Ravivons les Lumières de la Raison et re-laïcisons la Nation !
La République française est fille des Lumières et de la Révolution ; la Laïcité, nourrie de l’anticléricalisme, a parachevé cet édifice et est garante de cet héritage. Il convient préalablement de rappeler qu’une certaine impertinence française s’illustrait déjà avant le XVIIIème siècle. En ces temps étonnants – doux euphémisme – où l’on cherche par des biais grossiers et dangereux, à cautionner le fanatisme islamique en réintroduisant le délit de blasphème, on tourne le dos à une Histoire qui a vertement combattu l’intégrisme catholique. Les exclamations aujourd’hui des Tartuffe et les soutiens de leurs valets nous poussent à rêver de Molière et de sa langue acérée ! Le dramaturge sera-t-il demain de nouveau censuré pour ne point offusquer, blesser, stigmatiser celles et ceux qui ont la foi si fragile qu’ils ne cessent de crier à « l’insulte » et brandissent la menace, quand ils ne passent pas tout simplement à l’acte ? En effet, comme le Chevalier de la Barre fut supplicié en 1766 pour « impiété, blasphèmes, sacrilèges exécrables et abominables », Samuel Paty fut assassiné pour avoir « […] osé rabaisser Muhammad […] » écrivait le terroriste. Comme nous aurions aimé que tous ceux qui prirent la parole se positionnassent comme jadis Voltaire… Tous les lâches adeptes de l’abominable « oui… mais » ont, une fois de plus, soufflé les bougies et éteint les Lumières – du moins ont-ils essayé de le faire.
Les Lumières de la philosophie ont mis au cœur de leur combat la rationalité ; « éclairer toute chose à la lumière de la raison. » Ainsi, il convenait de ne plus obéir aveuglément, d’exécuter le fait du prince et la loi de Dieu, le mot d’ordre étant : Sapere aude, c’est-à-dire, selon Kant dans Qu’est-ce que les Lumières ?, « Ose comprendre par ton propre entendement. » Les Lumières sont donc le processus inverse de la religion, de la foi. Le courant des Lumières a ambitionné de façonner la pensée libre. Ces philosophes, de Montesquieu à Rousseau, de Voltaire à Diderot, se saisissant de la plume affûtée comme l’épée, ont lutté contre « l’infâme » fanatisme, contre l’Église. Ils ont ébranlé le dogme ! Bien entendu, nombre d’entre eux étaient déistes. D’autres, minoritaires, étaient athées ; ainsi, D’Alembert ou Diderot. Que ne dirait-on de ce dernier aujourd’hui, qui écrivait « Dieu : un père comme celui-là, il vaut mieux ne pas en avoir » ? Quant à Voltaire, il aurait écrit dans l’une de ses correspondances, selon Henri Guillemin, « Catholiques et protestants sont des christicoles pétris de la même fange » – et l’historien d’ajouter qu’il n’employait pas le mot fange.
La Révolution française a réinvesti la pensée des Lumières. En matière religieuse, elle réalisa un important travail de sécularisation. Il prit d’abord la forme du gallicanisme, celui-ci étant transféré du profit du Roi à celui de la Nation. La Constitution civile du clergé venait établir cette « Église nationale », allant jusqu’à exiger de ses membres, désormais élus par les citoyens, de prêter le serment civique, à savoir, la fidélité à la Constitution – et donc, l’obéissance aux lois de la Nation. Voilà qui généra des résistances : un clergé réfractaire nourrissant la contre-révolution. Dans les départements, les sociétés populaires – les clubs de citoyens, notamment jacobins – combattirent les fanatiques et promurent les principes nouveaux. Ils ne transigèrent pas, ne prétextèrent pas lâchement quelque relativisme – vous voudrez bien excuser l’anachronisme – au nom d’un prétendu respect de traditions. Ainsi, après avoir vécu les guerres de religion, la France révolutionnée connut dans son sein des rébellions religieuses et ce ne fut pas une problématique parisienne, loin s’en faut. À Aix, la Société des Amis de la Constitution, constatant que les chanoines du chapitre de Saint-Sauveur incitaient à la désobéissance à la loi en mentant sur la réalité de leur sort, écrivaient que ces derniers n’avaient « eu d’autre but que d’émouvoir le peuple, et armer le bras du fanatique », et d’affirmer « Mais on observe que la hardiesse des ennemis de la chose publique ne provient que de la trop grande tolérance des corps chargés de veiller au maintien de la Constitution, et à l’exécution des Lois. » Voilà qui nous laisse songeurs… Dans la même ville, la société démocrate des Antipolitiques fut le fer de lance contre le fanatisme et le clergé réfractaire en Provence, et ce, en étant fondée par un abbé et en comptant parmi elle des ecclésiastiques. Elle pétitionna par ailleurs à la municipalité « afin qu’elle fasse une proclamation qui ordonne que les prêtres ne paraissent plus en public en soutane. » Il s’agissait de les faire entrer pleinement dans le corps des citoyens, les privant des velléités de s’en distinguer. Même les Girondins, qui siègeraient à droite de l’Assemblée dès l’entrée en République, ne transigèrent pas sur la question religieuse – ils s’étaient par ailleurs très tôt illustrés par leur « anticléricalisme ».
Dans les villes et les campagnes, les « patriotes » plantèrent des arbres de la liberté, firent des clubs des « temples de la raison », prêtèrent serment de fidélité à la République, jurèrent de « vivre libre ou [de] mourir », bref, ils établirent une « religion civique ». Par ailleurs, on créait deux précédents sous la Convention thermidorienne ; en septembre 1794, on décrète que « la République ne paie ni ne salarie plus aucun culte » et le 21 février 1795, on procède à la séparation des cultes et de l’État. Parenthèse refermée par le Concordat napoléonien en 1801, lequel réinstitionnalisa une Église gallicane. Concordat élargi jusqu’au culte juif en 1808, Napoléon Ier réunissant le Grand Sanhédrin, contraint de reconnaître la primauté des lois de l’État sur celles de la religion.
Durant tout le XIXème siècle, si les courants républicains ne partagent pas nécessairement la même vision sociale, n’accordent pas la même place au peuple dans l’exercice politique ou se déchirent sur l’héritage de la Révolution française après celle de 1848, ils sont unanimes sur la question de la place de la religion. C’est Victor Hugo, qui certes parcourut tout le spectre politique, s’exclamant « L’État chez lui, l’Église chez elle ! » Les socialistes, les communistes, les anarchistes, réunis dans la Commune de 1871, pensèrent un programme laïque. Par ailleurs, comme la Révolution avait voulu définir une « Instruction publique », la Commune accordait une place centrale à l’École ! Nous en revenons donc à cette volonté de sculpter des esprits rationnels, d’éveiller les consciences libres – dès lors, impossible de considérer que la liberté de conscience est celle de soumettre ! C’est dans cette détermination à transmettre un « catéchisme républicain » – rendez-vous compte, l’horreur, quasiment le fascisme – que la IIIème République, celle dont on sortirait en sachant lire, écrire et compter – le comble de la réaction politique n’est-ce pas –, que l’on établit l’École gratuite, obligatoire et laïque. Point d’autorisations ne furent demandées aux catholiques de retirer les crucifix des salles de classe.
Les architectes de la loi de 1905 la pensèrent assurément bien en amont, car la Laïcité n’est pas un moyen – la question « comment ? » – mais une finalité – qui naît par un « pourquoi ? » Elle n’a jamais concerné les seules institutions de l’État, mais la Nation, c’est-à-dire l’assemblée des citoyens, comme l’affirme celui qui fut peut-être le premier à employer le mot, Ferdinand Buisson. Il écrivait, en 1887 dans son Dictionnaire de Pédagogie, « Les inconséquences dans la pratique, les concessions de détail, les hypocrisies masquées sous le nom de respect des traditions, rien n'a pu empêcher la société française de devenir, à tout prendre, la plus séculière, la plus laïque de l'Europe. » La loi de 1905 est l’aboutissement d’un combat qui porte en son cœur celui des Lumières. La loi de séparation des Églises et de l’État voit la traduction en droit d’un principe politique ! N’en déplaise aux hérauts de « l’abattoir de la laïcité » – pour reprendre l’expression de Fatiha Boudjahlat, mais elle est une loi de combat, foncièrement anticléricale, qui se dresse contre la religion quand celle-ci entend faire plier la République française. Les articles 34 et 35 prévoient même des sanctions pénales contre les ministres du culte qui se laisseraient aller à l’outrage, à l’incitation aux résistances à la loi ou encore à provoquer… une guerre civile. Mais nous trouverons encore des hypocrites pétris d’ignorance crasse pour affirmer que la loi fut votée paisiblement avec l’assentiment des catholiques, ou que Briand s’était illustré par la modération de son propos, lui qui pourtant indiquait relativement au prêtre concerné par le cas évoqué ci-dessus qu’il serait « indigne de la bienveillance de la loi. Sa culpabilité ne peut relever du droit commun, elle est exceptionnellement grave et, comme telle, elle appelle aussi logiquement ces sanctions exceptionnelles. »
La Laïcité, c’est le glaive et le bouclier ! Si elle n’est pas l’athéisme d’État, elle ne saurait être limitée à la liberté de culte. Rappelons aux relativistes qui veulent imposer dans la République française un modèle communautariste à l’anglo-saxonne et une expression politique puritaine qui se plierait aux injonctions de croyants à la sensibilité affective chatouilleuse, que la liberté de culte existe dans des pays où la laïcité n’existe pas et que ce principe, garanti par la Constitution, n’est pas la liberté de croire ou de ne pas croire, mais le droit laissé à tout citoyen de penser en-dehors de la religion, libéré du dogme. En ce sens, elle permet à l’athée convaincu comme au croyant paisible d’être une Nation et de « se disputer » politiquement, débarrassé d’un papa invisible, quel que soit le nom qu’on lui donne, et des affres de la religion, fusse-t-elle l’islam.
Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia
Ecrivain, diplômé d’Histoire
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