Qui a peur des écologistes ?
Mais quelle mouche, si ce n’est celle du marketing, a donc piqué l’auteur de La Tentation de l’innocence que l’on aimait tant ? Qu’est-ce que c’est que ce réquisitoire intitulé Le fanatisme de l'Apocalypse ? Bruckner a-t-il peur de l’écologisme comme ma sœur a peur des serpents ? Certainement pas. Si le romancier exégète du masochisme occidental se fait écolophobe, c’est qu’il est malin comme pas un. C’est qu’il sait parfaitement que l’exhortation à la permissivité est payante. La recette, il la tient d’Allègre, même si leurs pensées politiques divergent. Bruckner, lui, est fréquentable.

L’anathème contre les chevaliers de l’apocalypse
Ce n’est pas un coup d’essai. Depuis quelques temps, plusieurs essayistes à succès qui passent davantage de temps sur les plateaux que sur leur écritoire ou dans les prairies florifères, autoproclamés philosophes de l’écologie, s’engagent dans un écopopulisme au ras des pâquerettes qui les hisse en tête de gondole des librairies de grande surface.
La recette est simple, il suffit de contrecarrer cette généreuse pensée de Hans Jonas : « La prophétie de malheur est faite pour éviter qu'elle se réalise ; et se gausser ultérieurement d'éventuels sonneurs d'alarme, en leur rappelant que le pire ne s'est pas réalisé, serait le comble de l'injustice : il se peut que leur impair soit leur mérite. » Jonas était un écosophe totalement ignoré du lecteur lambda, méconnu jusqu’au bataillon des écolos militants à la petite semaine, sauf en Allemagne où son œuvre Le Principe responsabilité est encore très lu. Il ne ressentait aucune honte à recourir à cette heuristique de la peur.
Comme les règnes végétal et animal, y compris les ressources terrestres et du sous-sol, ont bon dos, il est évident qu’une attitude permissive qui appelle à la curée est toujours mieux accueillie que celle plus policée qui recommande respect et autarcie. Faire l’apologie du pillage de la Terre et nier les exodes qui pourront en résulter ne peut qu’être bien accueilli par l’humain exigeant et irresponsable, notamment bourgeois des pays chanceux qui seront les derniers à payer les pots cassés. D’ailleurs, en débordant de façon anecdotique du sujet, on pourrait imaginer l’adhésion imbécile provoquée par l’imprudent qui déclarerait que la limitation de vitesse est une imposture, voire que l’on peut franchir allègrement les feux rouges. Aucun écologiste si radical soit-il n’entretient la peur, il met en garde. Lorsqu’un enfant s’approche du vide, faut-il rester cool ? Ah oui, c’est vrai, nous ne nous rapprochons pas du mur, nous sommes dedans !
Après Jean-Christophe Rufin et Luc Ferry qui nous ont mis en garde contre un dangereux écoterrorisme, le dernier à vouloir calmer les rares esprits épris d’inquiétude planétaire est donc Pascal Bruckner. La présentation de son livre, Le fanatisme de l’apocalypse, par chaque animateur-VRP et la simple présence désinvolte et sans argument du romancier exégète du masochisme occidental enclenche les ventes. Les gens d’Occident ne sont pas assoiffés de culture, ils sont avides de contrition car chargés de remords, désireux de se voir déculpabilisés du mal fait à l’environnement. Comme on les comprend ! Alors, loin de toute pénitence, l’exorciste est un messie. Un Bruckner se propose de panser (comme sparadrap, rustine…) une culpabilité ontologique sous-jacente qui est justement celle de nos abus écologiques. Chaque jour, nous sommes pris la main dans le sac et nous soulager de la faute en la désignant comme vénielle et le reproche exagéré nous redonne goût au péché capital, celui par lequel le catéchisme dit aux hydrocéphales qu’ils furent chassés d’un paradis. Bruckner connait ce tour de passe-passe puisqu’il fut initié chez les Jésuites. Et c’est pour qu’il me comprenne que j’utilise un jargon chargé d’analogies monothéistes.
Dénoncer comme anxiogène un discours écologique qui n’est que préventif constitue le truc. Les religions étant des montages, pour ne pas dire des escroqueries, construites sur l’hypothèse de dieu, désigner l’écologisme comme un œcuménisme est scabreux. « S’attacher aux religions est périlleux. C’est d’abord faire de soi un assassin en puissance et le pire de tous les assassins : Celui qui a la conscience tranquille. », écrivait l’essayiste Gérald Messadié. En ce début de troisième millénaire, la seule religion nouvelle est celle du consumérisme. On peut justement en juger par le deuil mondial réservé à Steve Jobs, divinisé et élevé au rang de Gandhi du XXIe siècle. On pourrait d’ailleurs épiloguer sur l’empreinte écologique des articles Apple et sur l’éthique des sous-traitants chinois faisant travailler des enfants dans des conditions infernales. Mais revenons à l’apocalypse des écolos.
Les écologistes n’ont jamais annoncé la fin du Monde !
Aucun écologiste, et encore moins écologue (!) n’a jamais annoncé la fin du Monde. C’est un mensonge. Et Bruckner le sait. Ils n’annoncent qu’un monde invivable dont nous goûtons les préliminaires et dont, à l’évidence, nos enfants hériteront. Est-ce cela le probabilisme obscurantiste dont on nous accuse ? Que Bruckner soit hérétique à la chose, c’est son droit. Mais qu’il crie haro sur l’écologisme n’est pas juste. Quant à se gausser des formules du genre « sauver la planète », c’est faire exprès de ne pas comprendre la métaphore scolaire. Il est bien entendu que l’homme n’est pas l’avenir de la Terre, qu’elle s’en sortira sans nous et qu’il ne s’agit que de pérenniser au mieux les ressources et notre milieu de vie, et pour autant que possible une biodiversité déjà bien amochée par nos saccages.
Pour faire court : aliments aux pesticides issus de monocultures pathologiques sur des sols biologiquement morts, sixième phase d’extinction massive des espèces, déforestation et désertification irréversibles de pans entiers du globe, dramatique déclin des ressources halieutiques, acidification des océans, chaos climatique évidemment d’origine anthropique, innombrables pollutions engendrées par les sociétés nanties et exportées sous toutes les latitudes, débâcle nucléaire… Si je continue, serais-je catastrophiste ? Je revendique d’ailleurs que, sans aucun recours à l’hyperbole, la mort biologique des sols ou l’effondrement des pollinisateurs relèvent de l’apocalypse. Ce qui est certain, c’est que Bruckner est totalement néophyte en matière d’écologie scientifique. Et l’écologisme politique s’inspire largement des travaux des écologues.
Là où les Bruckner, Ferry, Rufin et autres Allègre ne se trompent pas, c’est que bien des écologistes ne sont guère enclins au prométhéisme et succombent à la misanthropie. Est-ce condamnable d’être déçu par sa propre espèce ? « L'humanité disparaîtra, bon débarras ! » annonce ironiquement mon « camarade khmer vert » ou « frère religieux » Yves Paccalet !
Écologiste, oui, mais pas trop !
L’écologisme n’atteste un certain succès que dans les versions les plus cosmétiques et les plus lénifiantes de celles qui consistent à promettre un catalogue de bonnes actions, de gestes salvateurs au quotidien du genre : je relève le défi pour la Terre avec Pascal Obispo…, je me mets au compost avec Julien Clerc…, j’utilise une lessive sans phosphates avec Zazie…, je trie mes déchets avec le Prince Charles…, je réduis l'usage du papier toilette à un carré par personne avec Sheryl Crow… Il n’y a pas de petits gestes, jusqu’à l’idolâtrie anthropomorphique en peluche des seules sympathiques espèces promues par le WWF. C’est bien la preuve que nous continuons à fonctionner comme des tartuffes et des imbéciles.
Préserver la planète n’est qu’une morale à la petite semaine, avec la fourberie de toutes les morales. Ce n’est pas être dubitatif que de le dire. C’est seulement pour se mettre en règle, se repentir, s’autoflageller, battre sa coulpe, faire amende honorable. C’est pouvoir se regarder dans la glace, le visage lavé à cette eau claire que nous avons soumise, les fantasmes dûment désodorisés à la vanille d’un village du bout du monde par l’entremise de quelques mousseuses transnationales finançant complaisamment des colères vertes de pacotille. C’est l’éternel parcours du monothéiste repentant, devenu athée pratiquant, s’inspirant d’un autre décalogue. Nous en sommes là, et pas ailleurs. Et c’est aussi pour ça que les carottes sont cuites. Nous nous jouons de tout, nous nous mentons à nous-mêmes, le seul objectif étant de nous rassurer, pour mieux continuer la pantomime et mettre le désespoir en bourse. Peu nous chaut d’avoir anéanti quatre-vingt-dix-mille espèces de fleurs, tant qu’Interflora subsiste et que Jean-Paul Gaultier fait défiler ses poufiasses en peau de vison sous les cris d’orfraie de quelques indignées d’un Passy bien-pensant. L’écologisme semble trop souvent s’adresser à des Terriens en culotte courte, boutonneux à l’extrême et pas encore déniaisés. Bien entendu et pour le système, c’est la meilleure façon de récupérer la cause et de la mettre sur les sempiternels rails du faux espoir. Tant qu’il reste une orchidée au supermarché, un ourson venant de naître dans un zoo, un Indien à plumes pour tour opérateur, tant qu’il y a un rayon bio dans la vitrine de l’enfer néolibéral, pas question de désespérer Kyoto en crachant quatre vérités qui auraient le don d’exaspérer.
L’écologie-révolte fout les jetons… évacuons-la ! Pas de polémique, pas d’attaque frontale, dit la rengaine qui caresse dans le sens du poil. Ne culpabilisons pas, responsabilisons, jusqu’au bord du gouffre. L’astuce ne va pas tourner court. Du sujet bigot au citoyen défroqué, du consommateur qui pourrait boycotter à l’écocitoyen dégoudronnant sa plage, il y a encore matière à presser le citron. Une imposture de 6.000 ans ne risque pas de se décourager pour un trou d’ozone ou une sixième vague d’extinction d’espèces. On n’apprend pas à un vieux sapiens à faire des grimaces, même s’il a l’outrecuidance de répudier les singes de sa très jactante famille humaine.
L’enjeu est l’autodestruction, droit dans le mur, mais on semble encore vouloir jouer les prolongations. À l’horizon, le mur semble reculer au fur et à mesure que l’on avance, retardant l’échéance cuisante de la Vallée de Josaphat et nous permettant de réitérer cette politique de la terre brûlée qui nous va si bien.
Pas de panique, on percute ! Conséquence : haro sur le déclinologue, assez de catastrophisme et de probabilisme, à bas le prophète juif, vive le messianisme, jouissons encore sous le dernier arbre du Cac 40 ! Pour s’enrichir de leurs propres fumures, les chiffonniers du changement climatique ont même indexé le droit de polluer des entreprises à la bourse. L’écolog(ism)e est une aventure du marketing capitaliste. Quand elle est poudre aux yeux, elle joue à guichet fermé. Quand elle se présente aux élections, elle fait son 1 % de bonne conscience. Quand il faut la déblayer, on lui fait un beau ministère d’État à pouvoir transversal, sous la houlette de son meilleur ennemi, on l’emballe avec l’aménagement, l’industrie et l’agriculture pour mieux la bâillonner et la broyer en l’offrant à l’appréciation des grands lobbies transnationaux.
Il n’y aura pas de miracle sans décroissance et le vœu de décroissance est indicible. Dix milliards d’habitants, chacun dans une bagnole dont on a déjà décidé, dans les couloirs de la finance, qu’elle roulera au colza ou au maïs. « Ne laissez pas goutter votre robinet quand vous vous lavez les dents », nous répète-t-on tandis qu’ils transforment tout le Sud en golfs à 18 trous. C’est une histoire à dormir debout. Mélangez de nouveau tout dans vos poubelles, nous avons gagné quelques batailles, mais nous avons perdu la guerre contre la déraison.
Le massacre de notre environnement naturel correspond à une logique de l’égarement, réelle philosophie sociétale de la néantisation. Cette autodestruction acharnée de notre actuelle civilisation, toutes figures confondues, ne peut qu’être attribuée à une véritable tare congénitale de notre espèce. Les écosystèmes terrestres et aquatiques sont malades de l’homme, subissent les effets multiples et synergiques de nos pressions intempestives qui se caractérisent par des dysfonctionnements qui vont jusqu’à la modification climatique. L’homme moderne est le fossoyeur des écosystèmes et ce travail de pompes funèbres de la Nature est notre œuvre collective.
Voilà, j’ai un peu parlé de Bruckner et apporté ma quote-part en contribution à sa promo. Si la négation absolue de la merde ne vous fait pas peur, lisez-le !
57 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON