Les faits
C’est après avoir vu un reportage d’Envoyé Spécial, le célèbre magazine d’information de France 2, que le député de Haute Savoie Lionel Tardy a décidé de présenter à l’Assemblée Nationale l’amendement 127.
Voici ce qu’énonce M. Tardy : « Après plusieurs années, nous avons maintenant une bonne vision de l’impact du dispositif existant et du sérieux des entreprises spécialisées sur ce marché. On ne peut pas dire que ce soit brillant : plusieurs enquêtes ont clairement montré que le recrutement des formateurs ne correspond pas à ce qui est vendu aux parents. Cela donne une idée du sérieux de ces entreprises.
Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, ce qui me dérange, et je pense que nous sommes plusieurs dans ce cas, c’est que le crédit d’impôt, c’est-à-dire l’argent public, sert essentiellement à gonfler les profits de ces sociétés privées. Cette aide fiscale n’a pas entraîné de baisse de prix pour les familles ni permis de générer une offre de haute qualité. De plus, les dépenses de soutien scolaire sont le fait de familles pour lesquelles l’existence d’un crédit d’impôt est plus une aubaine qu’une réelle incitation à recourir au soutien scolaire à domicile. On le sait tous : ces dépenses sont destinées à répondre à l’angoisse des parents, mais ne sont guère utiles quand le jeune n’est pas plus motivé pour autant.
Cette aide fiscale est donc largement inefficace. Mon amendement n° 127 en tire les conséquences. »
Malgré l’opposition du ministre du budget Éric Woerth, l’amendement 127 a été adopté le 13 novembre 2009 par l’Assemblée Nationale comme suit :
APRÈS L’ARTICLE 45, insérer l’article suivant :
I. – Le b) du 1. de l’article 199 sexdecies du code général des impôts est complété par les
mots : « , à l’exception du recours à une entreprise pour des activités de soutien scolaire à domicile ou de cours à domicile ; ».
II. – Les dispositions du I entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2011.
EXPOSÉ SOMMAIRE
Le présent amendement exclut de l’assiette des dépenses ouvrant droit à la réduction ou au crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile et les services à la personne, les sommes versées à une entreprise fournissant un soutien scolaire ou des cours à domicile.
Les sommes directement versées à un salarié pour les mêmes prestations ainsi que les sommes versées à une association ou à un organisme non lucratif pour les mêmes prestations continueraient à ouvrir droit à l’avantage fiscal.
Il semble également que la dernière publicité d’Acadomia (devenez bachelier ou soyez remboursés) ait indisposé nos députés. En effet, cette entreprise promettait de rembourser les cours en cas d’échec au bac, mais seulement pour la partie non défiscalisée, soit 50% et à condition de prendre environ 3000 euros de cours. Cela signifie qu’en cas d’échec, 50% du prix des cours demeurait à la charge de la collectivité, donc des contribuables. Interrogé, l’un des dirigeants d’Acadomia avait justifié cette publicité en arguant que l’Education Nationale lui faisait de la concurrence déloyale en instaurant le soutien scolaire gratuit au sein des établissements scolaires ! Ne rions pas.
Les entreprises et syndicats professionnels de soutien scolaire se mobilisent et missionnent des cabinets de lobbying pour faire pression sur le Sénat afin qu’il n’adopte pas l’amendement 127. Beaucoup s’émeuvent que les pratiques quelque peu contestables de quelques-uns conduisent à enterrer toute une filière.
Eclairages
Bien qu’adoptée par l’Assemblée Nationale, l’amendement 127 doit continuer son parcours législatif pour entrer en application. D’autre part, il est prévu que cette disposition entre en vigueur à compter du 1er janvier 2011. Les parents qui font prendre des cours à leurs enfants via des entreprises de soutien scolaire jusqu’au 31 décembre 2010 se verront donc appliquer la déduction fiscale.
Cet amendement porte uniquement sur les entreprises de soutien scolaire. Les parents qui font appel à des associations à but non lucratif ou qui emploient directement des intervenants continueront à bénéficier de la réduction ou du crédit d’impôts.
Analyse et interrogations
M. Tardy parle de plusieurs enquêtes qui auraient démontré le manque de sérieux des entreprises spécialisées dans le soutien scolaire. De quelles enquêtes parle-t-il ? L’Etat n’a procédé à aucune étude de la filière. Il n’existe que des enquêtes journalistiques.
Le citoyen que je suis s’inquiète de ce que des parlementaires s’appuient sur les qu’en-dira-t-on, en l’absence d’une étude contradictoire réalisée par des experts indépendants. Les journalistes ne sont pas des experts - ils passent d’un sujet à l’autre -, quand de l’autre côté ils sombrent facilement dans le sensationnalisme. Un journaliste produit de l’information, souvent orientée, pas du savoir. Cette affaire prouve une fois de plus l’amateurisme de nos parlementaires, les dangers qui guettent notre démocratie.
J’ai noté que seules les entreprises de soutien scolaire sont concernées, pas les associations à but non lucratif. La France n’aime-t-elle ni les entreprises ni la liberté d’entreprendre ? Les tarifs et pratiques adoptés par les entreprises et associations sont presque équivalents. De plus, si une association ne peut pas distribuer de bénéfices à ses sociétaires, elle peut répartir la valeur ajoutée de bien d’autres manières. Une association dont le siège est en Alsace peut même distribuer les bénéfices. Les différences entre associations à but non lucratif qui exercent principalement une activité économique et entreprises privées sont assez ténues.
Cette loi, si elle est adoptée par le Sénat, m’apparaît inapplicable en ce qu’elle crée une distorsion de la concurrence, qui serait sanctionnée par l’Europe. Je crois d’ailleurs que des entreprises de soutien scolaire avaient saisi l’Europe pour obtenir le statut de mandataire, à l’instar des associations. Des avis de juristes seraient les bienvenus.
Rappelons également que l’Etat donne un agrément en fonction de critères que lui seul définit. Agrément qui peut être retiré. Si l’Etat n’est pas capable de vérifier la qualité du travail effectué par les organismes agréés, ou s’il n’est pas capable de renforcer les critères pour obtenir l’agrément, il est le premier fautif. Le secteur privé ne peut supporter seul l’incurie de l’Etat.
Il ne s’agit pas pour moi de défendre Acadomia ou une autre société de soutien scolaire, d’autant plus qu’il est vrai que ce secteur manque de sérieux et de probité. Le soutien scolaire dans son ensemble est très peu efficace parce qu’enseigner est une discipline systémique très difficile. Je l’avais déjà signalé. Il ne s’agit pas non plus de cautionner les publicités agressives de cette entreprise. Je me réjouis même que ce sujet interpelle nos élus comme je me réjouis que les étudiants qui donnent des cours particuliers puissent enfin se passer d’intermédiaires qui n’apportent globalement aucune valeur ajoutée. De nombreux abus ont certes été commis mais une loi mérite plus qu’une enquête de journalistes. Tel était le propos de mon billet.