Sécurité routière : votre argent m’intéresse
La récente et timide modification du permis à points montre, s’il en était besoin, l’embarras du gouvernement sur la sécurité routière. Le domaine de la sécurité routière est en effet un sujet très sensible, car lieu de passions extrêmes.
Il y a ceux qui sont émotionnellement impliqués, car ils ont perdu un proche, ou peur d’en perdre un dans un accident de la route, et on comprend cette émotion. Il y a aussi les idéologues ou intégristes de la sécurité routière. Pour eux, chaque automobiliste est un tueur en puissance, comme autrefois au Far West les cow boys, prêts à dégainer leur arme à la moindre contrariété (aujourd’hui on dit prêt à accélérer au moindre prétexte). Nous reviendrons plus tard sur les excès de cette frange influente de la population.
D’un autre côté, il y a cette majorité silencieuse malheureusement abondamment manipulée par les idéologues et dont les bras armés sont « nos politiques ».
Enfin, pour être complet, il faut ajouter à notre tableau les fameux « chauffards », empreints d’un sentiment de puissance excessif (et d’égoïsme ?) qui non seulement risquent leur propre vie, mais bien souvent celle des autres, et qui sont trop souvent incapables d’assimiler un minimum de savoir-vivre ensemble.
On sera tous d’accord pour que
les « chauffards » soient ramenés au pas, et d’ailleurs la politique
actuelle est efficace. Si on en croit les statistiques, les grands excès de
vitesse ont quasiment disparu. A titre d’exemple, les excès de vitesse supérieurs à 30 km/h ont été divisés par cinq entre 2002 et 2005
(Le Figaro du 20 octobre 2006 - p. 35).
Mais la manipulation des intégristes de la sécurité routière est de faire croire qu’il y a un chauffard qui sommeille en chacun d’entre nous. Et donc, ils deviennent les défenseurs invétérés de la tolérance zéro, afin de tuer dans l’œuf toute velléité de commettre, j’allais dire un meurtre, mais disons plutôt un dépassement de la réglementation.
Tolérance zéro
Tolérance zéro, ce thème importé des Etats-Unis et si cher
à MM. Sarkozy et Chirac, qui en ont fait un thème de campagne pour
combattre l’insécurité au sein de nos cités, a été habilement récupéré par nos
intégristes. Mais arrêtons-nous au passage sur la déviation du discours de
campagne et sur les faits d’aujourd’hui. La campagne électorale faisait état de
l’insécurité dans nos banlieues. Résultats : une mobilisation financière et
policière sans précédent a été dirigée contre... les automobilistes.
Les
commissariats des banlieues attendent encore des renforts d’effectifs et de
moyens pour mener leurs actions contre les bandes organisées et la prévention
de la petite délinquance. L’honnête citoyen est tellement plus gentil et serein
à verbaliser (et solvable) que ceux que M. Chevènement appelait les
« sauvageons ». En Amérique, on connaît bien la ficelle, on fabrique
un ennemi (si possible facile à maîtriser) afin de détourner l’attention des
concitoyens.
« Mais moi, membre d’un vieux pays ... », je refuse la tromperie ! (excusez cet élan villepiniste, une fois n’est pas coutume). En effet, vous et moi devenons-nous au volant de notre voiture des « ennemis » de la nation, puisque tout le monde est potentiellement concerné ?
Pourquoi sécurité routière et tolérance zéro n’ont pas de sens ensemble ? On comprend tous intuitivement que rouler à 83 km/heure au lieu de 80 sur le périphérique parisien (lorsqu’il est fluide, et ça arrive parfois !) ou 139 km/h sur autoroute n’est pas de nature à changer la nature du risque. Bien d’autres facteurs comportementaux non verbalisables sont plus importants, comme la fatigue, la baisse de l’attention (due parfois à l’ennui d’une vitesse trop réduite), sans parler des narcotiques...
Mais c’est efficace, disent en chœur nos intégristes manipulateurs. Le nombre de morts diminue significativement sur les routes depuis cette fameuse répression. Moins de morts, et tous ces accidents évités qui faisaient également des malheureux dans les hôpitaux.
Pourquoi plus de blessés graves en 2005 ?
Premièrement, comment
expliquent-ils qu’entre 2004 et 2005, bien qu’il y ait eu -4,9% morts (-275
victimes) sur les routes de France, il y eut en même temps +228% de blessés
graves ou hospitalisés (soit +22376 victimes) (voir rapport 2005 sécurité
routière ).
Une politique de sécurité est
efficace selon la diminution du nombre d’accidents. La diminution du nombre de
morts n’est pas le critère de mesure pertinent, car elle peut être due à
plusieurs facteurs exogènes à la politique de répression, comme, notamment, la
construction des voitures (Air bag, ABS...), le système des urgences (mieux
organisé ou équipé, il sauve des vies à J+6, et donc aussi les statistiques),
l’état des routes... On peut noter la manipulation statistique qui regroupe le
total des blessés (blessés légers et blessés graves) afin de montrer une petite
diminution, mais évite de justifier la forte augmentation des blessés graves.
Il est clair qu’à l’heure prochaine du bilan, cela ne plaît pas beaucoup à nos
futurs candidats.
Deuxièmement, la diminution du
nombre de tués n’est-elle pas due à la quasi-disparition des grands excès de
vitesse plutôt qu’à la verbalisation pointilleuse des petits excès de Monsieur
vous et moi ?
S’interroge-t-on sur qui sont les fameux chauffards ? Eh
bien, vous trouverez un début de réponse en regardant de près les statistiques
routières et avec surtout un peu de bon sens ou de mémoire. Bien entendu, les
statistiques sont trop politiquement correctes (ou instrumentalisées) pour
chercher à établir la vérité. Dans le rapport sur les condamnationsroutières
en 2004
p. 188), on peut voir que les
classifications d’âges ne sont pas égales (on compare les 20-24 ans et
40-59 ans) et montrent un chiffre plus élevé pour cette dernière classe (quatre fois
plus nombreuse cependant). Le texte fait uniquement un commentaire sur l’âge
moyen, dont on se demande l’intérêt. Nous avons tous été jeunes, et nous savons
bien que vitesse et risque sont des tentations pour la jeunesse, sans dire que
ceux-ci sont les uniques responsables et sans surtout les stigmatiser. Ce n’est
qu’un exemple qui montre que ce sujet
est de l’ordre de l’idéologie (et du politiquement correct), et qu’on ne prend pas
dans ce cas des mesures d’accompagnement plus spécifiques à la classe d’âge la
plus concernée. Cependant, comme un bon impôt est un impôt avec une large base,
on préfère certainement ratisser largement, et comme les citoyens sont mal informés
(si la pensée unique était un art dans les médias, la sécurité routière serait
sans doute un art majeur), ils en sont majoritairement contents. Ils payent,
ils sont heureux, que veut-on de plus, se disent-ils ? Mais pas tous, et de
moins en moins, semble-t-il.
La tolérance zéro sur un code de la route cohérent et un tant soit peu intelligent, cela peut avoir du sens. Mais combien de fois voyons-nous des limitations aberrantes, et parfois même dangereuses, comme ce témoignage dans Le Parisien du 10 novembre 2006 qui parle d’une bretelle limitée à 30 km donnant accès à une voie rapide où les voitures circulent à 110 km\h ? A Paris, on sait tous que selon le sens de la Seine, la limitation des voies sur berges n’est pas la même (50 km dans un sens et 70 km/h dans l’autre). Il semble y avoir beaucoup d’amateurisme dans la fixation de ces limitations et règles. Rappelons que le risque est fonction du danger et de sa fréquence ou probabilité d’apparition. Et c’est bien entendu dans les cas d’aberrations (aberration = limitation non réellement justifiée par le risque) que les contrôles sont trop souvent réalisés. Pour plus de six millions de points retirés au cours des neuf premiers mois de 2006, ou bien nous sommes un peuple de sauvages (voir pensée unique), ou notre réglementation adossée à la tolérance zéro n’est pas adaptée.
Des propositions alliant sécurité et justice
Loin de nous l’idée de vouloir baisser la garde et diminuer le nombre de
contrôles. Une vie est trop précieuse et un accident même sans tué est du
gaspillage non tolérable. Mais dans le cas présent, on a la conviction que c’est
notre argent plus que notre sécurité qui intéresse les pouvoirs publics. Il faut savoir que la loi de finance 2007
prévoit un objectif budgétaire pour les contrôles routiers. Vous en faut-il
plus ?
Nos politiques ne faisant pas leur travail honnêtement sur cette affaire, que proposer alors ? Quelques idées non exhaustives, plus justes, et qui ne diminueront pas notre sécurité :
- Des règles justes (que la signalisation routière soit déterminée selon une norme claire et précise sur les facteurs de danger et de risque, comme cela se fait avec succès dans l’industrie).
- Supprimer les infractions aux petits délits, par exemple les dépassements de vitesse inférieurs à 20 km/h dont le nombre a explosé à +85% par la répression automatique (Voir Le Figaro 20/10/2006) qui ne sont pas plus dangereux mais surtout très rémunérateurs. Une tolérance doit être instituée par la loi, pour ne parler que de la vitesse, à un niveau suffisant pour que l’on n’ait pas besoin de garder le nez rivé sur le compteur kilométrique tout en restant modeste et au-delà prévoir des sanctions plus sévères. Si certains sont (ou seront) tentés d’utiliser systématiquement cette tolérance, ils doivent savoir qu’au-delà de celle-ci les sanctions seront plus fortes.
- Des contrôles réalisés dans les lieux à risques (en termes de sécurité) et jamais en fonction d’objectif de contravention (chaque lieu de contrôle doit faire l’objet d’une étude de risques, étude disponible pour les contrevenants).
- Des sanctions différentes selon la gravité, le taux de récidive et l’âge du conducteur. Alors qu’il y a des bonus pour l’assurance, pourquoi sanctionne-t-on de la même manière un conducteur qui a vingt ans de conduite irréprochable et un jeune conducteur en apprentissage ? Sanctionner plus sévèrement les trop fortes infractions, surtout après récidive.
- Dissocier les sanctions financières des retraits de point. La perte d’un point peut être un rappel à l’ordre, mais ne justifie pas nécessairement une sanction financière. En aucun cas les points ne doivent être retirés de manière automatique (comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui), ils doivent l’être de manière circonstanciée.
- Améliorer les aménagements routiers. Des revêtements antidérapants permettent de gagner plusieurs mètres dans la distance de freinage. Au lieu de changer régulièrement les limitations sur une même route, améliorons le revêtement de la route sur les lieux sensibles pour ne pas avoir à changer sans cesse sa vitesse, source de confusion pour les conducteurs. (Parfois on ne sait pas quelle est la vitesse autorisée, tellement elle change souvent sur une même route).
- Installer des panneaux lumineux indiquant des limitations variables en fonction du risque (selon la météo ou la densité de circulation) comme cela se pratique en Allemagne. Cela serait certainement un meilleur investissement pour la sécurité que les radars automatiques positionnés dans des lieux non spécialement dangereux (mais justement rentables).
- Supprimer le retrait de points pour le non-port de la ceinture de sécurité (plus fortement sanctionné que certains excès de vitesse), ou pour une immatriculation non visible... qui dénature l’esprit du permis à points. En aucun cas, ces deux infractions n’induisent un danger pour autrui, ne conditionnent la manière de conduire.
Bien d’autres suggestions peuvent
être faites et qui dépassent le cadre de cet article. Si l’on doit parler sécurité et non de ponction
financière, on saura trouver encore beaucoup de lieux de progrès, et utiliser par exemple cet argent pour sauver des vies dans notre système de prévention de la santé (qui sauverait beaucoup, beaucoup plus de victimes).
En conclusion
je dirai que sécurité et justice sont possibles ensemble. Pratiquer l’un sans
l’autre est une méthode plus mafieuse (« Je vous protège, vous
payez ! ») qu’avouable, de plus en plus de citoyens s’en rendent
compte. C’est bien ce qui inquiète certains hommes et femmes politiques pour
les prochaines élections, qui ont utilisé ou n’ont jamais osé dénoncer la
tromperie.
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