Télévision, publicités et problèmes scolaires
Ou comment la télévision et les publicités sont des facteurs majeurs expliquant les problèmes croissants d’attention et de respect des élèves dans les classes.
Voilà le résultat de mes réflexions après l’observation de mes classes (de 6e surtout) durant ces trois dernières années, une discussion productive avec mon père, et une lecture.
Au cours des dernières années donc, j’ai été confronté à un problème scolaire certes vieux comment l’enseignement, mais dont les proportions ont atteint un seuil critique pour l’efficacité de mon travail d’enseignant, le "bavardage en classe".
En tant qu’ancien élève, j’ai pratiqué et vu pratiquer le bavardage en classe, il y a une quinzaine d’années environ, mais celui-ci était loin d’être sytématique, généralisé et quasi-permanent pendant les cours. Il était même pratiquement inexistant pendant le moment de dictée par le professeur des élèments de cours devant être notés.
Les élèves qu j’ai actuellement en face de moi, surtout les plus jeunes (niveau 6e) sont, pour les deux tiers d’entre eux environ (et plutôt plus que moins), totalement et pathologiquement incapables de se taire plus d’une minute ou deux. Tout, absolument tout est prétexte à discussion, pratiquement à haute voix, avec le ou les voisin/s qu’il(s) ou elle(s) soient proches ou à l’autre bout de la classe. Dans ce cadre, couper la parole du voisin ou d’un élève en train d’être interrogé oralement, ou même la parole de l’enseignant, est devenu un sport national, d’autant plus insupportable que c’est fait avec une déconcertante insouciance, comme si cela allait de soi et ne représentait absolument pas un problème. Face à ce manque évident du B.A. BA du respect de l’autre, j’ai essayé d’en comprendre les causes pour, qui sait, m’approcher d’un remède.
J’ai d’abord interrogé les intéressés, je leur ai posé directement la question :
"Coupez-vous ainsi toujours la parole à vos parents quand vous êtes à la maison ?"
J’ai eu droit à un concert de "oui" amusés. Même s’il y a une part d’exagération, la réponse globale est tout de même significative.
J’ai pour habitude de m’attaquer à l’éducation parentale actuelle (je vois aussi régulièrement des parents, donc je ne parle pas non plus totalement sans connaissance de cause). Si les enfants parlent tant en classe c’est qu’ils sont trop écoutés chez eux, me suis-je dit, un effet secondaire du syndrome de l’enfant-unique, de l’enfant-roi. J’ai soumis cette réflexion à mon père qui, lui, m’a suggéré le contraire : peut-être, justement, ne sont-ils pas assez écoutés chez eux. Ils compensent donc les carences de la communication familiale par un excès de communication en classe.
C’est là qu’apparaît la télévision : un solution facile pour des parents qui, de plus en plus souvent, travaillent tous les deux, rentrent tard, et souhaitent être au calme quand ils rentrent. On place donc l’enfant devant l’hypnotique télévision (l’écran télé peut être aussi l’écran de l’ordinateur ou de la playstation ou de la gameboy). Ma propre soeur, qui a tantôt deux, tantôt quatre enfants à la maison et qui pourtant, j’en suis sûre, communique autant qu’elle le peut avec eux, les place souvent devant le couple télé-magnétoscope, où ils regardent souvent les mêmes cassettes sans que cela les dérange, et même à leur demande.
Second effet pervers : la publicité télévisé. Observez attentivement les pages de publicités aux heures où les enfants sont le plus suceptibles d’être devant l’écran : vous y verrez souvent vantés un ensemble de produits et de marques que l’on veut faire acheter aux enfants (cible plus malléable que l’adulte) en faisant pression sur les parents. Mais surtout, de plus en plus souvent, l’adulte y est présenté comme stupide, ou tourné en dérision, car mal informé ou "dans l’erreur" par rapport au dernier produit à la mode que l’enfant connaît, lui, bien évidemment. L’enfant voit donc de plus ou plus souvent la crédibilité parentale et la crédibilité de l’adulte battue en brèche, au profit de son propre prétendu "savoir". Cela ne s’arrête pas là, le contenu même du cours que je distille commence à être contesté, au profit de telle ou telle émission de télé (rarement à propos).
J’ai retrouvé en partie cette accusation portée contre la télévision dans l’ouvrage de Philippe Meirieu, Lettre à un jeune professeur, (chez ESF éditeur/France Inter). Il y fustige, lui, les ravages de la télécommande, la "zapette". L’enfant/élève devenant un tyran de ses loisirs télévisés et "zappant" à chaque fois qu’un programme ne l’intéresse plus. Résultat : de gros dommages dans les capacités d’attention dans la durée, et une nette tendance, chez les élèves, à "zapper" le cours sitôt qu’il ne les intéresse plus, au profit de sa troussse, de sa règle, de son voisin....
Pas plus tard qu’hier, à la télévision justement, on voyait une famille qui s’était volontairement privée de télévision à la table du dîner : les effets furent immédiats, l’enfant du couple fut plus communicatif et enjoué que jamais, il se mit même à chantonner (de bonheur ?), chose que, paraît-il, il n’avait encore jamais fait.
Il y a quinze ans, une de mes professeurs d’espagnol nous avait dit : « Si vous êtes parents un jour, il faut que vous ayez absolument la force de faire un geste simple : éteindre la télé. »
Je comprends, hélas, maintenant que je suis de "l’autre côté" du bureau, à quel point elle avait raison.
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