algérien nous démontre que les manifestations de signes religieux fondamentalistes ne sont pas forcément corrélés au niveau de vie. La situation n’a pas dramatiquement changé ni en bien ni en mal en Algérie depuis 1987, et pourtant Djemila Benhabib nous rappelle ceci :
Le voile islamique est souvent présenté comme faisant partie de « l’identité collective musulmane ». Or, il n’en est rien. Il est l’emblème de l’intégrisme musulman partout dans le monde. S’il a une connotation particulière, elle est plutôt politique surtout avec l’avènement de la révolution islamique en Iran en 1979. Que l’on ne s’y trompe pas, le voile islamique cache la peur des femmes, de leur corps, de leur liberté et de leur sexualité. Pire encore, la perversion est poussée à son paroxysme en voilant des enfants de moins de cinq ans. Il y a quelques temps, j’essayais de me rappeler à quel moment précisément, en Algérie, j’ai vu apparaître ce voile dans les salles de classe. Pendant mon enfance et jusqu’à mon entrée au lycée, c’est-à-dire en 1987, le port du voile islamique était marginal autour de moi. À l’école primaire, personne ne portait le hidjab, ni parmi les enseignants, ni surtout parmi les élèves.
Qu’en pensent les modérés musulmans qui étaient majoritaires en 1987 (sans compter les non-musulmans ou les non-croyants qui y vivent) ? Ne regrettent-ils pas que l’Etat ne ce soit pas montré plus ferme dans la protection de la laïcité ? D’autres forces sont donc à l’œuvre, et il s’agit d’une stratégie de conquête de certains pouvoirs religieux fondamentalistes, patiemment et savamment déployée au cœur même des sociétés. Qu’on ne me taxe pas d’islamophobie : le prosélytisme et les stratégies de conquête ne sont l’apanage d’aucune religion en particulier.
Une loi peut-elle aider les femmes à s’émanciper ?
Par ailleurs, la question de l’exemplarité d’une telle loi a été soulignée, signe de soutien qu’elle adresserait à toutes les femmes des pays où ces « traditions » ne sont que des éléments de discrimination à leur égard. Rejoignant en cela l’appel de femmes telles que Elisabeth Badinter ou Djemila Benhabib, parmi tant d’autres.
La loi doit-elle être répressive ou incitative ?
N’est-il pas futile de s’étriper sur ce problème alors qu’il y a tant d’autres injustices à régler dans notre pays, et notamment tant de chômage ?
Une femme qui porte la burqa le fait-elle de son libre arbitre ?
L’argument a été défendu que des femmes décident de porter la burqa de leur propre choix, et que d’ailleurs, c’est souvent suite à une conversion. La démonstration du libre arbitre a été présentée par le syllogisme suivant : « la conversion est la preuve d’un exercice du libre arbitre car il implique d’entrer en contradiction avec des convictions antérieures parfois héritées de la famille ou du milieu d’origine ». Outre que ce n’est absolument pas une preuve en soi de libre-arbitre, et à supposer que cette conversion ne soit pas le résultat d’une oppression quelconque, un passage dans le cabinet d’un psy pour parler du milieu et de la famille d’origine en dirait sûrement très long sur les motivations réelles de ce rejet pour embrasser avec tant de zèle la burqa. Mais peu importe, c’est là se focaliser sur des cas d’exception et oublier l’intérêt général.
Car ce dernier argument était l’argument ultime d’une longue série de commentaires basés sur la question de la liberté supposée des femmes embrassant la burqa. Que je synthétise comme suit :
Ces argumentations sont basées sur le cas d’exception (la femme qui aurait embrassé la burqa et le reste de son propre, entier et incontestable libre arbitre, si tant est qu’il en existe), et à aucun moment il ne m’a été proposé une argumentation irréfutable qui soit satisfaisante pour toutes les autres femmes. Ces commentateurs sont restés arque bouté sur des positions de principes qui sont honorables en soi, mais indéfendables en réalité (la liberté religieuse absolue n’existe pas en France, et aucune liberté n’y est absolue d’ailleurs), et seulement justifiées par un cas d’exception particulièrement douteux.
D’aucuns diraient que l’exception confirme la règle, mais pour le coup, ce serait un argument spécieux de mon point de vue.
J’ai basé quant à moi mon argumentation sur l’intérêt général, ce en quoi je suis en accord avec les règles de l’espace démocratique dans lequel je vis. Je refuse l’option molle et relativiste du PS (alors que je suis de gauche et proche du PS), qui se refuse à légiférer au seul prétexte politicien que ce débat est orienté et dicté par des considérations électorales de la droite. Bien que je sois d’accord avec cette analyse, il me parait clair qu’il faut dépasser ce contexte politicien parce qu’il en va d’un intérêt général beaucoup plus élevé, à savoir la protection des fondements laïques de notre société, et de répondre aux attentes affirmées aussi bien que silencieuses (sous la contrainte) des femmes opprimées.
Pour finir, rappelons que le même débat avec les mêmes arguments a eu lieu lors de la question du voile dans l’école publique, et qu’aujourd’hui plus personne ne se pose la question. Les extrémistes ont laissé tombé ce combat perdu sans crier chaque matin que ça les empêchent de vivre, et le monde trouve ça sain et normal de ne pas avoir de voile à l’école, à commencer par les intéressées elles-mêmes (qui au fond d’elles-mêmes doivent se sentir bien soulagées). Mais que ce n’est pas le cas à l’université puisqu’elle a été exclue du champ d’application, et que d’après certains échos de professeurs en université, cela pose énormément de problèmes au quotidien dans le cadre de l’exercice de leur métier. Je gage que si une loi sur la burqa est votée, dans un an plus personne ne criera au liberticide religieux, et que notre société en sera plus apaisée.
Redonnons pour finir la parole aux femmes concernées.
« Non au droit à la différence quand elle amène à la différence des droits, non au relativisme culturel, on nous met dans un ghetto ambulant »
Sihem Habchi, mouvement Ni Putes Ni Soumises, manifestant en burqa au siège du Parti Socialiste.
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