Suisse : du voile intégral au nu intégral
Qu’ils soient entièrement livrés à la vue ou totalement camouflés sous des voiles orientaux, tous les poils sont les bienvenus dans la Confédération helvétique. Enfin presque...
Les banques mais aussi les exilés fiscaux, particulièrement nombreux sur les rives du lac Léman, et les touristes fortunés. Il faut dire que ces derniers font entrer chaque année dans les caisses de la Confédération de bien juteux profits directement issus des dépenses effectuées dans les boutiques chic de Genève ou de Lausanne, et plus encore dans les stations huppées de Gstaad, Saint-Moritz ou Zermatt.
Après quelques années d’absence, mon épouse et moi sommes retournés en Suisse cet été, pour renouer avec les randonnées dans un Oberland Bernois où nous n’avions pas remis les pieds depuis une vingtaine d’années. Mis à part des chalets supplémentaires dans les alpages, une spectaculaire augmentation des prix (exemple : le café à 3,5 euros !) et un usage du schwyzerdütsch (le suisse-allemand) en net recul, rien n’a véritablement changé au cœur des montagnes du Canton de Berne symbolisées par le formidable triptyque composé de l’Eiger, du Mönch et de la Jungfrau. Et s’ils ont été rejoints par des touristes russes, indiens et chinois au pouvoir d’achat renforcé par la mondialisation, les Japonais continuent de fournir les gros bataillons de visiteurs de la petite ville d’Interlaken et des superbes stations de montagne qui jalonnent le parcours du Berner Oberland Bahn : Grindelwald et Wengen. Parmi ces Japonais (auxquels se mêle désormais un nombre croissant de Coréens), se trouvent bien évidemment des randonneurs et des alpinistes, mais aussi des touristes moins sportifs venus en groupes compacts de l’Empire du Soleil levant réserver des wagons entiers du train à crémaillère centenaire du Jungfraujoch qui les amènera sur le glacier d’Aletsch, à près de 3500 m d’altitude.
Des personnages de mangas
Mais revenons aux poils. Les habitudes évoluant avec le temps, la pilosité corporelle est de plus en plus visible chez les randonneurs. Les Germaniques et les Anglais eux-mêmes troquent peu à peu leurs traditionnels knickers et leurs chemises de coton pour des T-shirts et des shorts. Une tenue débraillée que désapprouvent manifestement les randonneurs japonais. Généralement couverts de la tête aux pieds, certains – particulièrement les femmes – n’hésitent pas à porter des gants sur les mains et un voile de protection sur le visage. Les indispensables lunettes de soleil finissent de les soustraire à la vue des autres, ce dont ne s’étonnent plus les autochtones, habitués, comme les Savoyards de Chamonix ou les Valaisans de Zermatt (autres hauts-lieux de la présence japonaise) à la présence de ces personnages de mangas aussi parfaitement typés.
Á l’invisibilité corporelle des Japonais répond celle des musulmanes – beaucoup plus rares mais néanmoins présentes – qui déambulent dans les rues des stations ou partent, elles aussi, à l’assaut du Jungfraujoch. Curieux spectacle que ces femmes en route pour les cimes en niqab dans les trains à crémaillère. Plus étonnant encore, la tenue de leurs époux. Car si la religion impose à leurs yeux une prison de tissu à leurs compagnes, les obligations ne valent pas pour eux, et c’est dans une tenue de vacances parfaitement décontractée, faite le plus souvent de jeans et de T-shirts, qu’ils se promènent en compagnie de leurs femmes, à l’image de cet homme aux avant-bras velus, vu à Grindelwald en compagnie de ses... quatre femmes entièrement voilées. Ou de ces deux autres, tout aussi décontractés sur le plan vestimentaire, dégustant en riant à une terrasse d’Interlaken la bière locale tandis que leurs épouses, muettes, levaient de temps à autre leur voile pour ingurgiter une gorgée de jus d’orange sous le regard blasé des serveuses.
Au risque de se râper les roubignolles
Poil caché ici, poil apparent là. Et je ne parle évidemment pas de ceux des bouquetins, chamois et autres marmottes que l’on peut observer lors des balades en montagne. Précisément, le Niederhorn – magnifique point de vue sur les sommets et sur le lac de Thoune – est, non loin d’Interlaken, l’un des lieux privilégiés pour observer les bouquetins de l’Oberland, souvent peu farouches, qui vivent en nombre sur les flancs du Gemmenalphorn voisin. Pas de chance cette fois-ci : mis à part un grand mâle au repos sur un rocher et quelques jeunes vite disparus dans les chaos rocheux, très peu de ces formidables acrobates au rendez-vous. Une déception vite effacée par l’arrivée, au croisement d’un sentier, d’un trio d’animaux à poils inattendu : deux mâles et une femelle bipèdes, équipés de chaussures de marche, de sacs à dos et, comme l’impose de plus en plus la mode en montagne, de bâtons de randonnée nordique. Mis à part ces équipements, rien sur le corps, au risque de subir la morsure du soleil ou, lors des pauses, d’exposer ses parties intimes à la morsure de fourmis agressives. Mais le naturisme est, paraît-il, plus qu’un mode de vie : une philosophie, affirment les plus accros.
Un mode de vie présent partout en Europe dans des lieux dédiés, mais rarement en pleine nature, hors des camps autorisés. En cela, la Suisse fait désormais exception, et les adeptes de la randonue se multiplient, notamment dans les cantons de l’Est du pays où, malgré le risque d’une amende pouvant atteindre 200 francs suisses, il n’est pas rare de rencontrer des randonneurs dévêtus, voire des skieurs de fond n’ayant froid ni aux yeux, ni au reste ! Certains, dans le sillage de Puistola Grottenpösch, pratiquent même l’escalade et l’alpinisme en tenue d’Ève ou d’Adam, au risque, pour les hommes, de se râper la chipolata ou les roubignolles sur les aspérités de la roche. Mais il faut savoir ce que l’on veut, et les menus désagréments semblent ne pas décourager les amateurs. De là à affirmer, comme le font certains, que la randonue est en voie de progression semble pourtant sujet à caution, des spécialistes de la question affirmant le contraire en se référant à un retour marqué de la pudeur chez les jeunes.
Cachés ou apparents, les poils font parler dans la Confédération et ne manquent pas de susciter, ici et là, chez nos amis suisses, des commentaires parfois désobligeants. Mais la tradition d’accueil est là qui impose, la plupart du temps, le silence en public et limite même les regards désapprobateurs. Avec une pointe d’ironie, on peut même affirmer que le respect pour les cartes Visa ou Mastercard l’emporte en définitive sur toute autre considération... Grüetzi voll, amis de l’Oberland, nous retournerons vous voir avec plaisir, ne serait-ce que pour déguster un verre de Féchy bien frais sur le vénérable Blümlisalp !
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