Pouvoir d’achat, entre fantasmes et réalités
Toutes sortes d’idées reçues circulent sur le pouvoir d’achat. Officiellement, on dit qu’il monte. Mais les Français disent qu’il baisse. Alors, toujours officiellement, on leur rétorque qu’ils ont le « sentiment » qu’il baisse. Et si ce malentendu général venait de ce que tout le monde ne parle pas de la même chose ? Peut-être est-il utile ici de rappeler ce qu’est le pouvoir d’achat, puis d’en étudier les composantes et conséquences, y compris sur le « moral des ménages », autre notion qui n’est que purement économique et statistique.
1- Le pouvoir d’achat, qu’est-ce que c’est ?
En langage économique, on parle de pouvoir d’achat de la monnaie, du travail, du salaire : Le pouvoir d’achat de la monnaie est la quantité de biens et de services que l’on peut acquérir avec une unité monétaire. Le pouvoir d’achat du travail est le temps de travail nécessaire pour se procurer une unité d’un bien donné. Enfin, le pouvoir d’achat du salaire est la quantité de biens et de services que l’on peut acheter avec une unité de salaire.
En langage de statisticiens officiels (Insee), on parle « pouvoir d’achat du revenu disponible des ménages ».
Le langage courant reprend à peu près la définition de l’Insee. A peu près, car on verra que le sentiment de pouvoir d’achat donne un éclairage fluctuant de la notion aujourd’hui critiquée.
2- Définissons les autres termes : « revenu disponible » et « ménage »
Un ménage, me direz-vous, on sait ce que c’est ! Pas si sûr. En effet, le ménage, au sens statistique, est défini comme « l’ensemble des occupants d’une résidence principale, qu’ils aient ou non des liens de parenté. Un ménage peut ne comprendre qu’une seule personne. »
Les choses se compliquent avec le revenu disponible brut (RDB) car ce revenu brut est en réalité... net ! Je m’explique : il s’agit de « la masse des revenus perçus par l’ensemble des ménages -qu’ils proviennent du travail, du patrimoine ou de la solidarité nationale- nets des impôts et des cotisations qu’ils paient. » Quatre impôts directs sont généralement pris en compte : l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation et les contributions sociales généralisées (CSG) et contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS).
3 - Les trois composantes du revenu disponible
- Les salaires : ils ne font plus à eux seuls le pouvoir d’achat : jusqu’en 1975, leur croissance annuelle, en termes réels, se situait autour de 3,5 % en moyenne. Depuis, le rythme est d’environ 0,5% par an et suit à peine celle de la croissance. (En revanche le Smic a bénéficié de coups de pouces particuliers).
- Les revenus du patrimoine : c’est ici que les inégalités deviennent le plus flagrantes. Ces revenus ont particulièrement augmenté : +4,9 % en 2004 et +5,1 % en 2005. Selon l’Insee, entre 1996 et 2004, c’est le pouvoir d’achat des 10% les plus pauvres et celui des 10% des plus aisés qui ont le plus nettement progressé. Remarque personnelle : avec la réforme des successions que Nicolas Sarkozy promet, les revenus très inégalitaires liés au patrimoine vont flamber encore davantage.
- Les prestations sociales : elles aussi ont été favorisées régulièrement, pour des raisons diverses. La dernière méthode en date, celle de Villepin, a consisté à augmenter la prime pour l’emploi, l’allocation de rentrée scolaire, etc.
4 - Les querelles autour du pouvoir d’achat
Selon l’Insee, le revenu disponible brut (RDB) des ménages a progressé de 1 % en 2003, de 2,2 % en 2004, de 1,1 % en 2005, et (en prévision) de 2,3 % cette année. Le gouvernement s’appuie évidemment sur l’indice Insee pour se flatter que tout va bien.
Mais des organismes officiels autres que l’Insee viennent nuancer cette vérité établie en mettant en avant l’importance croissante des frais contraints (logement, chauffage, téléphonie, assurances...) qui représentent un peu plus du quart de RDB. Ainsi parlent le Conseil national de l’information statistique et le BIPE, institut de prévisions. Ce dernier part d’une définition qui neutralise ces charges incompressibles et tient compte de l’évolution du nombre et de la structure des ménages Ainsi défini, le pouvoir d’achat « effectif » du consommateur n’augmenterait que de 0,5 % en 2006 après avoir baissé de 0,7 % en 2005. Selon encore l’Institut national de la consommation (INC) et la Dares (Direction de l’animation et de la recherche des études et des statistiques), l’augmentation n’est que de 0,9%.
Le pouvoir d’achat est lié à l’indice des prix à la consommation qui, calculé par l’Insee, est une moyenne : basée sur les revenus moyens des Français. Or, la hausse des prix n’est pas la même pour tous. Elle est plus forte par exemple pour les Parisiens (coût du logement) et les fumeurs. Elle recouvre des situations très diverses pour les cadres (se reporter sur ce point au panel Oscar 2005 -Oscar : Observatoire du salaire des cadres et de leurs revenus-). Et que dire des dividendes spectaculaires dans les entreprises du Cac 40 ?
5 - Passer du « pouvoir d’achat ressenti » au pouvoir d’acheter
La baisse du pouvoir d’achat « ressentie » et réelle est liée à plusieurs causes.
Les dépenses contraintes augmentent, de nouveaux besoins s’imposent au consommateur (ordinateurs, téléphones portables, Internet, le bio, la diététique...), les hausses sont plus visibles que les baisses (contrairement aux calculs des experts de l’Insee, les ménages se focalisent sur l’inflation des produits qu’ils acquièrent plus régulièrement et sont insensibles à la baisse importante des produits de haute technologie), l’euro joue un rôle perturbateur (les consommateurs se mêlent les pinceaux en sous-estimant la différence entre dix centimes d’euros, par exemple, et dix centimes de francs). Entre 2000 et 2001, la grande distribution a profité du passage à l’euro pour augmenter ses prix et le gouvernement a dû intervenir pour calmer ce jeu malsain. Enfin, pour Thierry Breton, ministre de l’Economie, c’est la hausse du coût du travail due aux 35 heures qui a fait monter les prix. Cela touche les produits et services de proximité qui incorporent une part de main-d’oeuvre importante (exemples : le pain, les produits frais). Et la loi sur la RTT a provoqué une modération salariale pour les salaires supérieurs au Smic, modération d’ailleurs revendiquée par Jospin à l’époque.
Faire du "pouvoir d’achat" un véritable pouvoir
En somme, pour reprendre une expression connue, comment passer du pouvoir d’achat subi au pouvoir d’achat choisi ?
Tout le monde n’a pas la chance d’hériter de biens immobiliers ni d’être en situation de profiter des prochaines mesures fiscales généreuses que promet Sarkozy. Tout le monde n’est pas une vedette milliardaire, ami du même Sarkozy et pouvant emporter son magot en Suisse.
Alors, de quels moyens réels disposons-nous pour redevenir maîtres de notre pouvoir d’achat ?
- Fuir les prix chers : en se tournant vers « hard-discount » qui s’est développé dans l’alimentaire, la mode et le bricolage. Par ailleurs, en réponse au hard-discount, les enseignes de la grande distribution intensifient leurs politiques promotionnelles et la mise en avant des prix bas. Mais, dit le Crédoc, dans une étude publiée en novembre 2005, la sensibilité aux prix a baissé depuis dix ans. Elle ne demeure forte que chez les moins de trente ans et les 55-64 ans : l’explication de la plus forte sensibilité des jeunes aux prix réside en partie dans le chômage et la précarité de l’emploi.
- Revoir ses priorités : pour un fumeur ou un étudiant qui achète beaucoup de produits culturels surtaxés ou de luxe, la réponse semble évidente, mais pour un travailleur rural qui doit utiliser sa voiture chaque jour pour aller sur son lieu de travail éloigné, elle l’est bien moins ! En réalité, le pouvoir d’achat sera toujours insuffisant pour celui qui ne sait pas faire des choix et assumer des priorités : même pour un Johnny Hallyday ! Pour les libéraux, ce n’est pas du pouvoir d’achat qu’il faut redonner aux Français, mais du travail supplémentaire, afin qu’ils puissent augmenter leur niveau de vie. S’ils ne peuvent ou s’ils ne veulent travailler plus, ils devront réduire leur niveau de vie.
- Acheter « intelligent », ce serait renforcer son pouvoir de résistance au diktat consumériste, affirmer son pouvoir ne pas acheter. Mais les campagnes publicitaires ciblent « l’enfant-roi » et banalisent des formes d’abus désormais bien implantées. Elles jouent sur le sens critique immature de l’enfant face à la publicité et sur la pression qu’exercent les enfants sur leurs parents. Les adultes sont aussi les jouets de cette logique consumériste. Les gouvernements même, au nom du dogme de la « relance de la consommation » et de la « défense du pouvoir d’achat », en rajoutent dans l’infantilisation.
On veut bien aussi acheter intelligent pour sa santé en consommant « dix fruits et légumes par jour ». Seulement voilà : les produits frais sont les éléments qui pèsent le plus dans le prix du panier de la ménagère. On peut acheter des produits mondialisés pour se dégager une plus grande marge de pouvoir d’achat disponible pour d’autres biens mais, ce faisant, on met en péril des emplois en France. On peut acheter au rayon du commerce équitable, penser aux normes qui garantissent le respect de l’environnement, etc. Bref, c’est quoi, acheter intelligent ? Il faudrait se poser dix mille questions avant tout achat !
Place au débat...
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