Aujourd’hui commence à l’Assemblée l’examen du projet de loi visant à sanctionner les clients des prostitués qui avait déclenché le pathétique appel de 343 salauds. L’occasion de se pencher plus sérieusement sur un sujet complexe, en essayant de prendre un peu plus de recul.
Une question qui se pose ailleurs
Le débat sur la prostitution n’est pas une particularité française.
The Economist rappelle de manière très utile que d’autres pays se sont penchés sur la question. En 2001, en Allemagne, la coalition de centre gauche a décidé de libéraliser la prostitution, pour donner un statut légal au plus vieux métier du monde, permettant une converture sociale complète (maladie, retraites). L’exploitation est restée illégale mais cela a permis le retour de bordels légaux. En 1999, la Suède a pris la direction opposée en criminalisant le fait de payer des prostitués, après l’avoir déjà fait pour le fait de faire le trottoir.
Que faire aujourd’hui ?
A titre personnel, je suis opposé au discours des 343 de Causeur, par-delà son indécence et son indigence. Il ne me convainc pas car c’est un argument très libertaire soutenant la marchandisation du corps. Si on suit cette logique, on pourrait aussi autoriser le commerce des reins humains par exemple. Et ce faisant, ils oublient que cela provoque des trafics d’humains et qu’il y a un rapport de domination entre les clients, qui ont de l’argent, et les prostitués, qui n’en ont pas et en ont besoin. Et l’argument selon lequel cela repousserait l’activité dans la clandestinité, s’il n’est pas faux, il faut le reconnaître, est le sempiternel argument des néolibéraux pour refuser toute limite ou toute règle.
D’un point de vue plus philosophique, la vie en société, l’humanité même, repose sur des règles et le fait de ne pas pouvoir faire tout ce que l’on souhaite. C’est ce qui distingue notre vie en société humaine, décente, de la loi de la jungle de la nature, même si, malheureusement,
d’un point de vue économique, la tendance est de plus en plus à épouser cette loi de la jungle, habillée sous la théorie théorique de «
la main invisible » qui, selon les néolibéraux, rendrait l’homme plus doux. Dans les faits,
on voit trop souvent que le laisser-faire aboutit à la loi du plus fort, et dans nos sociétés, du plus riche.
D’autres évoquent le fait qu’il s’agirait du plus vieux métier du monde, d’une sorte de tradition qu’il faudrait respecter.
C’est la position d’Elisabeth Badinter qui évoque «
une déclaration de haine à la sexualité masculine ». Ce faisant, elle exagère de plusieurs manières. Tous les hommes, loin de là, n’y ont pas recours. Après, même si je suis sensible à l’argument de la tradition, il n’est pas forcément pertinent. Jusqu’à il y a peu, nos sociétés fonctionnaient de manière très inégalitaire entre hommes et femmes. Et je crois que nous avons bien fait, ici, d’enterrer ces vieilles traditions.
Le gouvernement français semble plutôt vouloir suivre l’exemple de la Suède que la voie allemande. Mais il ferait mieux de déclarer cette activité illégale plutôt que de seulement viser les clients,
comme le défend, ici à raison, Elisabeth Badinter. Il n’est pas juste de faire deux poids deux mesures.