Une matière qui dérange
Les sciences économiques et sociales semblent gêner... Cette matière, enseignée par une horde de professeurs gauchistes, constituerait une nouvelle forme de marxisme. Alors les SES sont-elles actuellement une vaste manipulation ou pourraient-elles au contraire le devenir ? En tant que lycéen en classe de terminale ES, j’ai ouvert mon manuel d’éco pour y réfléchir...
Les sciences économiques et sociales. Avec la TVA sociale, le sigle doit être l’un des derniers à contenir ce mot "social". Dans une France où depuis 2002, et plus particulièrement durant les derniers mois, le libéralisme a progressivement pris le dessus sur toute forme de socialisme, les SES commencent à poser un grave problème.
Quel est l’objectif des SES ? Destinées exclusivement dans le secondaire aux élèves de la série ES, cet enseignement doit, selon l’arrêté du 30 juillet 2002, "conduire l’élève à la connaissance et à l’intelligence des économies et des sociétés contemporaines, et ainsi (...) concourir à la formation du citoyen". Il s’agit d’un enseignement pluridisciplinaire, qui permet donc à de futurs citoyens de comprendre le monde dans lequel ils vivent, le fonctionnement de son économie, mais aussi ses failles, et de sa société, mais aussi ses injustices (inégalités...). Les SES ne sont pas des mathématiques ou de la physique, inculquant des faits vérifiés et incontestables. Pour la majorité probable de lecteurs qui n’a jamais mis les pieds dans un cours de sciences économiques et sociales, cet enseignement s’approche assez de l’histoire-géographie.
L’histoire-géographie qui était encore il y a quelques décennies un récit d’une histoire glorieuse pour la France et d’une géographie parfaite de l’Hexagone, qui permet aujourd’hui à des jeunes, toutes séries confondues, de s’interroger sur les fondements de leur société, de l’apport d’un fait historique dans la société contemporaine. En quoi la révolution industrielle du XIXe siècle a-t-il permis un développement général de l’Europe pour les uns ou le début de l’exploitation des ouvriers pour les autres ? En quoi la création de républiques populaires a-t-elle généré un immense espoir d’égalité qui aurait pu fonctionner pour les autres ou constitué le développement de régimes dictatoriaux qui se sont logiquement effondrés pour les uns ? Pour chaque question, la vérité se trouve probablement entre les deux. L’histoire nous fait aujourd’hui réfléchir à ces grandes questions.
Quel rapport avec les SES ? Celles-ci constituent une continuité à l’histoire-géographie. En cours d’économie-sociologie, on apprend à analyser le monde contemporain, à travers ses évolutions les plus récentes. Là aussi, on ne se contente pas de répondre à des questions, il faut disserter sur l’état du monde.
Prenons le programme de terminale ES afin de comprendre pourquoi il peut bien gêner le gouvernement et le Medef.
Il y a dans le programme une partie d’économie, divisée en deux thèmes : le premier a pour titre « Accumulation du capital, organisation du travail et croissance économique ». D’abord, une étude du fonctionnement de l’économie et de la croissance. Comment fonctionne notre économie capitaliste ? Et pourquoi il ne suffit pas de faire augmenter les profits des employeurs pour qu’ils investissent, comme le prétend le théorème de Helmut Schmidt. Peut-on contester ce fait ? Un entrepreneur peut tout aussi bien conserver l’argent qu’il gagne pour lui-même. Ouvrir les yeux des élèves sur le sujet est nécessaire, mais peut difficilement plaire au Medef, puisque les employeurs ont tout intérêt à gagner plus en prétendant qu’ils investiront si on augmente leurs profits. Autre étude de cette première partie, l’organisation du travail ou pourquoi le taylorisme est inhumain. Là aussi, si les jeunes entrant sur le marché du travail connaissent leurs droits en terme de conditions de travail, c’est ennuyeux pour l’employeur, mais aussi tellement plus humain... Le second thème traite des enjeux de l’ouverture internationale. Là aussi, beaucoup de choses à dire...
Mais la partie de sociologie doit être celle qui dérange le plus. Comment faire de la socio sans étudier les inégalités de salaires, de patrimoine, même les inégalités devant la mort ? Sans étudier les discriminations à l’embauche ? L’importance d’une solidarité entre citoyens ? Les mouvements sociaux et leurs causes ? Il est certains que ces thèmes sont plutôt « de gauche ». Faut-il alors les supprimer et dire à la place que tout va pour le mieux pour trouver un emploi et que tous les employeurs sont des anges ?
Si on s’interroge sur le fonctionnement de l’économie et de la société française, on en voit tout de suite les failles : des inégalités dans tous les domaines. Doit-on malgré tout considérer qu’en parler en cours est tabou ? De toute façon, on les connaissait déjà avant d’arriver en cours.
Il est clair que des gens tentent dans notre société de faire taire tout ce qui peut nuire à l’ordre établi : prétendre que les inégalités sont normales (Francis Meer, 2003), que Mai-68 doit être oublié (Nicolas Sarkozy, 2007)... Il est plus simple pour asseoir le pouvoir de la majorité de réformer les programmes scolaires des électeurs de 2012, comme ce fut fait dans tant de régimes un peu moins démocratiques. Si le Médef demande à réformer l’éducation de ses futurs ouvriers, c’est le début d’une dictature libérale dont les dirigeants veulent éviter que le peuple s’interroge sur la légitimité des inégalités entre France d’en haut et France d’en bas.
Pour conclure, admettons que cette matière est peut-être forcée d’être politisée puisqu’elle étudie les politiques récentes de manière critique. Or, le mot d’ordre récent a été "libéralisme", tandis que les chiffres montrent bien que les inégalités ont explosé depuis les années 70. Si on en parle en SES, il est normal que ça ne plaise pas aux libéraux qui veulent poursuivre leurs politiques.
Ou alors, si vraiment il y a un problème de politisation à gauche de cet enseignement, afin de respecter la pluralité des opinions, on pourrait permettre aux élèves de choisir entre l’étude des sciences économiques et sociales (SES) et celle des sciences économiques et libérales (SEL). Mais je pense que les plus politisées des deux et les plus éloignées des problèmes de notre pays ne seraient plus alors les SES...
Car si les SES veulent que nous nous interrogions sur les failles éventuelles de notre système, c’est que ces failles existent...
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