Un fiasco comme prétexte ?
Selon un magistrat instructeur, Richard Pallain, en conséquence de l’affaire d’Outreau il serait justifié d’enregistrer les interrogatoires de garde à vue, mais pas les interrogatoires de juge d’instruction. Il y a de quoi trouver cette assertion surprenante, pour ne pas dire discutable. Car, enfin, qu’est-ce que l’affaire d’Outreau ? C’est l’affaire d’une instruction faite à charge. C’est l’histoire d’une information judiciaire qu’un magistrat à manifestement mal gérée. Le temps de la garde à vue dans ces procédures correspond au néant. 24, 48 heures, en début de procédure, n’expliquent en rien le fiasco d’une procédure qui a complètement dérapé.

Devant la commission d’Outreau, certains innocentés ont souligné avoir passé un sale moment en garde à vue. C’est affligeant, bien entendu. Mais le principe de la garde à vue n’est pas d’en faire un moment courtois où l’on échange des mondanités. De fait, une garde à vue ne pouvant être opérée que contre des individus soupçonnés d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction grave, il s’agit d’un moment délicat et difficile pour le mis en cause, qui sera confronté aux indices justifiant sa mise en cause. Ce moment a toutes les raisons d’être mal vécu. Mais qu’on ne dise pas qu’Outreau s’est joué en garde à vue, ce n’est tout simplement pas du ressort de la garde à vue. Ce n’est pas la garde à vue qui a constitué l’ensemble de la procédure telle que présentée en cours d’assises, ce n’est pas la garde à vue qui a imposé que l’on maintienne en détention provisoire des individus pendant une durée extrême. Lors d’une instruction judiciaire, l’ensemble de la procédure est faite et décidée par le juge d’instruction ; lorsque les policiers interviennent, ce n’est pas de leur chef, mais sous commission rogatoire ; les mis en examen (ceux qui sont placés en détention provisoire) ne peuvent être interrogés que par le juge d’instruction (les interrogatoires policiers se sont donc forcément situés en amont de la mise en examen).
Doit-on filmer les interrogatoires de garde à vue ? Pourquoi pas. Cela permettrait sans doute d’éviter que certains olibrius, à l’heure du procès, n’inventent des fictions sur le déroulement de leur garde à vue. Cela éviterait aussi que des olibrius sous l’uniforme franchissent les bornes de la déontologie. L’inconvénient, néanmoins, c’est que la présence de la caméra risque de refroidir certains mis en cause qui, autrement, auraient été plus prolixes.
Mais si on filme les interrogatoires de garde à vue, rappelons-nous que le point de départ, c’est l’affaire d’Outreau. Or, pendant cette affaire, seul le magistrat instructeur fut épinglé pour des pratiques d’interrogatoire discutables, ne permettant pas de soulever les éléments à décharge (« adoption de méthodes d’investigation peu propices à l’émergence d’éléments à décharge », selon les termes du Conseil supérieur de la magistrature
Richard Pallain dit ensuite, toujours à propos de l’enregistrement des interrogatoires du juge d’instruction : « Peut-on vraiment éviter un nouvel Outreau grâce à ce dispositif ? Je pense que non. Un enregistrement chez le juge n’aurait sans doute rien changé au déroulement de cette instruction ». Il a peut-être raison. Mais alors, pourquoi soutient-il l’idée de filmer les interrogatoires de garde à vue ?
Il précise sa pensée : « Tout repose sur des déclarations, un climat. La confrontation chez le juge contient des scènes dramatiques qui provoquent parfois le déclic chez le suspect. Il déroule alors son histoire dans l’intimité du cabinet d’instruction. La présence d’une caméra dans ces moments intenses de vérité va tout aseptiser. On va tuer la relation humaine par excès de formalisme. » Tout ceci est vrai aussi pour la garde à vue.
S’il a raison, c’est qu’en fait de réforme relative au fiasco d’Outreau, il s’agit de mettre en place une mesure de surveillance de la police, au détriment de son efficacité. Le procédé, l’utilisation d’un fiasco judiciaire comme prétexte, est pour le moins insultant pour les fonctionnaires de police. Or, il convient de ne pas oublier qu’une minorité des affaires font l’objet d’une instruction. Ajouter de la défiance à l’heure de la méfiance, et risquer de réduire l’efficacité des services de police, voilà un drôle de choix pour un gouvernement régulièrement décrit comme sécuritaire par l’opposition.
L’affaire ne semble pas encore jouée. Heureusement, il existe un ministre, et non des moindres, pour rappeler que « l’affaire d’Outreau révèle avant tout un dysfonctionnement chez les magistrats » (
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