• Remarque préliminaire sur l’effet macédonien

Jean Carbonnier a su décrire cette tendance du législateur à exercer son art à la suite de cas limites. La sociologie juridique décrit ce phénomène comme "effet macédonien", non pas en référence à la contrée des Balkans, mais à celle d’un jeune homme de bonne famille, Macedo, qui, du temps de Vespasien, assassina son usurier. De l’espèce, on fit un senatus consulte qui prohibait le prêt aux jeunes gens. On souligne que ce type de mesures a souvent pour effet de restreindre la liberté. En l’occurrence, il s’agit cependant davantage de s’intéresser à l’exercice des pouvoirs du juge d’instruction. Mais l’analyse doit être gardée en tête.

Comme l’observe Jean Carbonnier : "Absurde serait un juge qui regarderait comme un risque normal de n’être juste que dans 99% procès sur 100. Un législateur, au contraire, est raisonnable s’il prend le risque de laisser les choses aller mal dans 1% des hypothèses, car c’est en gros qu’il convient de légiférer". Une forme de bonne morale, que n’entendent guère les membres de la Commission parlementaire... André Vallini, encore : "On veut faire un rapport pour proposer des réformes de la justice. On a à peu près quatre mois devant nous."

  • L’instruction

L’histoire pèse sur la procédure inquisitoriale qui faisait de l’aveu de la personne mise en cause une preuve essentielle ; de là, peut-être, quelques échos contemporains. Le système accusatoire reposait, il est vrai, sur l’ordalie et le duel judiciaire, ce qui n’est pas nécessairement la garantie d’une bonne justice.

L’instruction a pour objet la recherche et l’appréciation des preuves par un juge ("Sont-elles susceptibles de recevoir une qualification pénale ?"). A l’inverse du système accusatoire, dans lequel les parties soumettent l’une et l’autre les preuves à leur juge, le système inquisitoire repose sur l’intervention d’un magistrat spécialement désigné à cet effet. Celui-ci cependant doit instruire à charge et à décharge, ce qui suppose que les preuves soient collectées et appréciées tout à la fois dans le sens de la culpabilité et dans le sens de l’innocence de la personne mise en cause. Un art difficile.

Il convient de préciser, à cet égard, que le juge d’instruction n’a de pouvoirs qu’au cours de l’instruction dite "préparatoire". Il est procédé, lors de la phase de jugement, à une nouvelle phase d’instruction, le plus souvent sommaire. L’honnêteté commande cependant de rappeler que l’affaire d’Outreau a montré la valeur de l’instruction en cours de procès.

  • Les pouvoirs du juge d’instruction

Outre les pouvoirs exercés à sa demande par ses auxilaires ( la police, les experts judiciaires), le magistrat instructeur peut procéder à des constatations et à des perquisitions, auditionner, et apporter des restrictions à la liberté d’aller et venir des individus (jusqu’à solliciter la mise en détention provisoire). Paxatagore développe ici ces questions.

Les mécanismes de contrôle du juge par sa hiérarchie n’ont pas manqué de susciter des interrogations (accusatrices), de la presse comme des politiques. Mais outre le contrôle exercé tout au long de la procédure par la Chambre de l’instruction, les parties et le ministère public peuvent solliciter un certain nombre de mesures. Ainsi, la personne mise en cause peut solliciter une audition, celle d’un témoin, une confrontation, une expertise, un examen médical (etc.). Le refus du juge d’instruction doit être exposé par une ordonnance motivé.

Les auditions devant la commission parlementaire ont montré la réticence du magistrat instructeur à répondre favorablement aux sollicitations des parties en cause. Il ne faudrait pas croire, cependant, qu’une tellle pratique constitue un manquement à ses obligations, dès lors que la loi ne la lui impose pas. Aussi bien le magistrat peut-il déclarer qu’il a rempli sa mission "honnêtement, loyalement et conformément à la loi." Sans préjuger d’éventuelles suites disciplinaires, on ne saurait jurer que cela soit inexact. Mais en ce cas, ne faut-il pas conclure à la nécessité d’une réforme, pour limiter les pouvoirs du juge d’instruction ?

  • Réformes et garanties de procédure

La réforme de la procédure pénale supposerait que la défense puisse faire valoir plus efficacement ses intérêts lors de l’instruction. Mais peut-être le législateur, le peuple, et la presse ne s’accommoderaient-ils guère de garanties supérieures pour les individus mis en cause ? Si l’on s’indigne aujourd’hui de ce que des innocents ont souffert, on s’inquiétait hier que de "dangereux délinquants" pussent être remis en liberté. Les principes veulent cependant que les uns et les autres soient considérés, lors de la phase d’instruction, comme innocents. Aussi bien peut-on s’interroger : l’émotion eût-elle été à ce point vive et partagée, si le comportement du magistrat s’était exercé contre des personnes finalement déclarées coupables ?

On peut en douter, au vu de certaines considérations journalistiques. Voici ce qu’écrit Marie-France Etchegoin dans Le Nouvel Observateur : "Fabrice Burgaud se défend en juriste, en « technicien ». Sur le plan formel, dit-il, il a respecté les textes. Tous ses actes sont motivés, en temps et en heure, bien emballés dans le Code de procédure pénale ! Il est, hélas, à l’image d’une partie de la magistrature." (Je souligne)

On ne peut retenir un certain accablement devant le propos. Sans doute faudra-t-il rappeler que les instruments de défense des personnes mises en cause sont également "bien emballés dans le Code de procédure pénale". De façon générale, c’est bien par les textes, et grâce aux "techniciens", que les intérêts des justiciables sont protégés. Mieux encore, c’est la forme - i.e. la procédure - qui, en matière pénale, assure ces garanties. Le droit pénal se contente, en substance, de définir les infractions. Mais sans doute la journaliste regrette-t-elle que le juge ne fasse pas l’aveu de ses erreurs.

C’est peut-être par un curieux effet réflexif, donc, que cette dernière n’hésite pas à qualifier le magistrat de "Torquemada d’Outreau".



Dans le même ordre d’idées, je cite également les propos tenus par Eric Dupin, dont j’espérais moins d’indignation, et plus de réflexion : "L’arrogance avec laquelle le juge Burgaud affirme, dans une interview à L’Express, avoir "rempli (sa) mission honnêtement, loyalement et conformément à la loi" est proprement sidérante." S’il me lit encore, j’aimerais avoir des précisions sur la malhonnêteté, la déloyauté, et l’illégalité qui justifient la sidération de l’éditorialiste.