Quand mariage et travail riment avec prostitution
Certes, le titre de cet article est provocateur. Mais ne reflète-t-il pas la réalité pour une partie des humains ? Voici un court texte, extrait d’une « autobiographie apocryphe » quelque peu iconoclaste que j’ai commise il y a une quinzaine d’années en donnant la parole à une jeune femme forte en caractère et très libre au plan sexuel. Une héroïne qui, en outre, pouvait se prévaloir, chose peu banale, d’être tout à la fois thanatopractrice et pilier de rugby :
« D'ailleurs, quelle est la plus salope des deux, entre la bonne fille comme moi, qui prend sainement son pied, et la bourgeoise rongée par sa schizophrénie sexuelle ? Celle qui, froide et moralisatrice le jour, […] se donne par calcul au va-et-vient répugnant d'un époux brutal et adipeux dont la fortune personnelle ou la réussite professionnelle assurent à Madame une position sociale enviable ?
Conduite de pute.
Pute respectable certes, mais pute quand même.
À cet égard, n’en déplaise aux âmes bien pensantes, il faut reconnaître que le mariage est l’une des formes les plus répandues de la prostitution.
Avec le travail, lorsqu'il est subi. Vendre son cul, vendre ses muscles, vendre sa tête, quelle différence ? Seul le plaisir exonère de la prostitution. Plaisir de faire l'amour, de bâtir, de diriger, de travailler tout simplement. Dès que le plaisir s'estompe puis disparaît pour céder la place à une dépendance purement vénale ou à une routine déprimante, la prostitution triomphe. Une prostitution admise, codifiée et affublée d’un faux-nez, celui de la « réalisation par le travail ». Un leurre pour ceux, toujours plus nombreux, qui se réfugient dans la vie associative ou les activités extra-professionnelles pour fuir cette aliénation. En définitive, la majorité d'entre nous sont des putes qui s'ignorent. Et nous n’y pouvons rien : tout notre système socio-économique est basé sur cette réalité ! »
J’entends les protestations indignées que ce texte peut susciter ici et là dans certaines demeures bourgeoises. Mais de qui peuvent venir ces protestations ? En ce qui nous concerne, ni mon épouse ni moi-même ne nous reconnaissons dans les personnes visées. Issus tous deux des classes populaires modestes, notre mariage n’a en effet pas été dicté par un quelconque intérêt matériel, mais par un sentiment partagé. Quant à notre carrière professionnelle, elle a, malgré des changements d’activité, toujours été conforme à nos aspirations personnelles, notamment en nous laissant une grande liberté d’action. À cet égard, nous sommes tous deux conscients de la chance – assez largement induite par nos choix de vie – que nous avons eue de pouvoir évoluer dans des métiers en harmonie avec nos attentes et le mode d’existence auquel nous aspirions.
De qui peuvent donc venir les protestations outragées ? La réponse s’impose d’elle-même : de celles et de ceux qui, peu ou prou, se reconnaissent dans ces portraits mais se refusent, plus ou moins consciemment, à l’admettre.
Celles et ceux qui, sans amour, épousent un capital ou une rente confortable pour vivre dans le confort, voire le luxe. Celles et ceux qui, sans amour, épousent une nationalité pour échapper à un pays dont le marasme est endémique, ou qui n’offre que des perspectives d’existence sans relief. Celles et ceux qui, dans leur entreprise, acceptent de fermer les yeux sur des pratiques immorales ou illégales pour ne pas compromettre leur avancement. Celles et ceux qui, sur les chantiers, font taire leurs scrupules pour se conduire en esclavagistes moyennant de juteuses primes. Celles et ceux qui, dans la fonction publique ou les grands groupes privés, se laissent corrompre au détriment de la collectivité. Les exemples sont malheureusement très nombreux, et nous avons tous connu de tels cas, même s’ils ne constituent pas, fort heureusement, la majorité des genres homo matrimonius et homo laborius.
Or, en toute objectivité, force est de constater que ces gens-là sont de facto des prostitué(e)s qui s’ignorent dès lors qu’ils subordonnent leur propre éthique à des intérêts purement matériels comme il est théorisé dans l’extrait ci-dessus. « Vendre son cul, vendre ses muscles, vendre sa tête » en piétinant ses principes, son éducation, sa morale, quelle différence en effet dès lors que l’on n’y prend aucun plaisir ou, à défaut, que l’on n’éprouve pas, a minima, – et hors d’une situation de nécessité – la satisfaction du travail consciencieusement accompli ?
Mais peut-être n’êtes-vous pas d’accord avec cette analyse qui, je vous le concède, est exposée de manière volontairement abrupte. C’est votre droit légitime, et c’est avec plaisir que je vous propose de développer vos propres arguments pour nuancer ce propos, pour l’invalider, pour le combattre le cas échéant. Qui sait ? peut-être que vos arguments seront de nature à me convaincre…
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